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Les représentations sociales de la compétence parentale : une comparaison des perspectives

Chapitre 3 – Les représentations sociales de la

compétence parentale : une comparaison des

perspectives sociale et judiciaire

Publié dans : Pouliot, E., Turcotte, D., Saint-Jacques, M.-C. et Goubau, D. (2016). Les représentations sociales de la compétence parentale : une comparaison des perspectives sociale et judiciaire, dans K. Poitras, C. Baudry et D. Goubau (Dir.), L’enfant et le litige en matière de protection (p. 56-89). Québec: Presses de l’Université du Québec.

Résumé

Dans un contexte de protection de la jeunesse, la compétence parentale est une notion centrale pour évaluer si la sécurité ou le développement d’un enfant est compromis, car elle traduit l’appréciation de la capacité des parents à répondre aux besoins de leur enfant. Or, à notre connaissance, aucune étude n’a permis de faire un parallèle entre les représentations de la compétence parentale chez les intervenants sociaux et les juges. S’inscrivant dans ces préoccupations, ce chapitre propose de présenter les résultats d’une recherche portant sur les représentations sociales de la compétence parentale selon les perspectives sociale et judiciaire. Basée sur l’analyse de 50 dossiers de protection judiciarisés à l’étape de l’évaluation-orientation pour motif de négligence chez les 0-13 ans, cette étude démontre que les représentations issues des deux perspectives sont convergentes dans l’identification de deux principales composantes associées à la compétence parentale : la réponse aux besoins de l’enfant et la capacité de médiation avec l’environnement. Certaines différences sont toutefois notées entre les perspectives sociale et judiciaire. La principale différence vient du fait que la perspective sociale prend généralement en compte un plus grand nombre d’éléments pour juger de la compétence d’un parent, notamment en ce qui concerne l’exercice de l’autorité, la qualité de la relation affective, les connaissances entourant les besoins de l’enfant, ainsi que les antécédents de la famille avec les services de protection de la jeunesse. L’étude permet aussi de constater que les différentes composantes associées à la compétence parentale sont jugées plus négativement dans les dossiers et les jugements, exception faite de l’évaluation de la qualité de la relation parent-enfant qui est jugée positivement dans les dossiers cliniques. Mots-clés : Compétence parentale, protection de la jeunesse, normes sociales, normes juridiques, négligence parentale

Abstract

In the context of child protection services, parental competence is a central concept in assessing whether the safety or the development of a child is compromised, as it reflects the evaluation of the parents’ ability to meet the needs of their child. Based on our knowledge, no study has made it possible to draw parallels between the representations of parental competence among social workers and judges. As part of these concerns, this chapter proposes to present the results of a research on social representations of parental competence from the social and judicial perspectives. Based on the analysis of the content of 50 court cases of children aged under 14 and reported for negligence, this study reveals that the representations from both perspectives converge into the identification of two main components associated with parental competence: the response to the needs of the child and the ability to mediate with the environment. Some differences are, however, noted between the

social and judicial perspectives. The main difference comes from the fact that the social perspective generally takes into account a greater number of elements to judge the competence of a parent, in particular in regard to the exercise of the authority, the quality of the affective relation, the knowledge about the child’s needs, and the family’s history with child protection services. The study also shows that the various components associated with parental competence are judged more negatively in cases and judgments, with the exception of assessing the quality of the parent-child relationship which is positively judged in clinical files.

Introduction

Dans un contexte de protection de la jeunesse, la compétence parentale est une notion centrale pour évaluer si la sécurité ou le développement d’un enfant est compromis, car elle traduit l’appréciation de la somme des attitudes et des comportements des parents à répondre favorablement aux besoins de leur enfant. Comme les diverses circonstances de la vie peuvent affecter de manière favorable ou défavorable l’exercice du rôle parental, les compétences peuvent s’améliorer ou se détériorer dans le temps. La compétence parentale a donc un caractère circonstanciel et évolutif. L’évaluation des compétences parentales se fonde alors sur l’examen des agissements actuels du parent envers l’enfant, ce qu’il fait, dans les faits, au moment de l’évaluation (CJQ- IU, 2005, p. 2). Dans le cadre de l’application de la Loi sur la protection de la jeunesse (LPJ), cette appréciation constitue un enjeu majeur dans les rapports entre les intervenants sociaux et les juges. Certains auteurs soulignent que leurs décisions sont généralement basées sur les représentations que ces acteurs se font des aptitudes des parents à répondre aux besoins de leur enfant (Azar, Lauretti et Loding, 1998; Leschied et al., 2003).

