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Repérer les praxéologies utiles à la RII

PARTIE 1 D’UN ITINÉRAIRE PROFESSIONNEL À UN CHEMINEMENT SCIENTIFIQUE

2. Repérer les praxéologies utiles à la RII

Le problème central dans le repérage des praxéologies utiles à la RII est celui des conditions et contraintes déterminant les équipements praxéologiques institutionnels et personnels en matière de RII. Nous l’avons vu, il s’agit d’un domaine pour lequel la transposition didactique n’avait, il y a dix ans, encore guère opéré puisque l’objet était relativement nouveau. Les différentes étapes du processus de transposition didactique semblaient alors apparaître à l’état naissant (désignation de l’objet à étudier, constitution du texte du savoir, etc.).

Problèmes inhérents au repérage à réaliser

Dans notre approche didactique, deux problématiques solidaires se posaient dans ce travail de repérage. D’abord le faible niveau de connaissance des techniques de RII. Nos différentes observations avaient mis en lumière que pour bon nombre de personnes il n’y avait « rien à savoir », ou presque, et qu’on entendait souvent dire qu’il n’y a qu’à « regarder » sur Internet, comme si cela allait de soi et pouvait se réduire à un seul type de tâche accompli par une seule technique. Faire la didactique de cet équipement praxéologique minimal n’était pas notre objectif, nous centrer sur celui des quelques experts, le plus souvent professionnels, n’était pas en cohérence avec l’idée de rechercher les praxéologies utiles pour tel ou tel public. La question se posait aussi de comprendre pourquoi, alors même que dans certaines institutions des pratiques plus développées de RII s’étaient développées, ces pratiques étaient si peu diffusées au sein de la société. Nous pouvions aisément conclure sur un fait essentiel : « une

culture de la RII adéquate aux besoins praxéologiques des personnes et des institutions, si elle existe, ne baigne aujourd’hui que dans de rares et étroits milieux institutionnels » (Ladage, 2008, p. 56). Le paradigme de l’effort minimal déployé pour apprendre des techniques de recherche sur les moteurs de recherche est d’ailleurs encouragé par les moteurs de recherche eux-mêmes, comme en témoigne le rêve caressé par les fondateurs de Google, celui de la

perfect search, la « recherche parfaite », soit “the ability to ask any question and get not just an accurate answer, but your perfect answer, an answer that with eerie precision is informed by who you are and why you’re asking”, rapporté par l’un de leurs biographes (Battelle, 2006,

p. 252). D’aucuns pourraient se révolter à l’idée d’une telle emprise sur ses recherches, mais on note, sans pleinement en saisir la raison, que « dans un tel paradigme praxéologique, l’usager minore le plus souvent son propre rôle face à la “machine”, censée faire ce qu’elle veut – ou plutôt ce que veulent les lois qui la gouvernent » (Ladage, 2008, p. 50).

La deuxième problématique inhérente à un repérage de praxéologies en matière de RII est celle de l’exploration de l’équipement praxéologique actuel des usagers, quel qu’en soit le niveau. L’exploration de l’équipement praxéologique existant posait donc problème. À partir du constat que nous avions fait à l’époque de l’absence d’une culture praxéologique en matière de RII qui soit à la fois bien développée et bien diffusée, nous avons tenté d’en comprendre l’origine par l’analyse praxéologique de la diversité de discours que nous avions recueillis. Cette analyse révélait que la pauvreté de la culture de la RII, en termes de manque de profondeur et de partage social, se traduisait au plan de la praxis (pratico-technique) par le fait que les gestes techniques se réduisaient à très peu de types de tâches, faute sans doute de connaître une technique adéquate pour mettre en œuvre des types de tâches de recherche plus élaborées. Elle révélait aussi que fleurissaient des idiosyncrasies techniques, marquées par des variations inattendues d’une personne à l’autre, témoin probable d’un manque de partage au sein d’une même institution. Sur le plan du logos – celui des explications proposées par les personnes et les institutions quant au pourquoi de leurs techniques de RII –, l’analyse praxéologique révélait que cette pauvreté de la culture de la RII se traduisait fréquemment par le recours à des explications peu solides, le plus souvent non vérifiées, voire carrément inventées.

Le travail ainsi mené pour la thèse confirmait que les pratiques de RII étaient marquées par ce qu’on pouvait qualifier de bricolage praxéologique personnel. Celui-ci manquait de partage social suffisant qui aurait pu contribuer à la construction d’une culture commune plus développée qui à son tour aurait contribué à homogénéiser l’hétérogénéité ambiante pesant lourdement sur l’élaboration d’une didactique de la RII.

Cette étude en didactique de la RII a ainsi pu donner l’exemple d’un cas relativement circonscrit et délimité de ce qu’étudie la TAD quand elle parle la didactique comme science des conditions et contraintes de la diffusion des praxéologies, en étudiant des phénomènes essentiels dans tout processus didactique. L’étude didactique de la RII avait montré que la science de la RII était faite, à ce moment-là du moins, d’apports multiples et encore

hétérogènes aussi bien du point de vue de leurs problématiques, que de leurs concepts ou méthodes. Une telle approche en didactique s’interroge sur l’offre praxéologique qu’une personne donnée est en mesure de rencontrer, ou non, ce qui ne se limite donc pas à la rencontre des personnes qui pratiquent ces praxéologies. Elle porte aussi sur le cas d’une personne à qui se poserait une question de RII et qui se trouverait aux prises avec la recherche de réponses à sa question dans son environnement culturel disponible.

