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Renoncer à faire des listes de formation éligibles un levier de régulation

3 QUELLES CONDITIONS POUR FAIRE DU CPF L’OUTIL MAJEUR DE LA FORMATION

3.2 Renforcer la régulation financière et stratégique du CPF

3.2.1 Renoncer à faire des listes de formation éligibles un levier de régulation

3.2.1.1 Privilégier la rénovation de la politique de certification professionnelle à la régulation par les listes d’éligibilité au CPF

Le « sujet des listes » focalise les critiques alors même que l’ambition qualifiante du CPF est comprise et rarement remise en cause. La mission estime pertinent de préserver le ciblage sur les formations qualifiantes, tout en veillant par ailleurs à la prise en charge effective des formations pré-qualifiantes, qui répondent à un véritable besoin pour les publics les plus éloignés de la formation, par d’autres financeurs et dispositifs. CléA, éligible de droit au CPF, constitue en effet une réponse appréciée mais partielle à l’absence de qualification.

La mission juge qu’il n’y a pas lieu, dans l’absolu, de superposer plusieurs niveaux de régulation dont les objets sont manifestement proches :

 Si les listes visent à garantir la pertinence des certifications et leur reconnaissance par les entreprises, l’inscription au RNCP est théoriquement conditionnée à « l’opportunité de la certification (…) par rapport aux besoins de compétences dans le champ professionnel visé » ainsi qu’aux « informations relatives à l’insertion professionnelle des titulaires de la certification »129. Les critères de recensement à l’inventaire sont également censés garantir l’utilité des certifications et habilitations pour les entreprises et leur plus-value en matière d’employabilité, qu’elles répondent à une obligation réglementaire, à une norme de marché ou présentent de façon plus générale une « utilité économique et sociale », celle-ci devant être attestée par une entité utilisatrice.

 Les demandes d’inscription font l’objet, aux deux étapes, d’un examen par les partenaires sociaux : CPNE, COPAREF et COPANEF dans le cas des listes, CNCP pour l’inventaire et le RNCP130. L’articulation entre ces deux niveaux de filtre est complexe dans les faits, compte-tenu des décalages dans les durées de validité de l’inscription et dans les rythmes de mise à jour.

 La mise en place de listes spécifiques au CPF et négociées par les partenaires sociaux visait implicitement à permettre aux organisations syndicales de contrôler les éventuels effets d’aubaine et comportements d’optimisation de la part des entreprises, et aux organisations d’employeurs de contrôler l’éventuel effet inflationniste de la réforme. On peut toutefois douter de la pertinence d’un tel outil pour opérer une régulation fine de l’offre de formation et des comportements : au sein d’une branche donnée, une même formation – par exemple, en langues étrangères – peut relever alternativement de l’adaptation au poste, du maintien de personnel ou encore d’un projet de mobilité interne ou externe selon le poste du salarié, son profil et les perspectives stratégiques de son entreprise.

Il convient d’abord, d’engager le chantier de la modernisation du RNCP et de l’inventaire, afin d’accroître la capacité de régulation de la CNCP. Plusieurs documents ou rapports récents proposent de rénover en profondeur le dispositif de régulation de la certification en s’appuyant sur

129 Critères définis par la CNCP. S’agissant de l’insertion professionnelle, elle se mesure pour au minimum les 3 dernières promotions (nombre de titulaires par an, emplois occupés, etc. pour les 3 années antérieures à la demande, afin d’apprécier l’opportunité de la certification dans le champ professionnel visé).

130 CNCP ou instance consultative paritaire des différents ministères pour le RNCP.

une stratégie de compétences131. Une telle refondation appelle probablement un renforcement conséquent des moyens de la CNCP et doit poursuivre plusieurs objectifs :

 La CNCP doit être effectivement en mesure de s’assurer du bien-fondé et de l’adaptation régulière des certifications à l’évolution des emplois, y compris dans le cas des certifications inscrites de droit132.

 La CNCP doit pouvoir favoriser de manière proactive le découpage en blocs de compétences et le développement d’équivalences totales ou partielles et de passerelles entre les certifications. L’objectif est de permettre aux individus de rythmer le parcours qualifiant, le cas échéant à partir d’un socle d’acquis antérieurs obtenus en VAE, de concrétiser sa progressivité, et de permettre d’en capitaliser les étapes, notamment en cas d’interruption.

