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LA RePRÉSeNTATION De L’« ÊTRe » DANS LeS ARTS INUIT

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101

DeUXIÈme PARTIe

LA RePRÉSeNTATION De L’« ÊTRe »

DANS LeS ARTS INUIT

103

La linéarité de l’histoire et le Nachleben d’Aby Warburg

Des « Vite » à l’histoire culturelle

En 184, Krzysztof Pomian souligne l’hétérogénéité de l’approche historique et philosophique du temps, dont témoigne la diversité des pratiques des historiens 1. La théologie puis la philosophie de l’histoire sont des instances programmatrices du temps de l’histoire, implicitement identifi ées à la morphogenèse 2. Les spéculations concernant le temps global de l’histoire s’appliquent à sa topologie, sa direction, sa division en âges, périodes ou époques. C’est bien lorsqu’elle se déleste d’un « sens » qui lui préexisterait que l’histoire peut envisager une complexité de temporalités. Ce que Pomian formule ainsi :

« L’ascension des sciences sociales au rôle de la chronosophie est allée de pair avec l’abandon graduel de la croyance en une instance coordinatrice de l’histoire et partant de l’idée d’un temps global de celle-ci 3. »

Le temps linéaire, c’est celui des Vite, le temps des généalogies qui s’agencent chronologiquement pour prendre place dans un schéma évolu-tionniste où l’excellence des arts culmine au temps de Vasari. Linéaire, le temps l’est encore au moment où l’histoire de l’art se constitue en discipline mais à la généalogie des vies succède la généalogie des œuvres: en 175, Hubert Robert réalise avec le Projet d’aménagement de la Grande Galerie du Louvre la première spatialisation en peinture du temps linéaire de l’histoire de l’art 4. Dans son dispositif spatial, le tableau d’Hubert Robert annonce le programme du Conservatoire tel que le formule Varon en mai 174.

1. L’HISTOIRe À L’ÉPReUVe

DeS TemPORALITÉS De L’ImAGe

1. K. Pomian, 184. 2. Ibid., p. 355. 3. Ibid.

4. J. Lamoureux, 18.

103

La linéarité de l’histoire et le Nachleben d’Aby Warburg

Des « Vite » à l’histoire culturelle

En 184, Krzysztof Pomian souligne l’hétérogénéité de l’approche historique et philosophique du temps, dont témoigne la diversité des pratiques des historiens 1. La théologie puis la philosophie de l’histoire sont des instances programmatrices du temps de l’histoire, implicitement identifi ées à la morphogenèse 2. Les spéculations concernant le temps global de l’histoire s’appliquent à sa topologie, sa direction, sa division en âges, périodes ou époques. C’est bien lorsqu’elle se déleste d’un « sens » qui lui préexisterait que l’histoire peut envisager une complexité de temporalités. Ce que Pomian formule ainsi :

« L’ascension des sciences sociales au rôle de la chronosophie est allée de pair avec l’abandon graduel de la croyance en une instance coordinatrice de l’histoire et partant de l’idée d’un temps global de celle-ci 3. »

Le temps linéaire, c’est celui des Vite, le temps des généalogies qui s’agencent chronologiquement pour prendre place dans un schéma évolu-tionniste où l’excellence des arts culmine au temps de Vasari. Linéaire, le temps l’est encore au moment où l’histoire de l’art se constitue en discipline mais à la généalogie des vies succède la généalogie des œuvres: en 175, Hubert Robert réalise avec le Projet d’aménagement de la Grande Galerie du Louvre la première spatialisation en peinture du temps linéaire de l’histoire de l’art 4. Dans son dispositif spatial, le tableau d’Hubert Robert annonce le programme du Conservatoire tel que le formule Varon en mai 174.

1. L’HISTOIRe À L’ÉPReUVe

DeS TemPORALITÉS De L’ImAGe

1. K. Pomian, 184. 2. Ibid., p. 355. 3. Ibid.

104

Art inuit : formes de l’âme et représentations de l’être. Histoire de l’art et anthropologie

Le rapport précise que les tableaux de la Grande Galerie seront présentés par écoles et offriront « une suite ininterrompue des progrès de l’art et des degrés de perfection où les ont portés tous les peuples qui les ont successivement cultivés » :

