de suivre
encourant
cette voiture quin'emportait
plus que le cadavre de sonfils.
—
Il est fâcheux qu'il soitmort
!dit
froi-dement un parieur...
il me faitperdre
cinq cents louis.—
J'ai
biencru
quej'étais
enfoncé, répli-qua ensouriant
son voisin. Cettemort
mefait gagner tous mes gros paris; s'il
n'eût été
que blessélégèrement,
ileût
puremonter
àcheval,
et
il était; capabled'arriver
encorepremier.
— Ma foi! ajouta un philosophe,
c'est
bienbête; de se casser la tête, quand on a
quatre
ou cinq
cent
mille francs derente
!128 CINQ CENT MILLE FRANCS
— Est-il marié? laisse-t-il des enfants?
demandait l'un.
— Je ne crois pas, répondait l'autre, et
je
ne sais vraiment qui héritera de cette im-mense fortune.
— Le comte de la Roserie, ajouta la Car-doville, n'était qu'un enfant adoptif. Cette
femme si courageuse, si
à
plaindre, est savraie mère ; je la connais, elle s'appelle ma-dame Dominique : c'est une brave et digne
femme
, bienfaisante
, généreuse. Cette
mort est horrible...
j'en
suis malade !Le baron de Longueville, assez
ému,
sesouvint aussi d'avoir vu madame Dominique quelque part : il l'avait, en effet, aperçue
DE RENTE. 129
dans la
chambre
de Marie Durand, lejour
de sa
première et
seule visite chez cettejeune
fille.— Ce
qu'il
y a desingulier, dit
leba-ron, c'est
que la Roseriea
fait, il y a peu dejours,
sontestament!
Il était décidéà
avoirune
affaire avec le marquis de Ver-neuil : il avaittout prévu, et
dans sa fermeet
tranquille résolution, il aécrit
sesder-nières
volontés,j'en
suis sûr.Madame Dominique, qui
s'était
refusé lebonheur d'embrasser
son fils au milieu desprospérités
de sa viebrillante, put du
moins veiller,
pleurer près
de lui,et
cou-.vrir
de baisers son froid visageaprès
samort.
II. 9
430 CINQ CENT MILLE FRANCS
Marie,
cet ange de vertu ayant toutap-pris, vint aussitôt veilleravec sa bienfaitrice près des restes mortels du comte
de
laRo-serie.
Le jeune comte
était
placé sur son ,lit.
On avait eu soin de lecouvrird'un
manteau
, pour
cacher son accoutrement grotesquede
jockey; on ne voyait que sonvisage. Dans cette chambre à coucher,
splendide et coquette,
le
piano était encoreouvert.' Sur un chevalet, une ébauche commencée, et que le comte
ne
devaitpas achever. Sur la cheminée, des lettres
ouvertes, un portrait
de femme quin'était
point celui de sa mère ; des bijoux, des piè-ces de monnaie, tout cela en désordre. Un prêtre récitait les prières des agonisants, enDE RENTE 131
:
présence de deux
femmes enpleurs,
danscette
chambre
éclairéecette
nuit-làpar
des cierges d'église. Les saintes paroles de lareligion se
faisaient seulesentendre
dans ceréduit intime, témoin, peut-être
hieren-core,
desenivrements
de lajeunesse et
del'amour;
Le
juge
depaix,
au milieu de cetriste
spectacle, vint
procéder
à lapose
desscellés.Cette
mort si imprévue
affligeatout
lemonde
dans la maisondu
banquier. MadamePicard eut surtout un
douloureuxserrement
de coeur :
elle
songeait qu'Anatole, lui aussi,avait bravé
les plusgrands
dangers dansun
duel;
elle
songeait qu'elleaurait pu
appren-dre
àl'improviste
lamort
de son fils, Comme132 CINQ CENT MILLE FRANCS
elle apprenait en ce moment la mort
du
jeune comte de
la
Roserie.Le testamentdu comte, qui disposait d'une
grosse fortune, devint, dans la maison mor-tuaire,
à
l'égliseet jusque sur
leterrain
du cimetière, le sujet de toutes les
conver-sations.
Chacun avait des espérances !