Or, à notre connaissance, peu d’études ont établi un parallèle entre les perspectives sociale et judiciaire de la compétence parentale en contexte de protection de la jeunesse. L’étude de Bernheim et Lebeke (2014), qui s’est intéressée à l’issue des recours en protection de la jeunesse concernant les mères souffrant de maladie mentale, révèle que les tribunaux acceptent quasi systématiquement les évaluations des différents experts (psychiatres, psychologues, travailleurs sociaux) au sujet des compétences parentales. Selon ces auteurs, les perspectives sociale et judiciaire de la compétence parentale convergeraient donc de façon importante. Ce même constat émerge également de recherches menées en matière de garde d’enfant, où les tribunaux se conformeraient aux évaluations des experts dans 90 % des situations qui leur sont présentées (Kushner, 2003; Saini, 2008).

En revanche, d’autres études, qui ont comparé le jugement de différents professionnels en matière de protection de l’enfance, indiquent une différence entre les intervenants sociaux et les juges lorsqu’il s’agit de déterminer si la sécurité ou le développement d’un enfant est compromis et, le cas échéant, de préciser les mesures de protection à mettre en place (Abner, 1992, 1996; Cohen, 1995; Perreault, 1997). Ces études révèlent que comparativement aux professionnels de la relation d’aide (psychologues, travailleurs sociaux), les juristes (juges, avocats et étudiants en droit) estiment moins graves les situations de maltraitance. Selon certains auteurs (Carson et Bull, 2003; Kelly et Ramsay, 2007; Melton et al., 2007; Semple, 2011), les divergences entre ces deux groupes de professionnels peuvent s’expliquer, du moins en partie, par la construction différente des savoirs cliniques et des savoirs juridiques. À ce sujet, Nadeau, Denève, Alain et Piché (2008) soulignent que le

processus d’enquête judiciaire est axé sur un objectif précis : faire émerger la vérité quant à la présence ou à l’absence de certains faits donnant ouverture à l’application de la règle de droit. Par contre, le processus clinique, dans un contexte de protection de la jeunesse, vise plutôt à apprécier le degré de risque.

Ces résultats suggèrent que les représentations sociales de la compétence parentale varient selon qu’elles s’inscrivent dans une perspective sociale ou judiciaire. En découleraient des visions différentes de la compétence parentale et des critères utilisés pour déterminer si une personne est compétente ou non dans son rôle de parent. S’inscrivant dans ces questionnements, ce chapitre présente les résultats d’une recherche comparant les perspectives sociale et judiciaire de la compétence parentale en contexte de protection de la jeunesse.

État des connaissances

Le droit québécois présume de la compétence des parents, puisqu’il s’appuie sur l’idée qu’ils sont « habituellement les mieux habilités pour répondre aux besoins de leurs enfants » (Ruffo, 1990, p. 32). En effet, l’article 599 du Code civil du Québec (C.c.Q.) stipule que « les père et mère ont, à l’égard de leur enfant, le droit et le devoir de garde, de surveillance et d’éducation ». Dans le même sens, l’article 2.2 de la LPJ affirme que « la responsabilité d’assumer le soin, l’entretien et l’éducation d’un enfant et d’en assurer la surveillance incombe en premier lieu à ses parents ». Cette présomption de compétence est toutefois mise en cause lorsqu’une personne estime que la sécurité ou le développement de l’enfant est compromis et qu’il n’est pas possible d’intervenir avec les parents par le moyen d’une entente volontaire. Il appartient alors au juge de décider si le parent est en mesure de répondre aux besoins de l’enfant. L’enquête judiciaire devrait permettre d’évaluer la situation de compromission et les compétences parentales17 et, le cas échéant, de recommander les mesures

de protection à mettre en place. La décision du juge s’appuie sur l’étude de la situation sociale de l’enfant produite par le directeur de la protection de la jeunesse ainsi que sur ses recommandations, tout en tenant compte des compétences parentales actuelles et projetées18, c’est-à-dire les possibilités pour les parents, à

court et moyen termes, de répondre aux besoins affectifs, intellectuels, physiques et moraux de l’enfant19 (Young

c. Young, 1993).

