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d) Des représentations négatives « évidentes » mais contestables : le thème inflationniste

III 1 c) Un usage du tiers payant très disparate

IV. 3. d) Des représentations négatives « évidentes » mais contestables : le thème inflationniste

Il est intéressant de noter l'absence globale de référence à des travaux scientifiques dans l'argumentation de chacun des médecins du panel : seul un y fait référence tandis que quelques uns déplorent l'absence d'études sur certains thèmes ou au moins leur méconnaissance de ces travaux. Au contraire, la connaissance conclue à partir de la perception de sa pratique ou l'idée « évidente » sont convoquées par les médecins très fréquemment pour appuyer leurs propos. Nous sommes là dans le champ de la représentation sociale dans ce qu'elle s'oppose à la connaissance étayée scientifiquement. (50)

L'évocation des aspects négatifs est livrée de façon complète et exclusive lors de la question portant sur ce point. A l'inverse, les aspects positifs sont évoqués autant lors de la question du guide d'entretien qui interroge sur cet aspect que de façon diffuse au cours de l'interview, lors de la réflexion sur d'autres thèmes : tout se passe comme si l'évocation d'arguments contre la généralisation du tiers payant était plus immédiate que celle d'arguments pour. Le thème « inflationniste » fait partie de ces représentations négatives très souvent évoquées par les médecins du panel. On peut noter que dans la thèse de B. Caucat, les trois quart des médecins interrogés pensaient également que le tiers payant entraînait un abus de consommation de soins. (35) L'argument est soit présenté de façon indubitable, soit appuyé par l'exemple de la population CMU qui aurait un comportement de surconsommation établi, lié à l'absence d'avance des frais.

Cette perception des médecins du panel rejoint également l'opinion fréquemment rencontrée parmi le corps médical dans son ensemble (médecins et dentistes) sur les patients bénéficiaires de la CMU et qui participe à leur stigmatisation. (51) Différentes études des consommations de soins des patients CMU ou bénéficiaires de l'aide médicale

départementale ont été réalisées dans plusieurs CPAM. (35, 52) A répartition d'âge et de sexe comparables, on constate schématiquement que les patients CMU consomment plus de soins que les patients non CMU mais que le montant des dépenses moyennes est équivalent car :

− les patients CMU ont recours plus fréquemment aux généralistes (comme souvent pour les patients en situation précaire chez qui le médecin généraliste constitue la porte d'entrée dans le système de santé) mais plus rarement aux spécialistes et aux actes de biologie.

− le nombre de soins dentaires est plus élevé mais le coût de ces soins est inférieur.

A l'instar de ce qui a été décrit dans la première partie sur les liens entre précarité et état de santé, cet accès plus fréquent aux médecins généralistes doit tenir compte du fait que les patients bénéficiaires de la CMU, plus précaires ou avec des revenus plus faibles que ceux qui n'y sont pas, ont globalement un état de santé plus dégradé que le reste de la population à âge égal : ils se déclarent en moins bonne santé, ont plus de troubles du sommeil avec retentissement dans la vie quotidienne, fument plus, souffrent plus d'obésité...(53) Le recours plus élevé au généraliste trouve là une explication qui n'est pas celle d'une surconsommation illégitime.

La stigmatisation des patients CMU ne se limitent aux comportements de consommation de soins : irrespect des heures de rendez-vous, exigences particulières, complaisance dans un système qui serait de l'assistanat... Plusieurs des principaux reproches formulés contre les patients bénéficiaires de la CMU ont pour origine la dispense d'avance des frais qui expliquerait ou favoriserait ces attitudes d'après les médecins. Certains médecins du panel reprennent également ces idées. Mais une étude qualitative des représentations des médecins sur les patients CMU a permis de montrer que la description de ces comportements n'est pas confirmée quand les médecins sont interrogés sur leurs propres patients bénéficiaires de la CMU.(54)

Un des bénéfices secondaires que l'on peut espérer de la généralisation du tiers payant est l'abolition de la segmentation entre des catégories de patients qui payent et d'autres qui ne payent pas, ce qui pourrait diminuer la stigmatisation des patients bénéficiaires de la CMU. Un médecin du panel soulignait la difficulté que constituait, pour lui, le fait de proposer le tiers payant partiel, en raison de sa crainte de stigmatiser le patient par cet acte.

Par ailleurs, concernant l'effet prétendu inflationniste du tiers payant, une étude du CREDES, réalisée en 2001 (55), a examiné l'influence du recours au tiers payant sur le coût des ordonnances et le nombre de consultations en médecine générale.

Ce travail permet de rappeler quelques éléments qui semblent primordiaux. La notion de surconsommation de soins est à manier avec précaution : la définition dans l'absolue de la surconsommation est l'excédent de consommation de soins qui n'est pas nécessaire au maintien d'un bon état de santé. Ceci implique donc la détermination d'une consommation de soins moyenne nécessaire. On voit bien là toute la difficulté pour déterminer une telle valeur. Doit-elle être confiée aux médecins, aux économistes, à des experts ? La consultation pour une rhinopharynite ou une gatro-entérite aigüe est-elle vraiment utile ? Quelle est la consommation de soins nécessaire et suffisante à titre préventif ? L'idée des chercheurs du CREDES n'est donc pas de comparer la consommation de soins de gens utilisant le tiers payant et de gens ne l'utilisant pas par rapport à cette valeur indéterminée mais par rapport à une moyenne de consommation dans la population, sans préjuger si cette consommation est nécessaire et suffisante pour maintenir un bon état de santé. C'est ce que les médecins qui croient à un effet inflationniste du tiers payant veulent signifier pour leurs patients CMU : un recours aux médecins, à des traitements ou des examens plus fréquent que la moyenne de leurs patients qui n'en bénéficient pas.

Or, les constations faites lors de cette étude montrent deux choses :

− en l'absence de tiers payant, il y a un effet négatif du revenu sur la consommation de soins : les gens à bas revenus qui n'utilisent pas le tiers payant consomment moins de soins par rapport à la consommation moyenne. Il en est de même pour les gens qui l'utilisent faiblement mais de façon moins intense. En revanche, l'effet revenu disparaît complètement pour ceux qui utilisent fréquemment le tiers payant.

Le tiers payant tend à rapprocher la dépense des assurés les plus pauvres vers la consommation de soins moyenne de l'ensemble des gens. C'est ce qu'on appelle le « rattrapage de soins » qui est un des objectifs de la généralisation du tiers payant, présenté par la ministre et évoqué par les médecins du panel quand ils parlent de facilitation de l'accès aux soins.

− en revanche, aucune différence significative de consommation par rapport à cette consommation moyenne n'est mise en évidence entre les gens utilisant le tiers payant et ceux ne l'utilisant pas ou peu.

Le tiers payant est donc considéré comme une mesure socialement juste car elle permet une consommation de soins des ménages les plus pauvres se rapprochant de celle des ménages les plus aisés sans entraîner une surconsommation pour autant.

IV. 3. e) Des représentations négatives « évidentes » mais contestables :