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Il repoussa sa main :

Dans le document LE PHARE DE HAZARD. DERNIÈRE PARTIE (i) (Page 26-30)

— Ah ! Paddy ! Paddy ! fit-il avec rage. Ce nom

stupide !...

LE l'HARE HK HAZAV',1). 31 Sa tête retomba sur le lit ; il se tourna vers lé mur et il répéta, dans un souffle -•

— Paddy !...

Ketty était allée reposer le bol sur le meuble. Elle revint, passa la main sur le front de David Forbes :

— Père, fit-elle, vous ne désarmerez donc jamais ?...

Il fit mine de se redresser, me regarda avec une haine féroce :

— Jamais ! lança-t-il, jamais !... Toi et lui, vous m'avez tué ! Sortez de cette pièce et laissez-moi mourir en paix !...

— Commandant..., lui dis-je.

Je pris une chaise, m'assis à califourchon et, appuyant au dossier mes deux bras croisés :

— Commandant, répétai-je, il faut tout de même que j'aie une petite conversation avec vous...

— Non!... E t il n ' y a plus dé commandant!... Allez-vous-en !...

K e t t y me toucha l'épaule avec la main :

— Non, Paddy, il ne vous écoutera pas... Venez...

Je lui pris la main, la lui baisai :

— Il m'écoutera !...

E t me tournant vers David Forbes :

-— Vous m'écouterez !... Parce qu'il ne s'agit pas d<*

Ketty, il s'agit de votre phare...

— Mon phare ?... Quoi ?... Qu'est-ce qu'il a fait, mon phare ?... Je me moque de mon phare !...

E t deux secondes après :

—' Qu'est-ce que vous avez à me raconter sur mon phare ?

— Dans quelques instants, des gens vont venir, et ils vont démolir votre lanterne, après noua avoir tués tous les trois !...

— Hein ? fit-il. Ah ! encore !... Cette histoire n'est donc pas finie ?... Pour détourner de sa route le steam-boat de Savannah ?... Qui leur a dit que j'étais mourant, que je ne pouvais plus rien ?... Toi, Ketty ?

—~ Oh ! père ! Pouvez-vous supposer ?...

Il montra à sa fille le fusil qui était accroché au mur, au-dessus de sa couchette :

— Tu sais te servir de ça ?...

Elle joignit les mains :

— Mon Dieu !... Père !... Je l'ai déchargé, j ' a i déchargé

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vos revolvers... J'avais peur... et j ' a i jeté toutes les cartouches à la mer !...

— Pauvre innocente ! répondit-il. Je l'ai rechargé !...

et tiens !...

Une de ses mains sortit de dessous son drap, s'ouvrit;

Une poignée de cartouches tombèrent sur le lit.

— Prends encore ça ! fit-il. E t tire !... tire !... t a n t qu'il en restera un, de ces gredins !... Vise au ventre, vise à là tête..., n'aie pas peur du sang... Conduis-toi en soldat..., comme ta mère, t u entends, Ketty ?... quand les Indiens sont arrivés et qu'elle a fait le coup de feu jusqu'au bout !...

— Mais, père, dit-elle, Paddy est là !...

— Paddy ! Toujours Paddy !... rugit-il. Je ne veux pas entendre parler de Paddy !

Il avait fait un suprême effort pour se soulever à moitié sur sa couche. Il retomba, épuisé.

VIII

Ketty et moi, nous étions montés sur la plate-forme. Nous attendions depuis des heures. Ils ne se pressaient pas d'ar-river. Ils ne tenaient sans doute pas à se trouver dans le champ de tir de David Forbes. Ils ne se risqueraient que la nuit venue. Elle vint. Ketty alluma le phare. Je m'étais assis par terré, comme à l'affût. J'avais le fusil à la main, la poignée de cartouches devant moi. Je ne quittais pas des yeux cet endroit de la balustrade où l'échelle aboutissait. K e t t y était assise, elle, au haut du petit escalier. Je n'apercevais d'elle, dans l'ombre, que la tache blanche de ses mains posées sur ses genoux et la tache plus pâle encore de son visage. Pas de lune, cette nuit-là. Mais des étoiles énormes, qui brillaient comme des soleils. La mer baissait. Tout autour du phare, les rochers s'étaient découverts. Les trois hommes ne pou-vaient plus tarder. Il devait être neuf heures. Le steam-boat de Savannah commencerait à apercevoir la lueur du phare vers onze heures. Ils arrivèrent à dix heures. Je les entendis accoster, marcher sur les goémons glissants. L'un d'eux lâcha un sourd juron. Ils attrapèrent l'échelle.