« [La galerie nationale conduira] insensiblement et par une marche graduelle l’histoire vivante de l’art, au plus période [sic] de sa grandeur et de sa force, c’est-à-dire à son terme. Sous ce point de vue, disparaissent bientôt ces distinctions ridicules d’histoire ou de genre, de paysages ou d’histoire : la nature n’ayant dit à personne qu’une danse de village fût une scène déplacée dans la galerie d’un peuple qui s’est imposé à lui-même le devoir d’honorer les vertus champêtres, et d’en préférer les douceurs 5. »

Il faudra donc, résume Johanne Lamoureux, « séparer les écoles, scander la marche du progrès, […] orchestrer le renversement de la peinture d’his-toire en histoire de la peinture 6 ». Le temps est-il cependant seulement linéaire ? En effet, Hubert Robert exécute un pendant au Projet : la Vue imaginaire de la Grande Galerie du Louvre en ruine. Cette double représentation du futur cache, selon Johanne Lamoureux, « deux conceptions absolument antagonistes de l’histoire : une version linéaire, progressiste à la Condorcet, une vision cyclique à la Gibbon 7 ».

L’articulation entre une organisation spatiale des tableaux et une mise en histoire n’est pas neuve cependant. La présentation « impérieuse » du Projet, précise Lamoureux, renoue les liens déjà bien établis par les galeries de portraits au xvie siècle entre le temps de l’histoire et la trajectoire d’un espace linéaire, comme l’ont montré les analyses de Philippe Ariès sur les galeries de portraits comme dispositif historique. L’historiographie, commente alors Michel de Certeau dans L’Écriture de l’Histoire, « a la même structure de tableaux articulés par une trajectoire. Elle re-présente des morts le long d’un itinéraire narratif 8 ».

La galerie s’apparente aux « mises en série classificatrices que l’épistémé du xviiie siècle finissant affectionne encore » : le musée, qui coupe l’objet de son contexte, « retire l’œuvre du réel, la “ruine” », compense ce déraci-nement en lui offrant une nouvelle place dans une série : « qui constituera désormais l’horizon combien “attractif” de ses significations ».

L’autonomisation de la sphère artistique, à laquelle participe le musée, est précisément le point critique à partir duquel s’élaborent les réflexions de Jacob Burckhardt et d’Aby Warburg. Les deux auteurs impriment

5. Y. Cantarel-Besson, 181, p. 228. 6. J. Lamoureux, 18. 7. J. Lamoureux, 1-2000. 8. M. de Certeau, 175, p. 117-118. . J. Lamoureux, 1-2000. inuit_09_232.indd 104 2/05/07 15:03:37 104

Art inuit : formes de l’âme et représentations de l’être. Histoire de l’art et anthropologie

Le rapport précise que les tableaux de la Grande Galerie seront présentés par écoles et offriront « une suite ininterrompue des progrès de l’art et des degrés de perfection où les ont portés tous les peuples qui les ont successivement cultivés » :

« [La galerie nationale conduira] insensiblement et par une marche graduelle l’histoire vivante de l’art, au plus période [sic] de sa grandeur et de sa force, c’est-à-dire à son terme. Sous ce point de vue, disparaissent bientôt ces distinctions ridicules d’histoire ou de genre, de paysages ou d’histoire : la nature n’ayant dit à personne qu’une danse de village fût une scène déplacée dans la galerie d’un peuple qui s’est imposé à lui-même le devoir d’honorer les vertus champêtres, et d’en préférer les douceurs 5. »

Il faudra donc, résume Johanne Lamoureux, « séparer les écoles, scander la marche du progrès, […] orchestrer le renversement de la peinture d’his-toire en histoire de la peinture 6 ». Le temps est-il cependant seulement linéaire ? En effet, Hubert Robert exécute un pendant au Projet : la Vue imaginaire de la Grande Galerie du Louvre en ruine. Cette double représentation du futur cache, selon Johanne Lamoureux, « deux conceptions absolument antagonistes de l’histoire : une version linéaire, progressiste à la Condorcet, une vision cyclique à la Gibbon 7 ».

L’articulation entre une organisation spatiale des tableaux et une mise en histoire n’est pas neuve cependant. La présentation « impérieuse » du Projet, précise Lamoureux, renoue les liens déjà bien établis par les galeries de portraits au xvie siècle entre le temps de l’histoire et la trajectoire d’un espace linéaire, comme l’ont montré les analyses de Philippe Ariès sur les galeries de portraits comme dispositif historique. L’historiographie, commente alors Michel de Certeau dans L’Écriture de l’Histoire, « a la même structure de tableaux articulés par une trajectoire. Elle re-présente des morts le long d’un itinéraire narratif 8 ».