 Le RNCP et l’inventaire doivent s’inscrire dans une architecture rénovée, organisée autant que possible par compétences et qui permette d’identifier les compétences socles, les compétences transversales, métier, ou celles relevant de spécialisations techniques. Ces deux référentiels devront être compréhensibles par les usagers et articulés avec le moteur de recherche du SI CPF.

 La CNCP doit s’attacher à réduire le foisonnement des certifications redondantes. A cette fin, plusieurs voies peuvent être explorées. La CNCP pourrait notamment imposer des intitulés génériques, dans le cadre desquels s’inscriraient des variantes. Un dispositif de « mise au bien commun », inspiré des médicaments génériques, pourrait également être mis en place : au-delà d’une certaine période permettant l’amortissement des coûts induits par la création d’une certification, celle-ci tomberait dans le domaine public.

La mission préconise que dans un délai de trois à cinq ans, une fois cette refonte réalisée, l’étage supplémentaire des listes d’éligibilité, peu lisible et largement redondant, soit supprimé. Dès lors, l’ensemble des certifications référencées au RNCP et à l’inventaire serait éligible au CPF, sans préjudice des actions de formation spécifiques dont l’éligibilité est prévue par la loi (CléA, accompagnement à la VAE, etc.). Une telle évolution emporterait des conséquences non seulement sur le CPF, mais également sur le Contrat de sécurisation professionnelle (CSP), actuellement réservé aux formations éligibles au CPF.

Recommandation n°9 : Rénover le RNCP et l’inventaire sur la base d’une architecture organisée par compétences, et supprimer dans un délai de trois à cinq ans les listes d’éligibilité

3.2.1.2 Articuler le CPF et les démarches d’évaluation de la qualité

La mission juge paradoxale la situation actuelle qui restreint les certifications éligibles au CPF dans le but de guider les usagers vers les plus pertinentes, mais autorise sa mobilisation au profit de n’importe quel organisme de formation, alors même que de nombreux travaux ont mis en évidence le caractère éclaté, peu régulé et insuffisamment contrôlé de ce secteur économique133. Une formation de mauvaise qualité limite pourtant les chances d’acquérir les compétences visées, voire d’obtenir in fine la certification, fût-elle particulièrement porteuse.

131 Notamment rapport IGAS-IGAENR, notes France Stratégie.

132 La procédure de l’avis d’opportunité préalable le permet théoriquement mais revêt de fait une portée limitée.

133 Voir en particulier le rapport public annuel de la Cour des Comptes pour 2017.

Encadré 7 : Le décret Qualité

L’amélioration de la qualité dans la formation professionnelle continue constitue l’un des enjeux forts de la réforme introduite en 2014 suite à l’ANI du 14 décembre 2013.Le décret du 30 juin 2015 prévoit que les financeurs de la formation professionnelle sont tenus d’évaluer la qualité des actions de formation et de publier la liste des prestataires répondant aux critères, dans un catalogue de référence mis à la disposition du public. Le décret définit six critères de qualité134.

Les financeurs se sont organisés pour décliner ces critères dans leurs procédures de marchés publics, ou en réinterrogeant leurs procédures d’attribution des aides individuelles à la formation. Les OPCA et OPACIF ont élaboré une grille d’analyse commune sur la base de 21 indicateurs, repris par d’autres financeurs (Pôle Emploi, les régions). Ils ont également créé un outil partagé et ouvert à d’autres utilisateurs, le DATA DOCK, pour faciliter les procédures d’évaluation de la qualité.

Les financeurs peuvent également s’appuyer sur la liste des certifications et labels dont les exigences sont conformes au décret qualité, dont la liste est publiée et actualisée par le CNEFOP.

Source : Focus Qualité des actions de formation – Centre Inffo, 2017

A minima, l’offre de formation présentée sur le portail du CPA, et à terme sur le SI du CPF doit s’enrichir des labels qualité reconnus par le CNEFOP, des référencements aux catalogues des financeurs, ainsi que d’indicateurs issus du DATA DOCK, qui devrait évoluer vers un outil public, ouvert et accessible à l’ensemble des acheteurs, même individuels.

Le SI CPF, qui intégrerait l’offre de formation respectant les critères du décret qualité, pourrait par exemple valoriser les formations selon les indicateurs du DATA DOCK. Sous réserve d’expertiser la conformité d’une telle mesure au regard du droit de la concurrence, les organismes ayant obtenu ces labels pourraient par exemple être proposés en tête de liste lors de la consultation du SI par les usagers.