Les pratiques sociales en contexte de protection de l’enfance sont, quant à elles, influencées largement par l’approche centrée sur les familles, qui propose d’aborder l’intervention comme une démarche de partenariat qui met l’accent sur le développement de la compétence parentale (Berg, 1996; Berg et Kelly, 2011; Rycus et

17 LPJ, art. 38.2, 86. 18 LPJ, art. 86. 19 LPJ, art. 3.

Hugues, 1998). Sellenet (2009) présente deux approches cliniques utilisées auprès des familles en difficulté : l’approche cognitiviste et l’approche béhavioriste. L’approche cognitiviste est surtout présente dans les programmes d’éducation parentale. La compétence parentale y est vue comme un « ensemble de dispositions, de ressources, d’aptitudes cognitives, permettant et engendrant l’action » (Sellenet, 2009, p. 105). Ainsi, l’accent est mis sur le développement de la compétence parentale dans une orientation d’empowerment des parents (Pourtois et al., 2006). L’intervention est axée sur deux éléments centraux : (a) les connaissances nécessaires (savoirs) pour être un parent compétent et (b) les aptitudes du parent (savoir-être et savoir-faire) à résoudre des situations problématiques. Dans cette approche, le professionnel s’intéresse davantage aux démarches intellectuelles, au « comment », qu’aux résultats de l’action (Sellenet, 2009). L’approche béhavioriste, quant à elle, aborde la compétence parentale comme « un savoir-faire stabilisé du point de vue des résultats qui doivent être obtenus » (Sellenet, 2009, p. 105). L’accent est mis sur les actions ou les tâches que les parents doivent accomplir. Ici, la compétence parentale ne renvoie pas au savoir, mais au comportement (Giguère, 1998). Elle est déterminée par des critères démontrant la possession d’une habileté ou l’atteinte d’un résultat désiré (Boisvert et Trudelle, 2002).

Différents outils d’intervention s’inscrivent dans l’approche béhavioriste et proposent d’évaluer la compétence parentale à partir de comportements précis. Le Guide canadien des capacités parentales de Steinhauer (1983), adapté par le Centre jeunesse de Montréal – Institut universitaire (Bouchard et al., 2003), s’inscrit dans cette approche20. Ce référentiel de compétences permet à l’intervenant d’évaluer différentes dimensions du rôle

parental en qualifiant le niveau de réalisation ou de performance d’un ensemble de tâches. Cet instrument aide à faire une évaluation du milieu familial en identifiant des éléments sur lesquels doit porter l’évaluation (Pouliot, Turcotte, Bouchard et Monette, 2008). D’autres outils d’évaluation de même nature coexistent afin d’évaluer les compétences parentales (Bala et Leschield, 2008; Ministère de la Santé et des Services sociaux, 2012). Plusieurs méthodes peuvent alors être utilisées, que ce soit les entretiens avec les parents et autres acteurs pertinents (enseignants, médecins, membres de la famille élargie) ou les observations menées directement au domicile familial (Budd, 2005). Malgré tout, il demeure difficile, dans la pratique quotidienne, de tracer une ligne claire entre la compétence et l’incompétence d’un parent, surtout lorsqu’il est question de juger des soins prodigués à l’enfant et d’anticiper l’aptitude et la volonté des parents de mettre fin à la situation qui compromet sa sécurité ou son développement.

Bien qu’il soit difficile de circonscrire la compétence parentale, il est possible de déterminer, dans les écrits scientifiques, quatre principales composantes qui sont utilisées pour l’opérationnaliser : (a) la qualité de la

relation affective, (b) l’exercice de l’autorité, (c) la réponse aux besoins de l’enfant et (d) la capacité de médiation avec l’environnement (Pouliot et al., 2008).