La galerie s’apparente aux « mises en série classificatrices que l’épistémé du xviiie siècle finissant affectionne encore » : le musée, qui coupe l’objet de son contexte, « retire l’œuvre du réel, la “ruine” », compense ce déraci-nement en lui offrant une nouvelle place dans une série : « qui constituera désormais l’horizon combien “attractif” de ses significations ».

L’autonomisation de la sphère artistique, à laquelle participe le musée, est précisément le point critique à partir duquel s’élaborent les réflexions de Jacob Burckhardt et d’Aby Warburg. Les deux auteurs impriment

5. Y. Cantarel-Besson, 181, p. 228. 6. J. Lamoureux, 18. 7. J. Lamoureux, 1-2000. 8. M. de Certeau, 175, p. 117-118. . J. Lamoureux, 1-2000. inuit_09_232.indd 104 2/05/07 15:03:37

105 à l’histoire de l’art et à la conception linéaire du temps un tournant radical dès la fin du xixe siècle. D’historiciste ou historisante, l’histoire devient culturelle. Burckhardt développe l’idée d’une hétérogénéité du temps, rendant caduque l’idée d’une évolution se délestant peu à peu de l’histoire, pour mieux considérer, au contraire l’« addition inconsciente de patrimoines culturels » :

« De nombreux éléments de culture, provenant peut-être de quelque peuple oublié, continuent à vivre inconsciemment comme un héritage secret et sont passés dans le sang même de l’humanité. Il faudrait toujours tenir compte de cette addition inconsciente de patrimoines culturels, aussi bien chez les peuples que chez les individus. Cette croissance et cette perte obéissent aux lois souveraines et insondables de la vie 10. »

Loin de tout système, Burckhardt n’envisage donc pas l’histoire selon une perspective universelle évolutionniste. « Il ne nous est pas possible de débuter par le passage de la barbarie à la civilisation », estime Burckhardt, qui met néanmoins à part certains usages comme les sacrifices humains. Avec une telle conception du temps culturel, Burckhardt questionne la notion historique de commencement et souligne la relativité de cette notion lorsqu’elle est appliquée à différentes cultures :

« Dans toutes les sciences, sauf en histoire, l’on peut commencer par le commen-cement. Car les idées que nous nous faisons sur le passé ne sont la plupart du temps que des constructions de notre esprit ou de simples réflexes […]. Ce qui est valable pour un peuple ou une race l’est rarement pour d’autres, ce que nous croyons être un état initial n’est jamais qu’un stade déjà fort évolué 11. »

L’historien allemand suggère également un processus historique qui n’obéirait pas au simple écoulement linéaire du temps :

« L’histoire est autre chose que la nature ; sa manière de produire, de faire naître et périr est différente. […] Un instinct primordial pousse la nature à créer suivant une logique organique des variétés infinies d’espèces comportant une grande similitude d’individus. La variété (à l’intérieur de l’espèce Homme, il est vrai) est loin d’être aussi grande en histoire ; il n’y a pas de limites nettes, mais des individus qui se différencient, c’est-à-dire qui se développent en s’opposant 12. »

Du modèle de Hegel, qu’il tient à distance, Burckhardt réfute l’exactitude des prémisses d’une « conception hardie d’un plan providentiel 13 ». Le temps

10. J. Burckhardt,1865-1885, trad. 165, p. 3-4. Cité par G. Didi-Hubeman, 2002, p. 114.

11. J. Burckardt, 1868-1871, trad. 165 p. 3, 4 et 8. 12. Ibid., p. 1, 2 et 17.

13. Ibid. « Nous ne sommes point initiés aux desseins de l’éternelle sagesse et cette conception hardie d’un plan providentiel entraîne à des erreurs, puisque les prémisses mêmes sont inexactes. »

La représentation de l’« être » dans les arts inuit

105 à l’histoire de l’art et à la conception linéaire du temps un tournant radical dès la fin du xixe siècle. D’historiciste ou historisante, l’histoire devient culturelle. Burckhardt développe l’idée d’une hétérogénéité du temps, rendant caduque l’idée d’une évolution se délestant peu à peu de l’histoire, pour mieux considérer, au contraire l’« addition inconsciente de patrimoines culturels » :

