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CHAPITRE 1. La mise en place des CSE : quelles évolutions sur le dialogue social ? . 24

1.4. Rester en terrain connu : une forte tendance au rapprochement avec l’existant

Cette préférence pour la continuité est un constat majeur de notre étude. Les entretiens montrent une volonté forte et le plus souvent partagée de se rapprocher au maximum de l’ancien modèle, dont on cherche à préserver les principaux déterminants, quand bien même ce modèle est rationalisé et son dimensionnement revu à la baisse.

Cette volonté de rapprochement peut paraitre paradoxale en effet, car les changements sont bel et bien mis en œuvre, à savoir la suppression de l’instance autonome qu’était le CHSCT, la fusion des anciens mandats dans un seul nouveau comité unifié, et le plus souvent la réduction des moyens en suivant les dispositions supplétives du code du travail, parfois compensée en proposant de l’ « extra-légal » c'est-à-dire des heures ou des élus supplémentaires.

Néanmoins, cette perspective de changement est amoindrie au regard des constats et des choix effectués. Sur le constat, d’abord : nous avons noté que peu de cas se sont basés sur un diagnostic complet et explicite du fonctionnement antérieur du dialogue social. Ce sont plus des ressentis non chiffrés ou des constats d’évidence non objectivés qui s’imposent. Dans l’esprit des interlocuteurs du côté des directions, le cadre utilisé jusqu’à présent fonctionnait plutôt bien (par exemple comme cela a été vu, dans les cas de DUP) ou plutôt mal. Dans ces dernières situations, c’est une des instances qui dysfonctionne (par exemple le CHSCT chez Agriform ou Assur, le CE chez Handi, les DP dans plusieurs entreprises, « pas très actifs » par exemple chez Mode) ou bien un fonctionnement trop chronophage, avec des redondances, comme cela a été noté plus haut. Sauf quelques cas évoqués plus haut, les représentants du personnel mentionnent rarement la nécessité d’une rationalisation des instances. Ils sont pris devant un changement qui s’impose à eux et fragilise des équilibres constitués. Ainsi, dans plusieurs cas de figure, la réduction imposée des heures va être intériorisée. La stratégie d’adaptation et de maîtrise du changement extérieur se résume alors à cette phrase entendue plusieurs fois : « on n’utilisait pas toutes nos heures ». Mais ceci ne se base pas sur un diagnostic précis ou qui pourrait être partagé avec la direction. Cette forme d’adaptation institutionnelle vient amortir la coupe des moyens. Ailleurs, la négociation a été bornée par ce « totem » des heures. « On avait un totem, c’était le nombre d’heures. Il faut être réaliste, on ne pouvait pas partir avec moins d’heures » (DS FO, Sweet).

Les choix effectués informent donc sur une volonté de reproduction ou plus exactement de rapprochement avec l’ancien modèle. Le terme de reproduction ne saurait rendre compte des changements effectifs qui se matérialisent au quotidien. En revanche au travers de l’idée de

rapprochement, c’est bien une méthode d’appropriation du contexte juridique qui se perçoit. Ceci

peut donner lieu à des convergences de points de vue remarquables entre direction et syndicats, comme l’expriment ces extraits d’entretien dans deux entreprises :

« On est resté sur le cadre habituel. On est parti d’un principe : on garde la même enveloppe d’heures de délégation » (DRS Sweet) ; « On voulait faire en sorte que ça colle avec la réalité du terrain sans que ça perturbe la relation sociale dans l’entreprise » (DS FO Sweet).

« Ce qui est partagé, c’est que le fonctionnement des instances est satisfaisant, on n’a pas de difficultés particulières. On n’a pas eu à faire un bilan. On a plutôt fait en sorte qu’il y ait une continuité : les futures commissions du CSE vont bien ressembler à ce qui existe aujourd'hui comme les DP et le CHSCT. On a essayé de placer le CSE sur le modèle actuel. » (DSC CFDT Financia) ; « On a rejeté l’idée [d’un Conseil d’entreprise], on voulait se calquer le plus sur le modèle d’avant. On voulait rester sur ce modèle car il fonctionnait bien » (DSC UNSA Financia) ; « On veut garder ce qu’il y a ! On ne veut pas changer » (DRS Financia).

Chez Mode, une entreprise de prêt-à-porter, « il n’y a aucun changement et c’était voulu », comme le dit la DSC UNSA (syndicat ultramajoritaire) et actuelle secrétaire du CSE. La méthode a consisté à minimiser le changement. « On a subi les ordonnances, j’ai travaillé pendant deux mois et demi avec le DRH et avec un cabinet d’experts. On a travaillé pour qu’il n’y ait pas de différences entre l’ancien CE et le nouveau CSE. » Le syndicat est satisfait, sa DSC évoque un modèle « calqué » sur l’ancien et sans perte de moyens : « On a réussi à garder des heures ».

