i. L’ambiguïté du régime : la responsabilité atténuée de plein droit des tuteurs
109. - En ce qui concerne le régime de la responsabilité du tuteur, l’ancien
alinéa 1 de l’article 133 des PGDC (repris dans l’alinéa 1 de l’article 32 de la LRD du
26 décembre 2009) disposait que « les tuteurs sont responsables du dommage causé
par les personnes dépourvues de la capacité d’agir ou dotées d’une capacité d’agir
limitée sous leur tutelle... ». Le texte n’avait pas mentionné la faute de la part des
tuteurs engageant leur responsabilité. Il semblait que cette responsabilité était bien
une responsabilité de plein droit. Cependant, le texte énonçait ensuite que « ... si les
tuteurs ont bien rempli leurs devoirs, leur responsabilité peut être atténuée dans une
certaine mesure ». « Avoir bien rempli leurs devoirs» peut être compris comme
l’absence de faute. Or si l’absence de faute des tuteurs est prise en compte, il est donc
possible qu’il s’agisse d’une responsabilité pour faute. Alors, la question du régime
auquel elle est soumise se pose alors. De la combinaison des deux phrases, il est
difficile de donner une réponse.
Les auteurs avaient essayé de trouver la réponse dans la jurisprudence.
Cependant, en pratique, les juges utilisent souvent le critère d’« (avoir) bien rempli
leurs devoirs » pour atténuer la responsabilité des tuteurs, mais ils n’ont jamais
précisé expressément le régime dans les décisions
269.
110. - La doctrine demeurait donc pendant longtemps très divisée sur cette
question. Pour certains auteurs, il s’agissait d’une responsabilité pour faute
269 Renxun LAN, Réflexions sur la responsabilité des tuteurs – l’article 28 de « l’avant-projet du Code civil », Journal de l’Université de Huaqiao, 2004, n° 4
présumée
270. La responsabilité des tuteurs était engagée pour ne pas avoir bien rempli
leurs devoirs. Comme le dit si bien un ancien proverbe chinoise « si l’enfant n’est pas
bien éduqué, c’est la faute du père ». La faute des tuteurs était donc présumée dès que
le pupille avait commis un fait illicite. Mais cette présomption était simple, si les
tuteurs pouvaient apporter la preuve d’« (avoir) bien rempli leurs devoirs », donc de
l’absence de faute, ils seraient libérés de leur responsabilité. Par contre, d’autres
auteurs y voyaient une responsabilité principalement de plein droit, en d’autres termes,
« une responsabilité atténuée de plein droit »
271. Selon eux, aux termes du texte, en
présence de la preuve de l’absence de faute, la responsabilité des tuteurs ne serait qu’«
atténuée », et non totalement « écartée ». En fait, peu important que les tuteurs aient
commis une faute ou non, leur responsabilité sera toujours engagée. Par ailleurs, en
jurisprudence, « (avoir) bien rempli leurs devoirs » ne permettant pas d’écarter
totalement la responsabilité des tuteurs. Cela fait état également d’une responsabilité
de plein droit
272.
111. - Désormais, il semble que l’ensemble des auteurs se sont ralliés à la
dernière explication. La question ne fait plus guère l’objet de discussion : il s’agit bien
d’une responsabilité de plein droit, seulement le texte ajoute un élément « (avoir)
bien rempli leurs devoirs » pour atténuer l’effet absolu de la responsabilité de plein
droit des tuteurs. C’est le juge du fond qui apprécie souverainement le degré de
réduction de la responsabilité en fonction des circonstances concrètes. Si l’on cherche
à comprendre l’intention originale des législateurs, il semble qu’ayant pris conscience
de la rigueur du régime de plein droit de cette responsabilité, ils aient énoncé cette
« cause d’atténuation de responsabilité » pour parvenir à un équilibre entre le tuteur
et la victime
273.
270 Haojun WANG, Théorie générale du droit civil, Université des sciences juridiques de Chine, 1997, p. 835 ; Wanlin PENG, Le droit civil, Université des sciences juridiques de Chine, 1994, p. 528 ; Lixin YANG, L’indemnisation des délits spéciaux, Les tribunaux, 1999, p. 264
271
Jiafu WANG, Droit civil, Les obligations, Fazhi, 1997, p. 835 ; Liming WANG, Droit civil, Université du peuple, 2000, p. 556 ; Kaiguo LI, Yumin ZHANG, Droit civil, Fazhi, p. 702
272 Renxun LAN, Réflexions sur la responsabilité des tuteurs – l’article 28 du « projet de réforme du droit civil », op. cit., n° 4 ; Shiguo LIU, Recherche sur l’indemnisation de la responsabilité délictuelle en droit contemporain, Pékin, Sciences juridiques, 1998, p. 294
273 Le Comité des affaires juridiques de l’Assemblée Nationale, Des explications des dispositions de la Loi sur la responsabilité délictuelle de la République Populaire de Chine, l’exposé des motifs et
Le régime de la responsabilité de plein droit est cohérent avec le fondement
ainsi que la fonction de la responsabilité. D’une part comme nous l’avons vu, cette
responsabilité est liée directement à la qualité de tuteur
274. Il en résulte logiquement
que le comportement du tuteur ne devrait pas être une donnée déterminante pour
engager sa responsabilité. D'autre part, cette responsabilité a pour fonction de garantir
l’indemnisation de la victime. Si les tuteurs peuvent s’exonérer totalement en
prouvant l’absence de faute, la victime risque de se trouver face à l’insolvabilité du
pupille, ce qui est à contre-courant de la tendance au renforcement de la protection de
la victime en droit contemporain.
112. - Pour ce qui a trait à la règle de partage de l’indemnisation entre le tuteur
et le pupille, il nous reste encore une question importante à présenter. L’ancien article
133, alinéa 2 des PGDC, en évoquant la règle de ce partage entre le tuteur et le pupille,
énonçait in fine que « ...sauf le cas du tuteur personne morale». C’est-à-dire que le
principe de l’obligation d’indemnisation principale du pupille et celle complémentaire
du tuteur personne physique ne s’appliquait pas au tuteur personne morale.
Néanmoins, le texte n’avait pas davantage indiqué que l’obligation d’indemnisation
du tuteur personne morale serait plus légère ou plus lourde que celle d’un tuteur
personne physique. La doctrine retenait différentes explications à ce sujet. La plupart
des auteurs considéraient que le tuteur personne morale devait échapper à
l’indemnisation complémentaire
275. D'autres estimaient par contre que le tuteur
personne morale devait indemniser pour le tout, et non pas seulement à titre
complémentaire
276. Mais la différence de traitement entre les tuteurs en fonction de
leur qualité, peu importe laquelle, est fortement critiquable. En effet, selon la première
explication, la victime risque très probablement de ne pas être indemnisée, puisque le
pupille ne possède souvent pas de biens. Toutefois, dans la seconde, il paraît
également injuste que le tuteur personne morale supporte une charge plus lourde au
d’autres dispositions concernées, op. cit., p. 124 ; Huixing LIANG, Droit civil, Chengdu, Sichuan, 1988 ; Ping JIANG, Droit civil, Beijing, Université de sciences juridiques, 2000, p. 767
274 Cf. supra. n° 34
275 Jiafu WANG, Droit civil, Les obligations, op. cit., p. 530