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Rappels sur les dispositions de l’ordonnance

Les accords de performance collective (APC), introduits par l’ordonnance n°2017-1385 du 22 septembre 2017, sont désormais le cadre unique remplaçant notamment les accords de mobilité interne (issus de la loi de sécurisation de l’emploi du 14 juin 2013) et les accords de préservation et de développement de l’emploi (loi du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels, dite loi Travail ou loi El Khomri). Ils sont donc le dernier

dispositif juridique en date permettant aux partenaires sociaux d’entreprise de signer des accords de compétitivité.

Ce dernier véhicule juridique est plus souple et plus flexible que les cadres précédents. L’objectif des accords de performance collective est en effet « de répondre aux nécessités de fonctionnement de l’entreprise, ou de préserver ou développer l’emploi, sans que des difficultés économiques ne soient exigées ». Le champ d’application des accords de performance collective est large, il peut s’agir :

- d’aménager la durée du travail, ses modalités d'organisation et de répartition ; - d’aménager la rémunération (dans le respect des minimas légaux et conventionnels) ;

- de déterminer les conditions de la mobilité professionnelle ou géographique interne à l'entreprise.

D’un point de vue formel, la loi donne plus de marges de manœuvre aux négociateurs, quant au contenu et orientations de l’accord. Un préambule doit préciser les objectifs de l’accord mais son absence n’est pas frappée de nullité (à la différence des accords issus de la Loi El Khomri).

Les clauses de l'accord se substituent de plein droit aux clauses contraires et incompatibles du contrat de travail, y compris en matière de rémunération, de durée du travail et de mobilité professionnelle ou géographique interne à l'entreprise. Les APC peuvent donc imposer des clauses qui priment sur

celles du contrat de travail du salarié, même défavorables. En cas de refus par le salarié, celui-ci est

licencié pour cause réelle et sérieuse.86 La logique posée est celle d’une sécurisation pour l’employeur (pas de procédure de licenciement collectif si plus de 10 salariés refusent) et, d’un point de vue juridique, d’une supériorité accordée à l’accord d’entreprise sur les contrats de travail. C’est donc une

modification majeure qui se produit ici, qui interroge la capacité des partenaires syndicaux à négocier finement des équilibres ou des contreparties. Or de récents travaux soulignent que les

syndicats sont peu préparés et peu formés à ces négociations, dans un contexte où les APC, de par la flexibilité et la sécurité qu’ils offrent aux employeurs, sont promis à un bel avenir. « Les militants syndicaux n’évaluent pas encore toute la simplification que les APC apportent à l’employeur ».87

86 Jusqu’à présent en fonction du type d’accord notamment accord de maintien dans l’emploi ou accord de mobilité interne, la rupture du contrat de travail correspondait à un licenciement économique individuel, sans obligation préalable d’adaptation ou de reclassement ni de PSE.

87 Sextant expertise, « 1ers accords de performance collective : quels usages du nouveau couteau suisse de la négociation ? Sur la base de 18 accords négociés au titre L. 2254-2 dans des entreprises de plus de 300 salariés », juillet 2019.

Une mobilisation encore limitée des APC

L’appropriation des APC est récente et limitée. Environ 150 accords de ce nouveau genre avaient été signés fin juin 2019, et peu de travaux d’analyse ont été conduits. Une analyse a porté sur 62 de ces accords (lesquels ne sont pas publics).88

Notre échantillon comportant des accords de performance collective est plus réduit (4 entreprises), mais il apporte un éclairage intéressant sur les acteurs qui s’en saisissent et leurs stratégies.

Une recherche de compétitivité sur des marchés très concurrentiels

▪ Parfum est une petite entreprise de la plasturgie qui se positionne dans une recherche de

compétitivité sur des marchés internationaux très concurrentiels. L’accord porte sur l’augmentation

du temps de travail, contre rémunération :

« On a demandé aux salariés une augmentation de leur temps de travail en contrepartie d’une augmentation de la rémunération. […] J’évolue sur un marché international très concurrentiel. Mes concurrents étrangers sont plus compétitifs en termes de coût de production. En Suisse par exemple, le taux d’imposition des sociétés n’est que de 12 % contre 33 % en France. Ça va baisser à 25% mais entretemps, le différentiel de fiscalité pèse sur notre performance. Et je ne vous parle pas du différentiel du coût de travail avec la Chine … » (DRH Parfum, APC signé avec le DS FO).