Comment s’illustrent ces volontés de rapprochement ? C’est par exemple – et pour reprendre les entreprises citées ci-dessus – une volonté partagée de reproduire un modèle connu et d’éviter les perturbations (Sweet). Ont été créés trois CSE qui viennent selon les syndicalistes rencontrés remplacer les anciens comités d’établissement, tandis que deux CSSCT sont censés remplacer les deux anciens CHSCT. En droit, la CSSCT est censée être une commission du CSE et fonctionner de façon très articulée avec lui, or ici les instances sont séparées et peu articulées. La CSSCT reproduit l’ancien CHSCT qui était une instance indépendante. Les secrétaires de deux CSE se contentent d’un reporting mais disent ne pas « contrôler » ce qui s’y passe. « On a gardé les mêmes personnes à la tête des CSSCT. La nature se reproduit, ils ont recréé leur CHSCT. Le secrétaire du CSE n’est pas forcément membre de la CSSCT, la loi ne l’a pas prévu. Donc il a intérêt à faire confiance à son coordinateur… » (DSC CGT). Chez Financia une volonté a été de recréer une commission « DP ». La volonté de la direction est de « maintenir le dialogue social dans le nouveau carcan des ordonnances ». Ceci résume bien le point de vue partagé : les ordonnances fixent un nouveau cadre et les partenaires sociaux vont tout faire pour déstabiliser le moins possible leur modèle préexistant. Les interviewés utilisent les termes de « plaquer », « copier », etc. le modèle antérieur. « On nous vend de la simplification mais on ne s’y retrouve pas, explique la DRS. Il y a eu de longs moments de lecture et d’interrogations. On ne savait pas où on allait. C’est compliqué, donc on a voulu retomber sur ce qu’on connaissait » (DRS). C’est par exemple le cas cité de la CSSCT qui correspond pour la directrice des relations sociales à une diminution des prérogatives qui étaient détenues par le CHSCT. La concentration des moyens est le principal problème identifié. Là où le dialogue social reposait sur des instances différentes, avec chacune leurs spécificité et prérogatives, le nouveau modèle concentre l’ensemble de ces fonctions. En particulier, le fonctionnement des DP était apprécié, comme baromètre sur le terrain, et comme lien permanent, dans un contexte où Financia compte plus d’une quarantaine de représentations régionales (mais qui ne sont pas des établissements distincts), comptant chacune quelques petites dizaines de personnes. Un seul CSE a été créé sur le modèle de l’ancien CE unique. Les acteurs ont cherché à reproduire le fonctionnement des DP. « Après ce qui nous sauve ce sont les commissions : on a décidé de créer une commission "Questions et réclamations", ce sera nos futurs DP. On contourne le regroupement prévu par les ordonnances. On va fonctionner comme avant mais au lieu d’une réunion des DP on va faire comme ça. On veut continuer à traiter les questions DP. On a un public de cadres qui n’hésite pas à remonter les problèmes. Les salariés reportent aux OS qui viennent nous voir. On a un bon dialogue social dans l’entreprise. Les réunions des DP restent la meilleure visibilité. On reçoit tous les mois beaucoup de questions. Le CE lui c’est très réglementé. Les DP c’est le vrai thermomètre, des questions de tous les jours, des questions pratiques » (DRS).

Ces exemples montrent donc une volonté de maintenir les équilibres préexistants, dans le sens d’une certaine séparation des tâches (correspondant aux anciennes prérogatives des DP, CE, CHSCT), là où le CSE implique d’imaginer un nouveau fonctionnement transversal.

Les problématiques exprimées au travers ces différents cas sont centrales : comment conserver un retour du terrain, faire remonter les problèmes, notamment en matière de santé et de prévention ? Comment garder de la proximité quand les instances sont concentrées et les moyens réduits ? Comment appréhender la question de la capacité de subsidiarité du dialogue social ? Ces problématiques nous apparaissent centrales et sont traitées dans la partie suivante. L’expression de ces problématiques traduit parfois de grandes inquiétudes côté syndical, sur les possibilités de faire fonctionner un dialogue social affaibli de façon structurelle. Dans les réponses apportées à ces problématiques, nous pourrons toutefois voir apparaitre des solutions négociées parfois innovantes, mais sont-elles capables de répondre à ces inquiétudes plus profondes et de relancer le dialogue social ?

2. Les problématiques posées par l’évolution vers les CSE