Au-delà, on peut envisager que les financements du CPF soient réservés aux organismes de formation remplissant les critères du décret qualité, et la qualité devrait voir sa définition étendue, au-delà de l’action ou du module, au parcours de formation, au moins pour les projets qualifiants importants.

Recommandation n°10 : Faire figurer les mentions relatives à la qualité des formations issues notamment du DATA DOCK sur le SI du CPF et étudier la possibilité de valoriser les formations dont la qualité est reconnue

3.2.1.3 A court terme, des améliorations à apporter au mécanisme de listes

L’atteinte de ces objectifs appelle des travaux conséquents d’une durée de deux à trois ans. Dans l’intervalle, un certain nombre de mesures transitoires peuvent être mises en œuvre pour améliorer la lisibilité et l’équité du mécanisme de listes.

En premier lieu, la mission recommande de mettre à disposition les listes de manière cumulative et non alternative, afin que chaque usager ait accès à l’ensemble des certifications inscrites sur une liste, y compris celles situées en dehors de sa branche ou de sa région. Le travail des éditeurs de listes sera donc recentré sur l’identification de certifications correspondant à des spécificités propres à leur région ou à leur cœur de métier.

134 Il s’agit de l’identification précise des objectifs de la formation et son adaptation au public formé, l’adaptation des dispositifs d’accueil, de suivi pédagogique et d’évaluation aux publics de stagiaires, l’adéquation des moyens à l’offre de formation, la qualification et la formation du personnel, les conditions d’information du public, ses délais d’accès et les résultats obtenus et enfin, la prise en compte des appréciations rendues par les stagiaires.

En deuxième lieu, il est proposé de rendre obligatoire la publication par chaque éditeur de listes de ses critères de décision, ainsi que de la procédure suivie, assortie de délais indicatifs.

Chaque actualisation des listes devra en outre être communiquée en temps réel aux professionnels – financeurs et conseillers en évolution professionnelle – via le SI du CPF ou le futur SI du CEP. En outre, une voie de recours amiable devra être ouverte aux certificateurs dont la demande de certification au reçu une réponse négative.

Enfin, la mission juge intéressant la mise en place d’un droit d’initiative auprès de chaque éditeur de liste, permettant aux individus ou aux conseillers en évolution professionnelle, confrontés à un refus de prise en charge d’un projet de formation qu’ils jugent pertinent, de solliciter l’inscription d’une certification sur les listes135.

Recommandation n°11 : Améliorer à court terme le système des listes en ouvrant à tous les actifs l’ensemble des certifications éligibles et en développant la transparence de la procédure d’éligibilité disparités actuelles sont considérables selon le statut de l’actif136 et, lorsqu’il est salarié, la branche à laquelle il appartient ou la région de sa résidence : en cas de mobilité, d’instabilité professionnelle ou de cumul d’employeurs, le sujet peut devenir inextricable pour les acteurs de terrain, et inexplicable pour l’intéressé lui-même. C’est dans ce cadre que se situe notamment le débat

« compte en heures / compte en euros » et les propositions de monétisation du CPF.

Il faut rappeler les raisons du choix initial de l’heure comme unité de compte :

 Afficher des droits équivalents pour l’ensemble des actifs, indépendants des écarts de coût des formations, en moyenne plus élevés pour certains secteurs, compétences ou pour les niveaux supérieurs de qualification.

 Permettre la souplesse dans la gestion des enveloppes dédiées au financement du CPF (OPCA et FPSPP) : le compte en heures permet aux financeurs de réguler les droits en modulant les taux de prise en charge, de façon fine et adaptée aux priorités de chaque secteur.

 Donner aux financeurs une capacité de peser sur l’offre par l’achat sur le marché de la formation.

Mais au-delà des difficultés déjà décrites, l’absence de cadre partagé de régulation au niveau national et interprofessionnel générera rapidement des pratiques de stop and go des niveaux de prises en charge d’une année sur l’autre et des distorsions excessives et inexplicables entre régions, branches et statuts, renforçant l’illisibilité et la défiance.

135 La CPNE du travail temporaire a mis en place un dispositif de ce type.

136 Indépendamment des mesures assumées en faveur des demandeurs d’emploi et des salariés non qualifiés.