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3. Le dispositif « Langues du Monde »

3.1.1. Pratiques langagières et représentations des enseignants

3.1.1.1. Représentations vis-à-vis du plurilinguisme

A la question "combien d’élèves bilingues y a-t-il dans votre classe ?", nous constatons un écart très important entre le nombre d’élèves cités comme bilingues par les enseignants et le nombre d’élèves ayant une autre langue familiale que le français. En recoupant ces réponses avec d’autres données, nous nous sommes aperçu que les élèves considérés comme bilingues étaient principalement des EANA ou anciens EANA (arrivés donc

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depuis plus d’un an). Le bi-plurilinguisme reconnu ici est donc un bi-plurilinguisme actif, ces enfants étant encore à même de parler leur langue familiale en plus du français qu’ils ont appris récemment. Mais le bi-plurilinguisme de réception d’autres élèves n’est pas reconnu comme du bi-plurilinguisme. C’est ce qui explique certainement en partie la méconnaissance de la richesse pourtant foisonnante des langues présentes dans cette école. En comparant les réponses à la question "Quelles sont les langues connues de vos élèves ?" et les réponses fournies par les questionnaires aux familles, nous constatons que de nombreuses langues présentes dans l’environnement des élèves sont méconnues des enseignants. Ces résultats sont en adéquation avec la réponse "je ne sais pas" quasi unanime à la question "Vos élèves suivent-ils des cours de langues (à l’école, en dehors) ?".

Pour aller plus loin dans l’exploitation des résultats concernant la "Connaissance/Reconnaissance/Méconnaissance du plurilinguisme des élèves" et avoir une idée plus précise des représentations de ces enseignants en matière de bi-plurilinguisme, un entretien collectif a été mené auprès des enseignants volontaires pour la mise en place du dispositif, prenant appui sur les premiers éléments de réponses qui étaient apparus grâce au questionnaire individuel. L’intégralité de la transcription de cet entretien se trouve en annexe 6. Voici les trois questions posées oralement afin de faire émerger leurs représentations :

1. Pour vous, qu’est-ce qu’une personne bilingue ?

2. Quel(s) conseil(s) donneriez-vous aux parents de vos élèves bi/plurilingues quant au choix de langue(s) à parler en famille ? Pour quelles raisons ?

3. Lors du questionnaire initial, plusieurs d’entre vous ont eu des difficultés à indiquer les langues pratiquées en dehors de l’école par vos élèves. Pouvez-vous expliquer pourquoi ?

Tout d’abord, traitons de la question des représentations vis-à-vis du bi- plurilinguisme. D’après les réponses et réactions de ces enseignants, nous pouvons dire que leur définition du bi-plurilinguisme se situerait à la frontière de celle de Bloomfield (1935) et de Grosjean (1984). La définition de Bloomfield, très restrictive, considère le bilinguisme comme la « connaissance de deux langues comme si elles étaient maternelles ». Ce bilinguisme est donc défini comme un équilibre parfait entre deux langues, avec une maitrise absolu de chacune d’elles, c’est-à-dire finalement la juxtaposition de deux monolinguismes

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parfaits. Les extraits suivants correspondent à cette définition : « qui maitrise deux langues », « être bilingue, c’est à mon avis, pas réfléchir en français avant », « c’est quand c’est spontané », « tu maitrises bien », « Je sais pas si je me considère comme bilingue ou pas. Je pense pas, non. Parce que j’ai pas l’écrit ». D’autres s’approchent davantage de la définition de Grosjean selon laquelle « est bilingue la personne qui se sert régulièrement de deux langues dans la vie de tous les jours et non qui possède une maitrise semblable et parfaite des deux langues » : « qui parle deux langues », « t’arrives à communiquer en t’en sortant bien, tu vois, sans chercher tes mots, à échanger de manière fluide, à comprendre et à parler alors pour moi, t’es bilingue », « qui arrive à s’exprimer et à comprendre deux langues », « qui parle couramment deux langues », « pas besoin qu'ils maîtrisent l’écrit ». La compétence plurilingue telle que définie aujourd’hui comme la possibilité d’utiliser un répertoire verbal composé de ressources provenant de plusieurs langues ou variétés linguistiques en fonction de facteurs situationnels et culturel n’apparait donc pas dans cet entretien. Pour autant, on peut la reconnaitre en filigrane dans la réponse de cette enseignante dans son questionnaire : « cela dépend, non pas des langues, mais des situations : date d’arrivée, personnes auxquelles on s’adresse ». Le parler bilingue, constitutif de cette compétence plurilingue, peut aussi être perçu dans cet extrait : « Il y a toujours un moment de flottement de toute façon dans le bilinguisme. Au niveau "grande section-CP", ils mélangent un peu les deux langues. Y a toujours ce moment de flottement». Le bi- plurilinguisme reconnu par ces enseignants est donc bien le bi-plurilinguisme actif, productif. J’ai donc voulu savoir comment ils considéraient le bilinguisme réceptif et les ai invités à répondre à cette question : « Et vous classeriez du coup ceux qui comprennent seulement une autre langue dans cette même catégorie ou pas ? Ou il faut qu’il la parle ? ». Leurs réponses confirment que celui-ci ne fait pas partie de la définition qu’ils se font du bi- plurilinguisme : « Moi je les considérerais pas comme bilingues », « C’est pas du tout le même niveau de maitrise », « Quand t’arrives pas à produire, ça veut dire aussi que t’es pas suffisamment à l'aise ».

La deuxième question de l’entretien collectif "Quel(s) conseil(s) donneriez-vous aux parents de vos élèves bi/plurilingues quant au choix de langue(s) à parler en famille ? Pour quelles raisons ?" visait à recueillir des éléments concernant les idéologies sous-jacentes à

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leurs représentations quant au bi-plurilinguisme. Nous retrouvons très souvent l’idéologie monolingue : « je pense qu’il faut pas non plus négliger le français. Moi j'ai vécu sur le secteur d’Oyonnax et des familles, on va dire, d'origine turque, où les parents parlaient le français, simplement ils parlaient jamais, jamais français aux enfants et les enfants quasiment jusqu’au CP, ils ne maitrisaient pas du tout le français », « et c’est vrai qu’au CP, s’ils n’ont personne pour les aider, c’est dur aussi », « comme ils étaient nombreux, ils parlaient tout le temps entre eux et… ça arrivait régulièrement qu’il y ait des enfants qui arrivent au CP en parlant très très mal le français, en ayant un vocabulaire super pauvre ». De même, dans les extraits suivants, l’idéologie monolingue reste la règle mais s’applique aux deux langues : « Et autant c'est super intéressant de garder sa langue maternelle autant je pense que quand les parents ont la chance d'avoir les deux langues, il faut pas le négliger», « il faut qu’il y ait un parent référent de la langue maternelle et un parent référent du français », « c’est pour ça qu’on dit bien aux enfants de grande section, enfin de maternelle, aux parents, parler leur les deux langues surtout ! », « il faut surtout garder les deux. S'il y a le français plus une autre langue maternelle il faut garder les deux, c’est une richesse. Et ça leur facilitera l’apprentissage des langues après ».