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H) La responsabilité contractuelle

Dans le document Des méfaits de la stipulatio (Page 22-27)

Dans ce domaine encore, la stipulatio fut un boulet aux pieds des juristes. Car que commandait la stipulatio, en cas d'inexécution ? Le débiteur avait parlé : il était lié.

La première possibilité d'exonération apparut, lorsqu'on se demanda si l'inexécution provenait bien du fait du débiteur : si per eum steterit, quominus fecerit. Mais la stipulatio était une terre trop sèche que pour nourrir une théorie nuancée de la responsabilité contractuelle : celle-ci ne put se développer que sur le terrain fécond des contrats de bonne foi. C'est là qu'apparut l'idée de graduer la responsabilité d'après l'avan-tage que le contrat procure au débiteur (^), et d'employer comme échelons les notions de dolus, de culpa et de custodia (^^).

La théorie de la faute, plus spécialement, ne prit son essor

— parfois volage — qu'à l'époque byzantine (^^).

17. I ) La novation.

La théorie romaine de la novation est inséparable, elle aussi, de la stipulatio (^''). Car ce que cette théorie avait d'intéressant, ce n'était pas qu'une obligation pût être remplacée par une autre, — car cela n'a jamais créé de difficulté ; c'était qu'une

(64) D. 13, 6 commodati, 5, 2 et 3. — Nous pensons, comme M. MABTON (dans la présente Revue, t. III, p. 177), que cette Idée, saine et profonde, est bien l'œuvre des classiques.

( 6 5 ) D. 50, 1 7 de div. reg., 2 3 .

(66) Culpa lata, levis, levissima; présomptions de faute (exemple typi-que : D. 9, 3 de his qui e f f . , 1, 4) ; e t c . . On sait typi-que peu de mots ont été Interpolés aussi souvent que le mot culpa. Cf. VAN OVEN, Leerioek, n°" 233 et 2 3 4 .

Et les glossateurs de surenchérir, avec leurs culpa levis in concreto, culpa levis in ahstracto, dolus re ipsa, e t c . .

(67) MEIJEKS, Algemene iegrippen, pp. 104 et 116. — Tant dans le Code de Justinien (8, 41) qu'au Digeste (46, 2), le titre De novationibus figure parmi ceux qui concernent la stipulatio.

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obligation pût être automatiquement remplacée par une autre, en vertu de la loi, sans l'accord des parties. Or, voilà encore une de ces surprises dont la stipulatio avait le monopole. Pre-nons un exemple.

A stipule de B 1.000 sesterces.

Puis C stipule de B ces mêmes 1.000 sesterces, eadem milia.

En vertu de la règle Ms de eadem re ne sit actio, ces deux stipulations ne pouvaient donner lieu qu'à une seule action.

Elles portaient, en effet, sur le même objet : idem deMtum, eadem milia. Si elles avaient été conclues simultanément, l'on n'aurait pas su à laquelle des deux donner la préférence ; d'où l'idée du choix, qui caractérise la corréalité (®*). Mais nos deux stipulations n'ont point, par hypothèse, été conclues simul-tanément. Elles sont séparées par un intervalle. Cette fois, une préférence est possible : on décida que la seconde stipu-lation devait abroger la première (^^), un peu comme lex poste-rior derogat pposte-riori.

Voilà la novatio, transfusion d'une dette dans un nouvel engagement C"). E t transfusion en vertu de la loi, par le jeu d'une règle formaliste, de droit strict : Ms de eadem re ne sit actio.

Mais Justinien soumit la novation à une condition subjec-tive : l'accord des parties, Vanimus novandi ('^), — et du coup,

(68) Supra, n° 11.

(69) Cf. D. 45, 1 de ver}), ohl., 25 ; et les textes cités supra, n° 11, in limine.

(70) Novatio est prioris deMti in aliam ohîigationem... transfusio : D.

46, 2 de novationibus, 1, pr.

La novation romaine gravite autour de ces deux éléments : stipulations successives, identité d'objet. TJaliquid novi consistait en un changement de personnes (de créancier ou de débiteur). C'est ce que la doctrine mo-derne appelle la novation subjective, par opposition à la novation objec-tive. Cette terminologie se retrouve dans le code civil italien (art. 1230 et 1235).

(71) C. 8, 41 de novationibus. S; J. 3, 29 quibus modis obi. toll., 3a. Cette réforme allait de pair avec l'abrogation de la règle : bis de eadem re {supra, n" 11, in fine).

la théorie de la novation perdit tout intérêt. Car nul n'a ja-mais douté que les parties pouvaient, de commun accord, rem-placer leur obligation par une autre. Ce qu'il y avait de cu-rieux, c'est que pareil remplacement pût être imposé par la loi, sous l'empire de la stipulatio.

En vérité, la novation légale était appelée à disparaître, avec la stipulatio, avec le formalisme, avec le droit strict. E t elle a fini par disparaître : les codes récents la mentionnent à peine C^).

18. J ) La compensation.

E t voici notre dernier exemple : c'est encore la stipulatio qui retarda la formation d'une théorie rationnelle de la com-pensation forcée.

Quand les parties sont d'accord pour compenser leurs dettes réciproques, rien d'embarrassant. Mais quand elles ne le sont pas ? Supposons que l'une des deux veuille compenser, parce qu'elle craint l'insolvabilité de l'autre : peut-elle l'y con-traindre ?

Au temps de la stipulatio, elle ne le pouvait pas. En effet, toute stipulatio n'avait, au début, qu'un seul objet ("). Cette rigueur tenait vraisemblablement à la structure de la formule qui lui servait de sanction : la condictio, qui ne posait au juge qu'une seule question, sous forme de dilemne. Si paret NmNm

(72) Voy. les codes civils allemand, art. 414 à 419 (reprise de dette) et 364 (dation en paiement) ; et suisse (obligations), art. 116 et 117 (compte courant). Voy. aussi MEIJEKS, Algemene iegrippen, p. 116.

