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Les représailles de grande envergure

Cette crainte des représailles serait à l'origine de l'euro-marché en 1953 lors de la guerre de Corée, comme nous l'avons déjà signalé (banques des pays de l'Est conservant leurs avoirs en dollars en Europe de peur d'un blocage par les États-Unis).

L'utilisation de cette arme politico-économique a failli remettre en cause le marché des euro-crédits en 1979-1980 lors de la révolution iranienne, à la suite de la prise d'otages à l'Ambassade américaine de Téhéran et des mesures de rétorsion (gel des avoirs iraniens ... ) du Président des États-Unis, Jimmy Carter à l’époque. Des procès eurent lieu dans le monde et les euro-banques se trouvèrent durant plusieurs mois dans une impasse.

En effet, la crise iranienne a affecté un secteur important des financements internationaux, d’importance essentielle pour le recyclage des pétro-dollars, en ébranlant au moins temporairement la confiance des emprunteurs, des déposants et des prêteurs. Le gel des avoirs iraniens a alarmé les pays de l’O.P.E.P, et en particulier le Koweit (Financial Times, « Arab Banking and Finance » p. 11, 22 Oct. 1980). Il a probablement été la cause

d’une réduction des entrées en dollars de 4 milliards à 3,1 milliards, accompagnée par une augmentation des placements fiduciaires en Suisse et des placements par des sociétés caribéennes (Financial Times, Sept. 22, Section III, p. 1) (48).

Le gel des biens du Shah, qui fait partie de l’accord, ayant permis la libération des otages, peut renforcer la crainte des déposants qui placent leurs fonds dans des comptes fiduciaires qui alimentent les euro-crédits (Financial Times, « Searching for a More Secure Haven », 21 Janvier 1981). Il n’en demeure pas moins que les pays producteurs reconnaissent le caractère refuge des placements en dollars et en particulier la nécessité d’alimenter les euro-crédits (on a même souligné – « OPEP’s Dollars Dilemma », Financial Times, 21 Janvier 1981, p. 16 – que, paradoxalement, en gelant les dollars iraniens et en les empêchant de se convertir en DM, qui se sont dépréciés à l’époque, les autorités américaines avaient préservé la valeur des dépôts iraniens). La secousse ébranle, cependant, un système où le recyclage des liquidités est un processus qui a besoin de montants de plus en plus importants. Dans ce mécanisme triangulaire il est nécessaire que les déposants acceptent de confier leurs liquidités à ces mécanismes de financement internationaux, plutôt que de les investir dans des valeurs refuges comme l’immobilier ou l’or, que les prêteurs prennent le risque de stabilité des dépôts et de solvabilité des emprunteurs et qu’enfin les emprunteurs valables acceptent de s’engager.

En mettant ainsi en cause les relations de confiance, la crise iranienne a souligné l’importance capitale des aspects juridiques. Elle a mis en cause les bases juridiques du marché des euro-dollars en posant le problème du pouvoir des autorités sur leur monnaie, problème qui, en raison de l’accord intervenu n’a pas été tranché. Elle a par, ailleurs, ébranlé, non seulement, un certain nombre de concepts du droit financier international, mais même différents concepts concernant de façon générale les contrats internationaux et plus particulièrement le paiement dans les contrats internationaux.

Son dénouement («compromis Algérien du 19 Janvier 1981») : (le « dégel » des avoirs iraniens et ses conséquences sur les prétentions des partenaires commerciaux), a risqué d’affecter de même le droit des relations internationales. La libération des otages a mis fin au contentieux de droit international public. En revanche, l’imbroglio iranien a continué à alimenter la réflexion en matière de droit international financier et commercial (49).

Quoique l'action fut moins spectaculaire et de portée plus modeste, rappelons également qu'à la suite de la « normalisation » de 1981 en Pologne sous les directives de l'Union Soviétique, l'Administration américaine a demandé à l'Europe occidentale de la

(48) – Cf. Georges Berlioz, la Crise Iranienne et les euro-crédits, in Travaux du C.R.E.D.I.M.I, opcit, Volume 8, librairies techniques, Paris 1981, p. 593.

soutenir contre l'U.R.S.S. en prenant des mesures de rétorsion ; parmi ces sanctions figuraient la remise en question de la livraison de gaz soviétique en Europe et notamment la non-signature des contrats de crédit pour permettre le financement du projet dont les investissements initiaux (construction d'un gazoduc) étaient estimés à environ USD dix milliards. Cette incitation américaine n'a toutefois pas eu beaucoup d'effet en Europe, les principaux pays concernés (Allemagne, France, Italie) ayant trop d'intérêts à la réalisation de ce « contrat gazier du siècle ». Il aurait cependant été peu concevable d'inviter des banques américaines à participer à d'éventuels euro-crédits concernant un tel financement.

L'arme politico-économique a encore été brandie en Avril 1982 par la Grande-Bretagne contre l'Argentine dans l'affaire des îles Falkland (ou Malouines). Lorsque l'Argentine a envahi militairement ce territoire de quelques milliers d'habitants isolé dans l'Atlantique, occupé par une centaine de soldats anglais, mais présumé posséder des richesses énergétiques, aussitôt Mme Thatcher, Premier ministre, a d'une part envoyé vers ces îles une part importante de la flotte de guerre britannique et, d'autre part, décidé de bloquer les transactions financières argentines gérées par les banques anglaises et les filiales des banques étrangères domiciliées à Londres (50). Or, à ce moment-là, l'Argentine avait emprunté quelque 21 milliards de dollars sur l'euro-marché, dont 7 milliards arrivaient à échéance tandis que plusieurs centaines de millions de crédits, non encore utilisés, se trouvaient dans l'impossibilité d'être tirés. Le 8 avril 1982, les intérêts d'un euro-crédit de USD 125 millions, monté en 1979 en faveur de Agua y Energia Eletrica, ne purent être payés. Des subterfuges juridiques durent être trouvés pour d'autres opérations afin de ne pas sombrer dans les mêmes difficultés que celles liées à l'embargo sur les avoirs iraniens deux ans plus tôt, mais d'une façon générale la crise malouine rendit délicates les relations entre les banquiers prêteurs et les emprunteurs d'Amérique latine.

S'il est normal qu'un conflit politique entre deux nations affecte leurs relations financières, la tendance actuelle est d'impliquer, via l'euro-marché, bon gré mal gré les autres nations ; les pays en conflit s'efforcent, en effet, d'exercer des pressions sur les établissements bancaires internationaux de toutes nationalités bien que ceux-ci n'aient rien à voir avec ce conflit. L'argent a toujours été le nerf de la guerre et les liquidités internationales offrent un nouveau champ de manoeuvre particulièrement approprié quand l'un des belligérants dispose d'une place financière influente.

(50) – La grande différence avec le gel des avoirs iraniens est que la Banque d'Angleterre n'a pas essayé d'imposer ces mesures aux banques hors de la juridiction britannique, alors que le «freeze order » du Président Carter avait un caractère d'extra-territorialité et s'appliquait aux banques américaines où qu'elles soient.

La politisation de l'euro-marché est donc son talon d'Achille. Son fonctionnement deviendrait impossible si des entraves politiques sont mises dans ses rouages. Jusqu'à présent des compromis ont toujours fini par l'emporter mais en sera-t-il à chaque fois ainsi ?

B