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L’enseignement universitaire à distance

PARTIE 3 CONFIGURATIONS DIDACTIQUES INSTRUMENTÉES

1. L’enseignement universitaire à distance

Dans le chapitre précédent, nous avons indiqué que nous avons été chargée de la conception et de la mise en ligne de trois masters professionnels en sciences de l’éducation. Cette expérience s’inscrit dans le contexte des recherches sur la pédagogie universitaire avec le numérique et la question de l’accompagnement des enseignants dans leur appropriation du numérique pour la pédagogie. Cette appropriation est l’une des priorités du ministère de

l’enseignement supérieur qui a chargé la Mission numérique pour l’enseignement supérieur (MINES) d’impulser des actions pour soutenir les établissements d’enseignement supérieur dans leur effort d’accompagnement et de formation des enseignants à l’usage pédagogique du numérique. C’est donc dans le cadre des journées scientifiques JS-PUN en 2012 réunies autour du thème de l’articulation entre recherche, pratiques et formation que nous sommes intervenue pour exposer la mise en place et le fonctionnement de ces trois masters (Ladage, Mokhfi, & Simonian, 2012) et qui dans le cadre de cette note de synthèse sera la huitième étude que nous présentons. Cette invitation a ensuite été l’occasion d’un retour d’expérience avec Stéphane Simonian (Simonian & Ladage, 2014) [Document 9] pour problématiser l’accompagnement des enseignants dans l’édition de contenus numériques et, plus généralement, dans les pratiques pédagogiques à distance et en ligne. L’enjeu était de questionner la manière dont nous avons fait transiter un enseignement en présentiel à celui en ligne en repérant les spécificités de chaque contenu et les attentes de chaque collègue, dont certains avaient déjà une expérience de la formation à distance. Nous avions privilégié la mutualisation de l’expérience enseignante dans une visée collaborative tout en encourageant l’autonomie des enseignants. Nous avons tenté de nous situer au plus près des projets individuels, aussi différents soient-ils, tout en cherchant une cohérence d’ensemble du point de vue des étudiants. Nous rejoignons ainsi Brigitte Albero (2014), pour qui il est nécessaire d’autoriser la coexistence d’une diversité de dispositifs « fonctionnels de référence » au sein d’un même environnement numérique d’apprentissage et au sein d’une même institution. Comme nous l’avons évoqué dans le chapitre précédent, nous rencontrons cette problématique de l’hétérogénéité à grande échelle, au sein du Service de la Formation à Distance de notre UFR, où une hétérogénéité de pratiques au sein d’une même année de licence nous a par exemple poussé à mettre en place des fiches de renseignements sur chaque enseignement afin que les enseignants soient conscients du fait qu’il y a un type de fonctionnement à prévoir, à annoncer et à respecter une fois que les étudiants sont engagés dans la formation. Communiquées ensuite aux étudiants ces fiches leur permettent de connaître les attentes qu’ils peuvent avoir vis-à-vis de l’unité d’enseignement à distance proposée par chaque enseignant. Elles opèrent ainsi comme une forme implicite de contrat entre le SFAD, l’enseignant et l’étudiant, tout en harmonisant la terminologie employée pour désigner les éléments constitutifs de l’organisation didactique à distance.

Beyond the “material” organization, which is first and foremost the development team’s responsibility, the proper functioning of any didactic organization requires the “enactment” of some sort of contract, that will make clear what the distinct roles connected to the DO [didactic organisations] are, and that regulates the doings of every kind of “participants” to it. Now, observance of this contract entails a shared world of meanings and a collective (though differentiated) mastery of the devices on which the DO draws. In too many cases, it seems, insufficient care is given to this problem, which can be conducive, to say the least, to confusion on the part of the students, for instance. (Chevallard & Ladage, 2008, pp. 4-5)

Pour revenir aux masters en ligne en sciences de l’éducation, il ressort du travail d’accompagnement auprès des enseignants la nécessaire construction d’une articulation entre trois dimensions : technique, didactique et pédagogique.

Nous avions assuré l’accompagnement de chaque enseignant individuellement pour être au plus près de leurs projets d’ingénierie didactique tout en organisant des ateliers de travail collectif afin de favoriser les échanges et d’inscrire les projets de chacun dans la perspective d’une cohérence globale du master. Du point de vue didactique les discussions portaient sur la multiplicité des instrumentations possibles en fonction des contenus à enseigner ou des activités pédagogiques à organiser. Cependant, les dimensions didactiques et pédagogiques de l’accompagnement ne pouvaient pas être dissociées du rapport personnel et institutionnel des enseignants à la dimension technique.

Plus généralement, l’accompagnement nécessite de suggérer des ajustements pédagogiques et didactiques prenant en compte les pratiques enseignantes héritées, ancrées dans la culture des enseignants. L’acquisition de la compétence techno-pédagogique vient dans un second temps. En d’autres termes, c’est l’enseignant qui va donner une « valeur » pédagogique aux différents artefacts présents dans l’environnement numérique d’apprentissage. (Simonian & Ladage, 2014, p. 180)

L’exemple le plus frappant est la diversité d’utilisations du forum. Nous avons en effet pu observer qu’il n’existait pas de perception partagée sur l’utilisation du forum au sein de l’équipe.