La qualité de la relation affective réfère à des qualités personnelles et relationnelles chez le parent. Le parent est jugé compétent lorsqu’il fait preuve de chaleur, d’amour, d’expression émotive, d’empathie, de disponibilité, de patience, de sensibilité, d’investissement, de maturité, de générosité et d’intérêt envers son enfant (Barudy et Dantagnan, 2007; Belsky, 1984; Cassidy, 2006; Giguère, 1998; Havighurst, Wilson, Harley et Prior, 2009; Healy, Sanders et Iyer, 2013; Miron, 1998). Le parent compétent adopte non seulement une attitude positive envers son enfant, mais il le considère et le traite comme une entité distincte (Bouchard et al., 2003), tout en encourageant la relation entre l’enfant et son autre parent (Austin et al., 2013; Fagan et Barnett, 2003; McBride et al., 2005; Moran et Weinstock, 2011). Ces comportements favorisent un attachement sécure chez l’enfant et contribuent à sa socialisation en multipliant les ressources disponibles dans son environnement (Austin et al., 2013; Bouchard et al., 2003). Certains auteurs insistent également sur le caractère réciproque de la relation affective et, par conséquent, sur la nécessité de prendre en considération les qualités individuelles de l’enfant et certains facteurs contextuels pouvant teinter la relation parent-enfant (Belsky, 1984; Beytrison, 2010; Dix, 1991; Lemme, 2006; Moran et Weinstock, 2011).

L’exercice de l’autorité est surtout étudié relativement à l’influence des styles éducatifs sur le développement de l’enfant (Puentes-Neuman et Cournoyer, 2004). Le parent compétent est celui qui sait, par ses méthodes disciplinaires et son style d’éducation, placer son enfant dans des conditions propices à l’apprentissage et l’amener vers un développement optimal (Gelkopf et Jabotaro, 2013). Ce parent fait preuve de responsabilité, de cohérence et de réalisme quant aux tâches et objectifs éducatifs (Azar, Nix et Makin-Byrd, 2005). Il sait communiquer adéquatement avec son enfant, en faisant preuve de clarté dans ses messages et ses attentes (Belsky, 1984). Il réussit à trouver un équilibre entre, d’une part, la discipline et le contrôle qui permettent d’intégrer l’enfant dans son milieu familial et social et, d’autre part, la sensibilité et le soutien (Bornstein et Bornstein, 2007). Plus spécifiquement, quatre styles parentaux sont distingués dans les études contemporaines : (a) le style négligent (ou désengagé), caractérisé par un manque de contrôle et de sensibilité, (b) le style autoritaire, qui réfère à des niveaux élevés de contrôle et de faibles niveaux de sensibilité, (c) le style indulgent et permissif, qui est associé à un faible niveau de contrôle et un haut niveau de sensibilité, ainsi que (d) le style démocratique, qui se distingue par des niveaux élevés de contrôle et de sensibilité. Le style démocratique est associé aux effets les plus positifs chez l’enfant, lui permettant de développer de plus grandes compétences sociales, alors que le style négligent (ou désengagé) serait le plus dommageable (Bornstein et Bornstein, 2007; Dornbusch et al., 1987; Steinberg, Elmen et Mounts, 1989). À cet égard, Gelkopf et Jabotaro (2013) affirment que plus les mères ont vécu un attachement adéquat avec leurs propres parents, plus elles font

preuve de compétence en adoptant un style parental démocratique. À l’inverse, celles qui auraient vécu des problèmes d’attachement dans leur famille d’origine présenteraient des styles parentaux plus permissifs ou autoritaires. Morawska, Winter et Sanders (2008) affirment que les parents qui possèdent un plus grand savoir au sujet du développement de l’enfant auraient moins tendance à utiliser des stratégies disciplinaires punitives. Selon Cloutier et Drapeau (2008, p. 176), ces conclusions sont toutefois sujettes à caution puisque « la très grande majorité des études dans ce domaine ont été réalisées auprès de jeunes de la classe moyenne et d’origine caucasienne ».

La réponse aux besoins de l’enfant réfère à la connaissance et à l’anticipation des besoins de l’enfant, à la disponibilité à répondre aux signaux qu’il émet ainsi qu’à la qualité et à la stabilité des soins qui lui sont prodigués (Belsky, 1984; Ferketich et Mercer, 1994, 1995; Giguère, 1998). Au-delà des besoins affectifs et éducatifs, ces besoins regroupent les dimensions physiques (santé, hygiène, sommeil, nutrition) et intellectuelles (Bouchard et al., 2003). À cet égard, le parent compétent sait adapter son rôle en fonction de l’âge de l’enfant et de ses particularités (Beytrison, 2010; Bouchard et al., 2003; McNally, Eisenberg et Harris, 1991). Selon Morawska et al. (2008), les parents qui possèdent de meilleures connaissances entourant le développement de l’enfant seraient plus sensibles aux besoins de leurs enfants, davantage en mesure de leur fournir des soins adéquats et, par le fait même, moins à risque de négligence parentale.