Dans nos moeurs, lorsqu'il s'agit dé ma-riage, même au sein des familles
les
plusrespectables, devant le père
et
lamère,
de-vant les oncles et les parents plus ou moins éloignés, ne calcule-t-on pas à un centime
près ce que la mort de chacun d'eux ajou-terait de revenus
à
la fortune présente desDE RENTE. 133
deux fiancés? et ces calculs cyniques, ne les appelle-t-on pas des espérances?
Ainsi, on espère la
mort d'un père, la mort d'une
mère ;on
espère lamort d'un
oncle,d'une
tante,d'un frère, d'une
soeur.Ces espérances se
règlent sur
lafortuné et sur
les chances de longévité de ceuxdont
on doit
hériter.
Sans doute, on tremblepour la
vie despersonnes
qui voussont chères;
on craint leur mort, tout
en espérantleur
héritage.Un grand
nombre d'amis,
etentre
autresle baron
de Longueville, suivirent le convoi.Quelques-uns, le baron sur
tout, se flattaientd'être
comprispour un
legs assezimportant
dans
letestament
du comte.l'134 CINQ CENT MILLE FRANCS
Longueville se disait : — Il ne m'a pas ou-blié... je lui ai rendu tant de services!...
Je
lui ai ouvert les coulissesde l'Opéra; il doit à
mon intervention toutes ses bonnes fortunes; je l'ai associé à toutes les grandes
spécula-tions de la maison Picard
;
enfin, il dînait très-souvent chez moi.Anatole seul pleurait sincèrement son ami de collége, et sans se préoccuper le moins du monde de legs et d'héritage, —seul, il avait
songé à acheter un terrain à perpétuité, pour
y élever une tombe.
Le comte delaRoserie avait pour maîtresse une danseuse de l'Opéra qu'il avait
surnom-mée Pichenette. On remarqua en effet, à
l'é-glise, une jeune personne dont la toilette de
DE RENTE. 135
deuil
était
des plus éléganteset
dès plussin-gulières;
elle'pleurait
de grosseslarmes..
sur la perte
de deux ou trois mille francspar
moiset sur
lebrillant
attelage que luidonnait
le comte de la Roserie.Le
baron,
qui nel'avait
pasrencontrée
depuis longtemps, s'approcha d'elle,et
luiserrant la main
:— Quel
malheur!...
Apropos,
luidit-il,
nous avons toujours nos Crédits mobiliers?
—J'ai tout
gardé, répondit-elle.—
Tu
as bien fait.Pichenette, qui surveillait
le
comte de136 CINQ CENT MILLE FRANCS
très-près, ne lui connaissait aucun proche
parent,
aucune liaison sérieuse; il n'avaitpas d'enfants. Aussi se disait-elle, pour cal-mer son désespoir :
— Ce testament ne peut avoir été dicté que par l'amour que j'avais su lui inspirer !
Elle se vanta de ses espérances, surtout dans le foyer des artistes de la danse, et chacune de répéter :
— En voilà une bien heureuse ! ce n'est
pas avec son
talent
qu'elle eût jamais faitfortune !
Toutes s'empressaient cependant autour
d'elle, la plaignaient de l'air
le
plus affligé,DE RENTE. 137
et
s efforçaient deprendre
au sérieux sonchagrin,
dont
elle tenait à fairegrand bruit.
A la suite de ce coup
terrible,
madameDominique fut longtemps souffrante ; maïs les soins attentifs, empressés de Marie, qui lui était plus chère que jamais,
aidèrent
àson rétablissement.
La marquise ne se
montra
pas insensible à cemalheur
: elle vint plusieurs fois consolercette
mère
si cruellement frappée.Le
jeune
Anatole continua ses assiduitésauprès
de madame de Pomméreuse.Pen-dant
la maladie de madame Dominique; ilne vit point
Marie, etla
marquise profita de cette absence pourmener
à bienle
projet138 CINQ CENT MILLE FRANCS
de mariage entre sa protégée et le fils de Picard.
—Puisque vous vous rangez, disait la
mar-quise, le mariage seul vous affermira.dans
vos résolutions de sagesse et de travail. Je n'ai jamais eu d'enfants, je
n'ai
plus depa-rents
autour de moi : vous serez manou-velle famille; mais vous me promettez bien
de rendre heureuse cette bonne Marie?
— J'ai du coeur et de la loyauté, madame la marquise!
-
Je veux que Marie vous apporte sadot. Je lui donnerai en la mariant cinquante
mille écus. Les choses sont assez avancées
et convenues pour que vous parliez dé cette union à monsieur votre père.