Le syndicat employeur de cette entreprise revendique par ailleurs une approche « offensive » des accords de performance collective, permettant de maintenir la compétitivité des entreprises françaises. Il encourage ainsi ses adhérents à recourir à ce nouvel outil, vu comme un instrument de compétitivité. L’entreprise Parfum ne rencontre ainsi pas de difficultés économiques. L’accord est par ailleurs conclu pour une durée indéterminée.

Ce type d’approche offensive fait l’objet de réflexion chez de plus grandes entreprises de l’échantillon connaissant des fluctuations importantes sur leurs marchés internationaux. C’est par exemple le cas d’Engin dont une des activités souffre de la concurrence mondiale. Les APC sont bien identifiés comme un instrument possible pour améliorer la compétitivité : « La logique de l’APC se place dans cette réflexion. On doit être compétitifs, être bons à l’export pour pourvoir répercuter sur nos prix (…) On regarde ça, comment on peut décliner la loi à l’avenir, peut-être intégrer des notions de performance dans la négociation GPEC » (DRH Engin). L’outil se place ainsi dans une réflexion sur les possibles.

88 Sextant expertise, « Enseignements des 1ers accords de performance collective signés sur la base de 62 accords conclus au titre L. 2254-2 », juin 2019. Cette étude ainsi que celle cité dans la note de bas de page précédente propose une première analyse des usages stratégiques de l’APC, notamment des les grandes entreprises. Les auteurs distinguent, d’un côté, des cas où l’APC poursuit un objectif de renforcement de la compétitivité dans un contexte économiquement tendu (par exemple via des mobilités géographiques ou professionnelles, ou la renégociation d’un nouveau pacte social en modifiant les conditions de rémunération, de temps de travail, ou autres avantages, en échanges de contreparties plus ou moins importantes). D’un autre côté, des APC conduisent à modifier des politiques sociales sans contexte économique dégradé (par exemple harmonisation de statuts collectifs disparates, modification des conditions de rémunération variable d’une catégorie du personnel).

Une recherche de simplification dans deux cas

D’autres cas d’entreprises sont marqués par l’usage de ces accords pour simplifier la gestion des

contrats de travail.

▪ C’est le cas de la PME Automatic (100 salariés), filiale française d’une entreprise asiatique, spécialisée dans l’électronique, en bonne santé économique. Cette entreprise a intégré en 2017 une nouvelle activité, avec 17 salariés. Ces nouveaux salariés sont rémunérés sur 12 mois, alors que les autres salariés le sont sur 13 mois. Afin d’harmoniser les modalités de versement de rémunération pour l’ensemble de ses salariés, l’entreprise a souhaité négocier et conclure un accord de performance collective. L’accord prévoit que la rémunération annuelle de tous les salariés soit versée sur douze mois, impliquant alors l’intégration du treizième mois dans le salaire brut fixe pour les salariés dont le contrat de travail prévoit le versement du salaire sur treize mois. L’APC est alors considéré par le DRH comme « une formalisation simplificatrice pour tous (…). En son absence, l’entreprise aurait dû négocier des avenants de contrat de travail salarié par salarié, ce qui aurait été un travail long, fastidieux et pas nécessairement égalitaire ». Il s’agit dans le cas présent du premier accord d’entreprise, conclu avec la DUP, en l’absence de délégué syndical (le CSE étant prévu pour la fin 2019). La direction a pris conseil auprès de son syndicat patronal.