Si pour certains il fallait l’éviter pour diminuer la charge de travail susceptible d’être engendrée par les questions qui pouvaient y être formulées, pour d’autres c’était aux étudiants et/ou un tuteur de le gérer. Pour d’autres encore, cette forme d’échanges était trop libre et, poussant à des formulations de questions souvent peu élaborées, devait préférablement être remplacée par un système de journal de type Frequently

Asked Questions (FAQ) envoyées par courrier électronique et traitées de façon approfondie dans un

« journal des questions », actualisé sur la plateforme à chaque nouvelle question posée. (p. 181)

Cette diversité témoigne-t-elle d’un schème d’utilisation en cours de construction et non unifié ? (p. 181) Nous serions encline aujourd’hui à dire qu’il s’agit davantage de l’expression d’une multiplicité de manières de faire et qu’une stabilisation et uniformisation de pratiques n’est pas forcément souhaitable. Laisser ainsi la place à la créativité et à l’évolutivité de l’utilisation du forum peut donner à l’enseignement la flexibilité qui n’est pas toujours possible d’intégrer dans l’organisation des contenus de cours durant l’année ; à condition bien évidemment que le fonctionnement de chaque forum soit compris par les étudiants et que la diversité ne soit pas trop importante.

La question posée est celle des paramètres agissant sur une signification commune (injonctions institutionnelles dans les usages possibles, par exemple) et les variables à considérer (conceptions pédagogiques différentes permettant à terme de réunir des usages en fonction de finalités distinctes). (p. 181)

Un autre exemple de diversité de pratiques est celui du statut donné aux ressources en ligne auxquelles chaque enseignant a souhaité renvoyer.

La part laissée à l’un et l’autre, le cours de l’enseignant et l’ensemble de ressources citées, varie d’un enseignant à l’autre, dans une topogenèse dans laquelle l’enseignant ne se sent pas toujours à l’aise. Où faut- il en effet placer la frontière entre son propre cours et les liens vers les ressources du Web ? (p. 181) Ici encore nous pouvons étendre l’exemple au niveau des pratiques que nous observons au sein du SFAD, ce qui nous encourage à dire qu’un travail de recherche plus approfondi serait nécessaire pour dégager derrière cette diversité praxéologique d’une part les modes

d’enseignement et leurs modèles praxéologiques de référence ; et d’autre part les conditions et contraintes qui pèsent sur les configurations didactiques en fonction de la manière dont les ressources venant d’Internet sont intégrées dans le milieu pour l’étude. Ce questionnement rejoint l’une des thématiques de recherche au cœur de l’étude 6 & 7 présentées plus haut portant sur la manière dont un enseignement universitaire peut s’appuyer sur la richesse des ressources disponibles sur Internet.

Enfin, ce qui était également intéressant dans ce travail était la réflexion à mener sur ce qui allait changer pour ces enseignants et d’en identifier une temporalité adaptée.

Fondamentalement, dans un premier temps, ce n’est pas la méthode pédagogique des enseignants qui change, mais l’instrument avec lequel ils enseignent. De ce point de vue, il est possible de penser que tout processus d’instrumentalisation commence par ne pas changer de méthode, mais va, au contraire, renforcer, valoriser, sécuriser, ce que l’on sait déjà faire. (p. 180)

L’évolution vers une autre manière de faire est le plus souvent venue dans un deuxième temps, et n’a réellement été possible que grâce au travail collaboratif entre membres de l’équipe pédagogique. Le changement a ainsi été assumé collectivement, mais pose néanmoins la question du développement professionnel des enseignants, car tout enseignant n’est pas également prêt à faire évoluer ses pratiques pédagogiques pour les adapter à un environnement numérique, ce qui mène dans des cas extrêmes à un vide et une insécurité pédagogiques dont nous avons pu mettre en évidence dans l’étude 7 qu’elle est très vite ressentie par les étudiants. La difficulté réside aussi dans le fait de la persistance d’une perception de l’informatique comme outil par de nombreux enseignants qui sont non seulement réticents à apprendre à les connaître, mais aussi à questionner la manière dont l’informatique pourrait instrumenter leurs praxéologies d’enseignement. À cela s’ajoute la perception erronée – mais néanmoins prégnante – de la formation à distance fonctionnant en quasi-autonomie.

(…) it does happen that changing a timeworn DO [didactical organization] into a brand-new one

sometimes moves it farther away from the optimum. It may be, for instance, that the teachers’ commitment to their role declines, because they have interiorized the belief in the erroneously supposed quasi-autonomous functioning of digital technology in education. (Chevallard & Ladage, 2008, p. 4)