— Pad ! fit Ketty. Que Dieu nous garde !

" Je distinguais mal le haut de l'échelle. Lé premier des

LE PHARE DE HAZARD. 33 trois hommes m'aperçut avant que je l'eusse aperçu moi-même et il dut me prendre pour David Forbes. Il tira. La balle me.

siffla aux oreilles, s'aplatit derrière moi. J'étais accroupi.

Je me levai, me dirigeai vers l'échelle. Ketty, au passage, essaya de m'arrêter.

— Vous êtes fou ! me dit-elle. Ils vont vous tuer !

Je ne répondis pas. Un second coup de feu claqua, qui fit sauter une vitre de la lanterne. J'arrivai à l'échelle. L'homme, ses deux coups de feu lâchés, avait redescendu quelques échelons. Je l'entendis recharger son arme. Au jugé, de haut en bas, je tirai. Je vis l'homme lâcher l'échelle, tomber.

Il s'écrasa sur les rochers, sans un cri. Je tirai de nouveau.

Celui-là poussa un hurlement de douleur et de rage, fit mine de grimper les quelques échelons qui le séparaient de moi.

Je pris mon couteau, pour le recevoir. Puis il tomba à son tour.

Le troisième, pendant que je rechargeais mon fusil, descendit précipitamment l'échelle et, d'en bas, il me canarda. Chose curieuse, son compagnon, à bout portant, m'avait raté. Lui, il dut tirer comme on décharge son fusil en l'air en rentrant de la chasse et sa balle m'enleva la moitié de l'oreille gauche.

Il en est résulté par la suite que j ' a i dû rabattre mes cheveux de ce côté. Je tirai à mon tour et fus moins heureux que lui.

Je l'entendis courir dans les rochers, s'affaler, se relever, sauter dans la barque. On ne le rattrapa que huit jours plus tard, à Jacksonville.

Les assaillants repoussés, il ne fallait tout de même pas s'endormir. Il fallait au moins attendre que le steam-boat se fût engagé dans la passe. L'homme qui venait de m'échapper ramènerait peut-être du renfort. Je saignais beaucoup, avec mon oreille. Ketty descendit, me rapporta de l'eau et des linges. Elle me pansa, avec des mains si douces que je n'en regrettais plus mon oreille. J'étais revenu m'asseoir par terre, le dos contre la balustrade. Ketty me dit :

— Dormez, Pad. Vous devez être las. Je ferai le guet, et, si j'entends quelque chose, je vous réveillerai.

Elle s'assit près de moi, coucha ma tête sur son épaule.

Nous restâmes ainsi trois minutes. Puis la position dut lui paraître incommode. Alors, elle s'allongea à demi sur le sol, coucha sa tête sur mon genou, et, vingt secondes après, elle était tombée dans le plus profond, dans le plus heureux

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sommeil. C'était sa façon de faire le guet. Des heures cou-lèrent. J'entendis enfin un coup de sifflet et le steam-bçat passa, à un demi-mille du phare. Il devait y avoir une fête à bord, quelque chose comme un bal. Un cornet à piston jouait une polka.

Je m'endormis à mon tour,

Les premiers feux de l'aurore nous réveillèrent tous deux en même temps. Nous nous levâmes. La mer était haute.

Il ne restait plus aucune trace, aucun souvenir de ce qui s'était passé pendant la nuit. Nous descendîmes. Davîd Forbes, sur sa couchette, était tourné contre le mur.

— Père, lui dit Ketty, ils étaient trois, et vous pensez bien que, moi, je n'aurais jamais pu en venir à bout !... C'est Paddy qui s'en est chargé... Il en a tué deux, et le troisième s'est sauvé... Paddy a été blessé...

— Où ? demanda-t-il.

— A l'oreille...

— A l'oreille ! fit-il. Les idiots !...

E t ce furent ses dernières paroles. Il mourut quelques minutes après. Je n'avais jamais rencontré une telle persis-tance dans la haine. Ketty en fut elle-même si affectée et elle en garda, à l'égard de son père, une telle rancune, qu'elle ne voulut jamais qu'aucun de nos sept enfants fût prénommé David. Or il n'y a pas t a n t de prénoms possibles dans le calendrier. On en arrive assez vite à des prénoms bizarres»

Un de nos garçons, l'avocat, 6'appelle Jonas. Ne lui parlez jamais de baleine, il vous étranglerait.

JEAN MAETETI

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