▪ Un autre cas observé part de cette logique recherchée de « simplification ». L’entreprise Négoce est confrontée à des difficultés de recrutement de chauffeurs-livreurs, accentuée par la politique salariale en place. Celle-ci est peu lisible pour les populations non-cadres (quote-part de 13e mois versée chaque mois mais non incluse dans le taux horaire) et n’attire pas les candidats. « Ils demandent le taux horaire, on leur explique qu’il y a une quote-part, c’est très peu lisible » (DRH). L’accord prévoit de réintégrer cette quote-part dans le salaire, une possibilité offerte par les APC. « J’ai utilisé la possibilité de faire un APC, ça avait du sens par rapport à nos problématiques », explique la DRH. L’accord a été validé par la CFDT, seul syndicat en place. « La direction a dit que c’était pour être plus compétitif sur le marché du travail, pour rehausser le taux horaire » explique l’actuel délégué syndical (qui n’était pas en place au moment de la signature). Il dit que son syndicat a « négocié et verrouillé » cet accord : « si le salarié accepte, la direction ajoute 20 euros bruts, et 0 pour les autres. Mais c’est un motif de licenciement. On a fait écrire que ce n’est pas un motif de licenciement noir sur blanc ». Ce dernier point souligne des conflits possibles avec la loi (nous n’avons pas eu connaissance de cet accord, qui avait été déposé à la DIRECCTE mais pas encore validé au moment des entretiens). Bien que membre d’un syndicat signataire de ce premier accord, l’actuel DS reste cependant méfiant sur les usages de ces accords et a un discours vigilant. « Je pense que ce sont des accords très dangereux. Mon délégué syndical central m’a parlé d’un accord qui arriverait bientôt sur la table des négociations. Il m’a alerté. La direction va bientôt m’interpeler. » Il a suivi une formation spécifique consacré à ces nouveaux accords auprès de son syndicat.

Un APC pour gérer une réorganisation

▪ L’entreprise Techno (500 salariés, ameublement) est en bonne santé économique. Le dialogue social avec l’unique syndicat CGT est qualifié de bon par la direction, et l’activité conventionnelle est importante. L’entreprise a intégré au 1er décembre 2017 une nouvelle structure dont une des filières est basée dans une autre région, située à plusieurs centaines de kilomètres. Celle-ci est composée de 40 salariés, dont une trentaine de commerciaux et d’itinérants et une douzaine occupant les fonctions support, majoritairement au siège. La question de rassembler l’ensemble des salariés sur un seul et même site s’est posée lors de l’intégration. Afin de réduire les doublons de fonctions, un accord de performance collective (APC) sur la mobilité professionnelle a été engagé très rapidement après

l’intégration, portant sur la mobilité des 12 salariés sédentaires. Un plan de sauvegarde pour l’emploi conclu en 2014 semble avoir permis à l’entreprise de disposer d’un historique et des repères (positifs comme négatifs) pour mettre en place un APC. Le message véhiculé par la direction auprès des salariés a été le suivant : « ce n’est pas une fermeture, c’est un transfert. On accompagne les salariés qui souhaitent nous rejoindre ou partir. » L’accord est considéré comme offensif par la direction (nous n’avons pas pu recueillir le point de vue des représentants syndicaux). Au final sur les 12 salariés concernés par l’APC et intégrant la « société mère », l’ensemble a refusé la mobilité. Deux salariés assimilés à des techno-commerciaux semi-sédentaires ont été autorisés à télétravailler en home office. Les dix autres salariés ont été licenciés et ont bénéficié de diverses mesures d’accompagnement prévues dans l’accord.

Une appropriation en bonne voie, renvoyant à des stratégies variées

Souples et multiformes, parfois qualifiés d’accords « couteaux suisses », obéissant à des soucis de simplification ou à des stratégies plus offensives, les APC ont été intégrés à la pratique, comme le montrent ces premiers retours d’expérience. Leur place dans les stratégies d’entreprises et les

politiques RH, dans un contexte de réduction des PSE, va certainement continuer à s’affirmer à mesure que les expériences s’accumulent et se disséminent. Les logiques de négociation restent aujourd'hui à être analysées plus spécifiquement par le biais d’enquêtes complémentaires.

4. Un manque de recul sur la nouvelle articulation entre