Le droit moderne a plutôt tendance à maintenir l'obligation, à travers ses changements (exemple : la cession de créance). Dès lors il n'a que faire de la novation, qui éteint l'obligation, pour la remplacer par une autre. Cependant, la novation se retrouve dans le code civil italien (art.

1230 à 1285). Le code civil français y consacre encore dix longs articles ( a r t . 1 2 7 1 à 1 2 8 1 ) .

(73) SI l'on voulait stipuler plusieurs objets, il fallait autant de stipu-lations que d'objets. Cf. D. 21, 2 de evictionibus, 32, pr. ; D. 45, 1 de veri.

oM., 2 9 , pr.

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A''A° sestercium 1.000 dare oportere, judex NmNm A°A° ses-tercium 1.000 dare condemnato ; si non paret, ahsolvito.

Le juge saisi de ce dilemne n'avait d'autre recherche à faire, que de savoir si Negidius devait 1.000 sesterces à Agerius. Si cette dette existait, l'intentio de la formule était fondée, et le juge devait condamner. Il n'avait pas à s'embarrasser de savoir s'il n'existait pas d'autres dettes entre les mêmes parties : on ne lui en demandait pas tant. Si d'autres dettes existaient, eh bien, les intéressés n'avaient qu'à demander au préteur autant de condictiones distinctes.

Le progrès du droit tendit à poser au juge plusieurs ques-tions à la fois.

L'on admit, par exemple, que le juge d'une action de bonne foi devait tenir compte de toutes les dettes nées du rapport juridique même {ex pari causa) sanctionné par cette action C*).

Mais — et cela encore montre que les actions de bonne foi n'occupaient pas encore, à l'époque classique, une place pré-pondérante — l'admission de la compensation forcée dans ces actions ne parut pas suffisante. Il fallut l'introduire aussi dans la condictio, de droit strict ; et pour y parvenir, on pro-clama qu'il y aurait dol à réclamer ce que l'on devrait resti-tuer ensuite, en tout ou en partie ('^). Par application de cette idée, n'importe quelle condictio pouvait être paralysée au moyen de Vexceptio doli C*).

Justinien simplifia ces procédés techniques, en décidant que

(74) Mais le juge conservait tout son pouvoir d'appréciation : GAIUS, 4, 63.

(75) Dolo facit qui petit quoA redditurus est : D. 44, 4, de doli mali et metus exceptione, 8, pr.

(76) Cette jurisprudence date d'un rescrit de AIARC-AURèUB : J. 4, 6 de actioniius, 30.

Rappelons aussi les cas spéciaux de l'argentarius et du lonorum emp-tor : GAIUS, 4, 64 à 68. — A la fin du droit classique, la réglementation de la compensation manquait totalement d'unité. C'est pourquoi les titres du Corpus, relatifs à la compensation, emploient le pluriel : De compen-aationiius (D. 16, 2 ; C. 4, 31).

la compensation jouerait de plein droit, ipso jure, dans toutes actions quelconques ("). Dans sa pensée, comme dans celle des jurisconsultes classiques, les mots ipso jure s'opposaient aux mots ope exceptionis ; et notamment, Justinien entendait supprimer la nécessité de recourir encore à l'exceptio doli. Il suffira désormais que le défendeur oppose la compensation pour que le juge soit contraint de l'accorder, — pour autant, bien entendu, que la créance opposée par le défendeur soit liquide et exigible C^).

On sait que les auteurs du code civil français n'ont pas saisi la portée des mots ipso jure. D'après l'article 1290, la compen-sation de plein droit est celle qui joue par la seule force de la loi, sans intervention du juge. Il suffit pour cela qu'il existe deux dettes réciproques, liquides et exigibles (art. 1291). La compensation se produit donc automatiquement, avant même qu'elle soit demandée. Elle éteint et les dettes, et les sûretés, à l'insu des parties (art. 1299).

Voilà qui est excessif. Par un curieux renversement, la com-pensation légale souffre aujourd'hui d'un mal analogue à celui de la novation à l'époque classique romaine : dans les deux cas, des effets juridiques se produisent en dehors et parfois à rencontre de la volonté des intéressés, — alors qu'il ne s'agit que d'intérêts privés.

De même que la novation automatique des Eomains était vouée à disparaître, de même la conception française de la compensation légale a été rectifiée par des codes plus récents C^).

L'idée la plus raisonnable, en cette matière, demeure celle de Justinien : que la compensation soit prononcée par le juge, dès que le défendeur oppose une créance liquide et exigible ; ce qui implique que le défendeur demande la compensation (°°).

(77) C. 4, 31 de compenaationibus, 14, pr. (de l'an 531).

(78) C. 4, 31 de comp., 14, 1.

(79) Codes civils allemand (art. 387) ; suUse (obligations, art. 120) ; italien (art. 1242).

(80) MEiJEns, Algemene iegrippen, p. 242.

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19. Conclusion.

L'on voit donc, par cet exemple comme par les précédents, combien il a fallu de temps à la pensée juridique pour s'affran-chir de règles vétustés, commandées uniquement par le forma-lisme de la stipulatio. Toutes les institutions que nous avons parcourues ont été tributaires du droit strict de la Républi-que romaine, pour n'atteindre leur épanouissement Républi-que vingt siècles plus tard. Même la loi qui nous régit, même ce chef-d'œuvre qu'est le code civil français, ne marque pas encore l'achèvement de ce travail de libération. Sur bien des points, celui-ci ne s'est accompli que dans les législations de ces der-nières décades.

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