La capacité de médiation avec l’environnement est décrite par le Comité de la santé mentale du Québec (1985) comme l’aptitude du parent à faire le pont entre l’enfant et son milieu. Par la médiation, le parent permet à l’enfant d’avoir accès à des ressources qui peuvent contribuer à son épanouissement. Healy et al. (2013) soulignent l’importance de l’aide apportée par le parent à l’enfant dans le développement de ses compétences sociales en lui offrant des opportunités de contact avec ses pairs et en l’encourageant à devenir autonome et responsable, tout en le guidant dans l’acquisition d’habiletés de résolution de problèmes. La capacité de médiation avec l’environnement du parent permettrait de prédire les compétences sociales de l’enfant qui, elles, seraient intrinsèquement liées à l’acceptation par les pairs et à une diminution du risque d’intimidation. Barudy et Dantagnan (2007) sont d’avis que la capacité de médiation exige que le parent soit informé des réseaux de soutien et d’aide présents dans son environnement, et soit en mesure d’utiliser les ressources qui s’y trouvent. Plusieurs auteurs soulignent que la compétence parentale est déterminée, dans une large mesure, par des éléments contextuels favorables (soutien formel et informel) (Champagne-Gilbert, 1987; Smolla, 1988) et qu’elle peut être entravée par un manque de ressources financières et sociales (Beaudoin, 1991; Belsky, 1994; Boisvert et Trudelle, 2002; Gelkopf et Jabotaro, 2013; Miron, 1998; Steinhauer, 1999).

Présentation de l’étude

En contexte de protection de la jeunesse, le droit et l’intervention sociale s’unissent dans le but d’assurer la sécurité et le développement de l’enfant. Cette mission commune peut être difficile à réaliser si les représentations de la compétence parentale sont variables. Or, ces deux cultures professionnelles se distinguent par leurs fondements, leur histoire et leurs valeurs. Elles s’enracinent dans des temps, des lieux et des groupes différents. Dans quelle mesure les perspectives sociale et judiciaire de la compétence parentale sont-elles convergentes ou divergentes ? Quels critères sont utilisés pour déterminer si une personne est compétente ou non dans son rôle de parent ? Ces questions sont fondamentales dans la pratique en protection de la jeunesse, car une surévaluation de la compétence parentale peut mettre l’enfant en danger, alors qu’une sous-évaluation est susceptible d’entrainer un retrait injustifié de l’enfant de son milieu familial. Les résultats présentés dans ce chapitre s’inscrivent dans ces questionnements en cherchant à comparer les représentations sociales de la compétence parentale dans les perspectives sociale et judiciaire.

Méthodologie

Une analyse documentaire du contenu des dossiers d’enfants signalés pour motif de négligence a été réalisée pour cerner les représentations sociales. Moliner, Rateau et Cohen-Scali (2002) soulignent l’intérêt des documents institutionnels tels que les dossiers cliniques et les jugements pour étudier les représentations sociales. Cette analyse a porté sur des enfants de moins de 14 ans dont la situation a été confiée au tribunal au cours de l’année 2008-2009 dans un centre jeunesse du Québec. La décision de se centrer sur les situations signalées pour négligence reposait sur le postulat que c’est dans ces situations que les représentations sociales de la compétence parentale risquent d’avoir le plus d’influence sur les décisions et les pratiques des intervenants sociaux et des juges. En outre, il a été décidé de cibler des enfants de moins de 14 ans en raison de leur plus grande vulnérabilité et de leurs besoins (Ballenski et Cook, 1982; Bouchard et al., 2003; Steinhauer, 1983).

Au total, pour l’année 2008-2009, 52 dossiers judiciarisés à l’étape de l’évaluation-orientation concernaient des situations signalées pour négligence chez les 0-13 ans dans le centre jeunesse ciblé pour la recherche21. Sur

ces 52 dossiers, deux n’ont pas pu être consultés dans le cadre de l’étude. L’échantillon à l’étude est donc formé de 50 dossiers. Pour chacun de ces dossiers, une analyse documentaire du jugement de la Chambre de la jeunesse et des rapports d’évaluation et d’orientation rédigés par un intervenant social a été réalisée.