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Section III. Le philosophe et la philosophie

9. Le retour dans la caverne

Le véritable philosophe est alors celui qui oriente son regard vers les Idées et le Bien. Il faut comprendre, cependant, que cette orientation n’est pas une question théorique uniquement2, il s’agit pour le philosophe de se forcer dans le contemplation des

Idées. Il faut avoir à l’esprit ici l’expérience de pensée proposée par Platon à travers le mythe de la caverne dont nous avons parlé3. A la sortie de la caverne, l’homme se

retrouvera agressé par la forte luminosité du (vrai) soleil et il ne sera pas, de fait, en mesure de faire l’expérience de la contemplation et de la perception immédiatement après sa sortie de la caverne. Il aura alors un certain temps d’adaptation afin d’arriver à voir directement les choses vraies qui n’ont été perçues que comme des ombres dans la caverne.

On comprend alors que l’orientation vers les Idées n’est pas optionnelle mais c’est la condition de la bonne contemplation. On pourrait nous demander ici l’intérêt d’une telle action, c’est-à-dire l’effort dans la contemplation, dans la justification pratique de la

1 Voir Monique Dixsaut, Métamorphose de la dialectique dans les dialogues de Platon, Paris, Vrin, 2001, p.

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2 Nous parlons d’une orientation théorique dans le sens où le philosophe fait en sorte de tourner son regard

vers Bien sans conviction réelle. Pour le dire plus simplement, il ne faut pas comprendre ce point comme un détail de la vie d’un philosophe platonicien. Se forcer – et peut-être même arriver – à contempler les Idées ne s’agit nullement d’un idéal philosophique ou d’une fin en soi, mis il s’agit de la condition sine qua non de la bonne activité philosophique d’un point de vue platonicien.

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capacité effective du philosophe-roi à diriger excellemment la cité. Nous essayons effectivement d’expliquer, dans ce chapitre que le philosophe-roi, en dehors de sa connaissance théorique des enjeux philosophiques, a une connaissance pratique du domaine politique1.

Dans un passage de la République, Platon fait une critique sévère vis-à-vis des deux points de vue extrêmes chez les hommes, le premier qui réside dans le fait de ne pas s’occuper de la vérité, le second consistant à se considérer comme le porte-parole de la vérité absolue. Platon dit effectivement :

Mais dis-moi, que dire de ceux qui sont dépourvus d’éduction et ne possèdent aucune expérience de la vérité ? N’est-il pas probable (…) qu’ils ne gèrent jamais une cité de manière satisfaisante, pas plus que ceux qu’on laisse passer leur temps jusqu’à la fin de leur vie à s’éduquer ? Les premiers, parce qu’ils n’ont pas dans la vie un but unique qu’ils doivent viser pour faire tout ce qu’ils accomplissent dans leur vie privée ou publique ; les autres, parce qu’ils n’accompliront rien de tel de leur plein gré, convaincus qu’ils sont de s’être établis de leur vivant dans les îles des Bienheureux2.

Le premier groupe critiqué par Platon semble être les non-philosophes, ceux qui ne cherchent pas à connaître le réel et la vérité. Ce qui nous intéresse dans notre travail ici c’est la critique concernant le deuxième groupe d’hommes dans ce passage de la République. Platon critique en effet les philosophes qui vivent exclusivement dans le monde des Idées en méprisant toute dimension pratique (et donc de fait, en dédaignant l’action politique). L’ironie flagrante qui fait dire à Socrate que ces philosophes ont la conviction de vivre dans l’île des Bienheureux nous fait comprendre que la vie dans le monde des Idées n’est pas tolérée. Que faut-il donc faire ? Le philosophe qui s’est échappé de la caverne, qui a fait l’effort nécessaire pour s’adapter aux choses véritables, il ne peut pas « ne pas consentir à redescendre auprès de ces prisonniers [de la caverne] et à prendre part aux peines et aux honneurs qui sont les leurs, qu’il s’agisse de choses

1 La connaissance du réel par la dialectique, l’éducation par la musique et la gymnastique, la contemplation

des Idées, la recherche de la vérité universelle, la connaissance de soi et l’assimilation au divin forment à notre avis les bases théoriques qui permettent à Platon de déduire la capacité pratico-politique du philosophe-roi.

ordinaires ou de choses plus importantes »1. Ainsi, la redescente dans la caverne est

l’ultime action éducative du philosophe platonicien.

S’il faut résumer rapidement le parcours du philosophe platonicien, il serait comme suit : on commence par la formation des corps et des esprits des jeunes par la gymnastique et la musique, ensuite il faut maîtriser les sciences éthiques, mathématiques et géométriques, s’adonner ensuite à l’exercice de la dialectique qui permet la connaissance du réel et la contemplation du Bien, et enfin retourner dans le monde de l’action sensible pour contribuer à l’amélioration de la cité. C’est ce dernier point qui donne la justification ultime au philosophe-roi. Le philosophe-roi est le plus à même de diriger car il agit pratiquement dans le monde de l’action sensible tout en ayant déjà fait l’expérience du Bien et du monde intelligible. Ainsi, le Bien n’est pas un élément enfermant l’homme dans le monde des Idées ou dans un monde métaphysique loin des réalités sensibles mais bien au contraire, c’est l’élément qui permet la connaissance philosophique et l’agir moral et politique adéquat. Après la contemplation, le philosophe traduit de manière pratique et reflète dans un monde sensible les Idées éternelles et immuables. Ainsi, une action sensible issue de la contemplation du Bien ne saurait être que moral puisqu’elle est le résultat de la perception du principe et de l’archétype du savoir et de l’agir. Le retour dans la caverne est la justification ultime de l’union de la connaissance philosophique et de l’autorité politique dans un seul homme qui ne sera personne d’autre que le philosophe-roi.

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Épigraphe

« Prenez garde d’agir comme les philosophes de notre temps, c’est-à-dire de vous montrer ingrats, vindicatifs, oublieux des services que l’on vous a rendus ». Lucien, Le pêcheur ou les ressuscités, dans Philosophes à vendre et autres écrits, p. 42.

Conclusion