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Chapitre 2 : La Chine vue d’Amérique latine : Un partenaire « proche » et bénéfique malgré des

B. Une représentation positive partiale : Une traitement informatif partiel

L’image positive de l’engagement chinois au Panama, tient pour beaucoup à un traitement,

et une analyse, incomplets des relations économiques sino-panaméennes. Les données sur les

échanges économiques entre la Chine et le panama en offrent sans doute l’illustration la plus

éloquente. Les volumes des échanges sont indiqués, mais la structure du commerce sino-

panaméen n’est pas analysée. Les chiffres fournis sont les suivants : en 2016, le Panama a

exporté 50,9 millions de dollars américains vers la Chine, alors qu’il importait près de 1,2

milliards de dollars américains de biens et services chinois sur la même période (La Estrella de

Panama 83). De plus, les exportations panaméennes étaient principalement constituées des

produits agricoles, ou des matériaux recyclables (La Estrella de Panama 98). Aucune mention

n’est faite du « déficit commercial significatif » (La Estrella de Panama 342) entre les deux

états avant un article daté du 26 novembre 2017 (La Estrella de Panama 329), soit plus de cinq

mois après la première parution des données sur le commerce sino-panaméen. Il convient de

souligner que les chiffres mentionnés recoupent ceux fournis par le gouvernement panaméen

(source), et sont bien en deçà des statistiques compilées par la Banque Mondiale. En 2016, selon

cette dernière, les importations du Panama en provenance de la Chine auraient atteint 2,8

milliards de dollars US (Banque Mondiale 2018g), alors que les exportations panaméennes vers

la Chine auraient représenté moins de 37 millions de dollars US (Banque Mondiale 2018f). Soit

un ratio importations/exportations supérieur à 80 (source).

Figure 6.

Relations économiques du Panama avec la Chine, 2012-2016, en millions de

dollars US

Banque Mondiale, World integrated trade solutions, exportations du Panama vers la Chine,

importations du Panama à partir de la Chine, en milliers de dollars US

-6000

-4000

-2000

0

2000

4000

6000

2012

2013

2014

2015

2016

Même en extrapolant qu’un tel déficit soit résorbé par des réexportations vers l’Amérique

latine et les Etats-Unis, les indices d’une primarisation de l’économie panaméenne demeurent

apparents. Or cette asymétrie sectorielle n’est pas mentionnée, sauf indirectement, dans des

articles qui appellent à une diversification des exportations latino-américaines vers la RPC. Dans

cette étude, une valeur négative n’est attribuée que si l’article qualifie lui-même cette asymétrie.

La plupart du temps, les données mobilisées le sont pour souligner l’importance des relations

économiques sino-panaméennes, et faisant primer une perspective quantitative positive, sur le

constat d’une asymétrie profonde. Si l’on met de côté l’existence d’un déficit commercial,

l’asymétrie sectorielle demeure. Une analyse mentionne que dans l’éventualité qu’un ALE entre

la Chine et le Panama soit signé, 90% des produits panaméens qui pourraient accéder librement

au marché chinois (La Estrella de Panama 341). Aucune mention n’y est faite de la

concentration des exportations panaméennes dans les matières premières. Les accords passés

entre des entreprises chinoises et panaméennes portent d’ailleurs sur de tels produits, mais ils

sont pourtant présentés de manière positive, en tant qu’exemple d’un approfondissement des

relations économiques entre les deux états (La Estrella de Panama 189).

Ainsi, l’image positive de la Chine dans La Estrella de Panama, bénéficie de la nature des

articles publiés. La plupart d’entre eux sont « informatifs ». Pour l’étude, ce terme renvoie à une

retranscription des faits, ou des déclarations, sans analyse additionnelle de la part du journal. La

nature de l’information privilégie alors la diffusion d’un discours officiel favorable, qui légitime

les relations sino-panaméennes. Ce sont principalement les articles sous la mention « critique »,

souvent des chroniques, qui exposent une vision plus nuancée, voire négative, des relations

économiques entre la Chine et le Panama. L’image positive de la RPC se nourrit également de

divers autres éléments. En premier lieu, le développement des relations économiques sino-

panaméennes fait écho aux besoins, et aux difficultés, économiques du Panama. Ainsi, le secteur

touristique (La Estrella de Panama 159), le secteur bancaire, ainsi que la marine marchande (La

Estrella de Panama 213), ont été définis en tant que « priorités » nationales, et comme des

piliers pour les relations sino-panaméennes (La Estrella de Panama 191). Le secteur touristique

représente 10% du PIB du pays, mais traverserait une période difficile, due à une promotion

inefficace à l’international. Le secteur bancaire a été affecté par les révélations des Panama

Papers. L’obtention d’accords interbancaires, et du statut de « destination touristique approuvée

» (La Estrella de Panama 300), constituent donc des perspectives positives pour ces secteurs

d’activité (La Estrella de Panama 176). Il en va de même pour l’obtention du statut de la nation

la plus favorisée en matière maritime, qui octroie un traitement, et des tarifs préférentiels aux

navires panaméens dans les ports chinois (La Estrella de Panama 320).