« De nombreux éléments de culture, provenant peut-être de quelque peuple oublié, continuent à vivre inconsciemment comme un héritage secret et sont passés dans le sang même de l’humanité. Il faudrait toujours tenir compte de cette addition inconsciente de patrimoines culturels, aussi bien chez les peuples que chez les individus. Cette croissance et cette perte obéissent aux lois souveraines et insondables de la vie 10. »

Loin de tout système, Burckhardt n’envisage donc pas l’histoire selon une perspective universelle évolutionniste. « Il ne nous est pas possible de débuter par le passage de la barbarie à la civilisation », estime Burckhardt, qui met néanmoins à part certains usages comme les sacrifices humains. Avec une telle conception du temps culturel, Burckhardt questionne la notion historique de commencement et souligne la relativité de cette notion lorsqu’elle est appliquée à différentes cultures :

« Dans toutes les sciences, sauf en histoire, l’on peut commencer par le commen-cement. Car les idées que nous nous faisons sur le passé ne sont la plupart du temps que des constructions de notre esprit ou de simples réflexes […]. Ce qui est valable pour un peuple ou une race l’est rarement pour d’autres, ce que nous croyons être un état initial n’est jamais qu’un stade déjà fort évolué 11. »

L’historien allemand suggère également un processus historique qui n’obéirait pas au simple écoulement linéaire du temps :

« L’histoire est autre chose que la nature ; sa manière de produire, de faire naître et périr est différente. […] Un instinct primordial pousse la nature à créer suivant une logique organique des variétés infinies d’espèces comportant une grande similitude d’individus. La variété (à l’intérieur de l’espèce Homme, il est vrai) est loin d’être aussi grande en histoire ; il n’y a pas de limites nettes, mais des individus qui se différencient, c’est-à-dire qui se développent en s’opposant 12. »

Du modèle de Hegel, qu’il tient à distance, Burckhardt réfute l’exactitude des prémisses d’une « conception hardie d’un plan providentiel 13 ». Le temps

10. J. Burckhardt,1865-1885, trad. 165, p. 3-4. Cité par G. Didi-Hubeman, 2002, p. 114.

11. J. Burckardt, 1868-1871, trad. 165 p. 3, 4 et 8. 12. Ibid., p. 1, 2 et 17.

13. Ibid. « Nous ne sommes point initiés aux desseins de l’éternelle sagesse et cette conception hardie d’un plan providentiel entraîne à des erreurs, puisque les prémisses mêmes sont inexactes. »

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Art inuit : formes de l’âme et représentations de l’être. Histoire de l’art et anthropologie

n’est pas une simple chronologie : la vie historique est faite de « complexe diversité », de « déguisements », de «liberté » et de « contrainte 14 ».

« [L’historien doit analyser chaque force] pour passer à l’analyse de leur influence réciproque, constante et progressive, et particulièrement de celle de l’élément mobile (la culture) sur les deux puissances stables [État et religion]. Nous étudierons ensuite les mouvements accélérés du processus historique (crises et révolutions, ruptures et réactions), puis le phénomène d’absorption partielle ou intermittente, la fermentation simultanée de toutes les autres formes de la vie, les ruptures et les réactions, pour passer enfin à ce que l’on pourrait appeler la science des perturbations 15. »

Dans son projet de construction d’une histoire culturelle, Gombrich fera le procès de la conception évolutionniste de l’histoire proposée par Burckhardt 16. Gombrich estime en effet que son approche est débitrice d’un schéma hégélien, tout en reconnaissant que Burckhardt devait de plus en plus s’écarter d’une interprétation optimiste de l’histoire.

Panofsky et le temps historique

Dans « Le Problème du temps historique », Panofsky analyse les relations complexes entre histoire et culture. La richesse de l’ensemble des sculptures de la cathédrale de Reims et la diversité des directions stylistiques qui s’interpénètrent et coexistent rendent problématique la référence à un continuumhistorique. Tant de différences au sein d’œuvres contemporaines engagent-elles à mettre en doute l’idée de continuité historique, l’idée de relation temporelle historique se révélant alors « chose pratiquement irréalisable et même logiquement alarmante » ?

Face à cette question, Panofsky clarifie la distinction entre temps naturel et temps historique, et la relation de ces termes avec l’espace géographique et l’espace historique. Le temps et l’espace sont alors envisagés sous l’angle d’une « unité de sens » (pour l’historien), et d’une « unité stylistique » pour l’historien d’art, « recouvrant une pluralité de phénomènes divers et les reliant en un ensemble ordonné ». L’historien d’art considérant cette unité sous l’angle diachronique ou synchronique, une infinie variété de systèmes de références apparaît, soit que le cadre d’analyse corresponde à une certaine parcelle d’espace historique rapportée à un certain laps de temps historique, soit qu’il corresponde à un certain laps de temps historique dans les limites d’une certaine portion d’espace historique.