Ce questionnement-là s’inscrit dans la recherche d’une bonne épistémologie de la didactique dans lequel l’examen d’un système praxéologique quel qu’il soit, suppose ce que Bosch et Gascón ont appelé « un modèle épistémologique de référence » (Bosch & Gascón, 2005). Ce modèle ne peut se réduire à une référence à une version savante ou pseudo-savante supposée du savoir considéré. Il doit pouvoir permettre d’interroger toute version possible, y compris savante, de ce savoir. Le travail du didacticien dans la constitution d’un modèle praxéologique de référence doit donc répondre à la double question de la définition d’une culture praxéologique, ici de la RII, et celle de la détermination de l’équipement praxéologique auquel il est possible d’accéder dans des conditions et sous des contraintes étudiées. Comment le didacticien peut-il opérer pour tenter de répondre à ces questions ?

Élaboration de techniques exploratoires

Cette exigence épistémologique s’applique particulièrement dans le cas de la RII que nous étudions, du fait du faible niveau de sa transposition didactique, ce qui justifie donc que soit réalisé un repérage praxéologique explicite (une sorte de panorama praxéologique), pour lequel nous avons mis au point, en collaboration avec notre directeur de thèse Yves Chevallard, deux techniques exploratoires de l’offre praxéologique de RII (Ladage, 2008, pp. 524-550). La première technique a consisté à réaliser un questionnement méticuleux et très détaillé de différents textes et exposés – un corpus d’exposés sur la RII –, méthode que nous avons qualifiée de « lecture questionnante ». L’objectif était d’identifier, contraster et interroger des praxéologies de RII consignées dans des exposés écrits diffusés en format papier ou numérique. La première « question » de cette lecture était de repérer l’existence de réponses à des questions de RII qui se sont un jour posées à des personnes pratiquant la RII. Le travail ainsi engagé allait vite mettre en évidence l’absence, ou du moins une pénurie, de questions de RII. La deuxième « question » de cette lecture était de savoir si sur les techniques et questions abordées dans ces exposés, l’exposé que l’on a là devant soi apporte une réponse aux questions que soulève son texte et qui ne sont pas forcément explicitées, ou que sa richesse apparente cache une réponse vide sur ces points. Dans la lecture questionnante on part de l’idée que l’on pourrait s’attendre à ce que les exposés proposés contiennent des réponses à des questions de RII qui se sont posées à des personnes tentant de réaliser une RII. La lecture questionnante des exposés sur la RII a précisément eu pour objectif d’« excrire » ces questions, selon une expression développée en TAD, voulant dire que l’on explore les textes où ont été inscrites des réponses que leur mise en texte a souvent « dévitalisées », loin

des questions auxquelles elles se destinaient20. Nous avions ainsi « excrit » 388 questions (Ladage, 2008, pp. 484-523) provenant de deux exposés sur la RII afin de mesurer ensuite si les exposés circulant sur la RII proposaient des réponses à ces questions. L’objectif étant de déterminer à quelle « culture de la RII » ces exposés assuraient l’accès, en suivant toujours la question génératrice de la didactique, posée à propos d’une personne ou d’une institution qui est « Que peut-elle apprendre et que peut-elle apprendre à faire ? », c’est-à-dire « Quel équipement praxéologique peut-elle acquérir ? » (Ladage, 2008, p. 59). Toujours sur cette question d’accès à une culture donnée, nous nous sommes heurtée au fait que pour la mesure concrète de la possibilité d’accéder à une telle culture – pour un usager non spécialisé –, aucune méthode spécifique n’existait.

Notre étude nous a ainsi amenée, toujours en collaboration avec Yves Chevallard, à élaborer une deuxième technique exploratoire de l’offre praxéologique, que nous avons qualifiée d’« analyse des témoins » pour recueillir des témoignages sur l’offre praxéologique en matière de RII. Cette analyse consiste à interroger des « témoins » (étudiants, professionnels…), d’une part quant à leur rencontre effective (et l’intensité de cette rencontre) avec une réponse à une question de RII, et d’autre part sur la difficulté à rencontrer de telles réponses lorsqu’on les cherche expressément. Les personnes et les institutions ne sont plus ici regardées en quelque sorte pour elles-mêmes, mais comme témoins des conditions objectives d’accès à la connaissance qu’il s’agit d’explorer et d’analyser. La matière ici, ce sont donc les praxéologies, leur présence effective ou au contraire leur caractère « introuvable ». Les résultats de ces explorations ont confirmé que pour certaines questions de RII, autour de 40 % sur les échantillons de questions étudiés, une réponse n’est pas facile à trouver.

Pourquoi réaliser une telle exploration de l’offre praxéologique et de son accessibilité ? Elle est essentielle au travail didactique, car elle témoigne de l’état de la culture dans un domaine praxéologique donné, de son état de développement et de diffusion. L’absence de diffusion d’une culture, aussi développée soit-elle dans certaines sphères de la société, rendra très coûteux l’accès à quiconque souhaitant y entrer ou se perfectionner. Cette situation nous paraissait d’autant plus paradoxale que moins la RII est connue comme objet, moins elle sera efficace comme outil pour entrer dans toutes ces autres cultures présentes sur Internet.