L’histoire apparaît comme un facteur favorable supplémentaire pour l’image de la Chine.

Elle bénéficie d’une image positive comparativement aux Etats-Unis, qui pâtissent d’une

représentation négative parfois très marquée, héritage de leur politique étrangère vis-à-vis de

l’Amérique latine et du Panama. Celle-ci est qualifiée de « coloniale » (La Estrella de Panama

104) et donne lieu à une comparaison assez manichéenne entre une puissance impérialiste et

militariste américaine, qui a constitué un « frein » pour le développement du Panama et violé la

souveraineté du pays lors de l’invasion du pays en 1989 (La Estrella de Panama 315), et une

puissance chinoise « pacifique » (La Estrella de Panama 96), gage de développement pour

l’économie panaméenne (La Estrella de Panama 315). La Chine bénéficie également d’une

représentation renouvelée des relations « Sud-Sud », qui ne tient pas compte de

l’« exceptionnalisme » chinois. Les articles de presse diffusent le concept d’une « communauté

de destin » et de « défis », partagée par la communauté internationale, et les pays émergents en

particulier. Cette idée occulte la diversité des trajectoires économiques entre la Chine et

l’Amérique latine, ainsi que le statut unique de la RPC, deuxième puissance économique

mondiale, et susceptible de devenir la première. De même, lorsque la Chine se mue en porte-

parole des « pays en développement » – en opposition aux pays développés – dans le cadre de

la lutte contre le changement climatique (La Estrella de Panama 275), cette association élude

son statut de principal émetteur de gaz à effet de serre (Romano 2013, 77). Ces exemples

illustrent la diffusion médiatique des concepts chinois, rarement considérés de manière critique.

C’est le cas du « nouveau modèle de relations internationales » impulsé par la Chine et les pays

émergents : une mondialisation fondée sur l’intégration et l’ouverture économique, opposée au

virage protectionniste des pays développés (La Estrella de Panama 281). Or une telle

représentation ignore le protectionnisme économique chinois. Et alors que de nombreux articles

évoquent les opportunités à l’exportation offertes par le marché chinois, un seul mentionne la

difficulté d’y accéder (La Estrella de Panama 289). Trois autres articles y font allusion, hors du

cadre des relations économiques sino-panaméennes. Les deux premiers couvrent l’enquête

commerciale ouverte par les Etats-Unis contre la Chine (La Estrella de Panama 139 ; La

Estrella de Panama 158). Le troisième cite le rapport de la Commission européenne sur le

commerce international, qui souligne que la Chine, aux côtés de l’Inde, la Russie, et le Brésil,

constitue l’un des états avec le plus grand nombre de barrières au commerce (La Estrella de

Panama 112).

Enfin, la RPC bénéficie d’une « assise » historique des relations sino-panaméennes,

progressivement construite au fil des articles de presse. Ainsi, le rapprochement diplomatique

entre le Panama et la RPC est daté une première fois en 2005, sous l’administration du président

panaméen Manuel Torrijos (La Estrella de Panama 81 ; La Estrella de Panama 83). Par la suite,

l’historique de ces relations sera retracé jusqu’en 1973 (La Estrella de Panama 88), avec les

échanges entre les délégations chinoises et panaméennes lors de la réunion du Conseil de

sécurité des Nations unies (CSNU) qui s’est tenue dans la ville du Panama. Un auteur avance

même la thèse, très controversée, selon laquelle ce serait la Chine, et non pas l’Occident, qui

aurait découvert l’Amérique (La Estrella de Panama 115). Il dresse ainsi un parallèle historique,

et symbolique, entre cette « découverte », et l’établissement des relations diplomatiques entre la

Chine et la RPC. Enfin, cette assise historique s’imbrique dans des relations interpersonnelles

et sociales : l’intégration de la diaspora chinoise a l’histoire du Panama est soulignée à plusieurs

reprises (La Estrella de Panama 250).

III.

L’engagement chinois en Amérique latine : une image différenciée

Le traitement médiatique de l’engagement chinois en Amérique latine est sensiblement

similaire à celle de l’engagement chinois au Panama : il met en exergue les opportunités

économiques qui y sont associées, tandis qu’il présente les perspectives négatives de manière

secondaire, voire derrière des concepts mélioratifs (A). Pour autant, l’image des relations

économiques entre l’Amérique latine et la Chine s’avère plus critique. Il en ressort une image

moins positive, qui interroge sur le positionnement particulier du Panama vis-à-vis de son

nouveau partenaire chinois (B).