Panofsky, dans son analyse, insiste sur l’idée de cohérence : « chacun de ces systèmes représente un continuumspatio-temporel de dimensions très 14. Ibid., p. .

15. Ibid., p. 1 et 3. 16. E. Gombrich, 16.

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Art inuit : formes de l’âme et représentations de l’être. Histoire de l’art et anthropologie

n’est pas une simple chronologie : la vie historique est faite de « complexe diversité », de « déguisements », de «liberté » et de « contrainte 14 ».

« [L’historien doit analyser chaque force] pour passer à l’analyse de leur influence réciproque, constante et progressive, et particulièrement de celle de l’élément mobile (la culture) sur les deux puissances stables [État et religion]. Nous étudierons ensuite les mouvements accélérés du processus historique (crises et révolutions, ruptures et réactions), puis le phénomène d’absorption partielle ou intermittente, la fermentation simultanée de toutes les autres formes de la vie, les ruptures et les réactions, pour passer enfin à ce que l’on pourrait appeler la science des perturbations 15. »

Dans son projet de construction d’une histoire culturelle, Gombrich fera le procès de la conception évolutionniste de l’histoire proposée par Burckhardt 16. Gombrich estime en effet que son approche est débitrice d’un schéma hégélien, tout en reconnaissant que Burckhardt devait de plus en plus s’écarter d’une interprétation optimiste de l’histoire.

Panofsky et le temps historique

Dans « Le Problème du temps historique », Panofsky analyse les relations complexes entre histoire et culture. La richesse de l’ensemble des sculptures de la cathédrale de Reims et la diversité des directions stylistiques qui s’interpénètrent et coexistent rendent problématique la référence à un continuumhistorique. Tant de différences au sein d’œuvres contemporaines engagent-elles à mettre en doute l’idée de continuité historique, l’idée de relation temporelle historique se révélant alors « chose pratiquement irréalisable et même logiquement alarmante » ?

Face à cette question, Panofsky clarifie la distinction entre temps naturel et temps historique, et la relation de ces termes avec l’espace géographique et l’espace historique. Le temps et l’espace sont alors envisagés sous l’angle d’une « unité de sens » (pour l’historien), et d’une « unité stylistique » pour l’historien d’art, « recouvrant une pluralité de phénomènes divers et les reliant en un ensemble ordonné ». L’historien d’art considérant cette unité sous l’angle diachronique ou synchronique, une infinie variété de systèmes de références apparaît, soit que le cadre d’analyse corresponde à une certaine parcelle d’espace historique rapportée à un certain laps de temps historique, soit qu’il corresponde à un certain laps de temps historique dans les limites d’une certaine portion d’espace historique.

Panofsky, dans son analyse, insiste sur l’idée de cohérence : « chacun de ces systèmes représente un continuumspatio-temporel de dimensions très 14. Ibid., p. .

15. Ibid., p. 1 et 3. 16. E. Gombrich, 16.

107 limitées mais de structure parfaitement articulée […] ». En conséquence, la dimension infinie de ces systèmes de références ne compromet-elle pas, à son tour, la dimension historique ?

« Arrivé à ce point de notre réflexion, il semble que cette infinie variété de “systèmes de références”, qu’à un stade primaire l’historien d’art a devant soi et qui constitue un monde, équivale à un chaos monstre qu’il est pour ainsi dire impossible de mettre en forme. […] ne nous trouvons-nous pas alors dans un monde sans aucune homogénéité où cohabitent des systèmes de référence figés […] et dans une singularité irrationnelle ? »

Cette incertitude inconfortable est balayée par l’introduction d’un « ordre secondaire », celui de la culture, par rapport à l’« ordre naturel » : « Il nous faudra seulement nous montrer disposés à reconnaître que cet ordre est en quelque sorte un ordre secondaire qui ne peut pour ainsi dire être réalisé dans le déroulement du temps naturel homogène qu’ex post, c’est-à-dire par un réancrage des systèmes de références qualifiés historiquement. »

L’exigence historique semble l’emporter sur l’exigence culturelle : « Ces “unités de sens” plus ou moins vastes que nous discernons dans les

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