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L’appropriation dans les entreprises est lente et inégale

2.2 Les acteurs ne se sont pas pleinement approprié les logiques d’autonomie et de co-

2.2.2 L’appropriation dans les entreprises est lente et inégale

2.2.2.1 L’implication des salariés dans la gestion de leur carrière : un pré-requis imparfaitement satisfait

L’émancipation de l’usager présuppose son implication personnelle dans la gestion de sa carrière et l’élaboration de son projet de formation. Ce préalable n’est pas toujours rempli. Seule une minorité de salariés prennent spontanément l’initiative d’acquérir des compétences nouvelles non directement utiles à leur poste de travail, dans la logique « d’ajouter une corde à leur arc » ou en anticipation d’une opportunité de promotion interne (cf. enquête qualitative en PJ2). Peu semblent en réalité en mesure de se projeter dans des évolutions futures de leur carrière et d’anticiper les risques de transformation des métiers, de perte d’emploi ou même d’usure professionnelle. Les interlocuteurs de la mission ont été nombreux à témoigner du fait que les projets de formation qualifiante émergent plus souvent en réaction à une situation de souffrance au travail, ou à l’issue d’une rupture professionnelle (licenciement, inaptitude, etc.), qu’en anticipation d’une telle situation.

L’existence d’un droit individuel tel que le CPF ne suffit donc pas à en susciter l’usage ou à révéler les besoins latents en matière de formation professionnelle. L’enquête quantitative (PJ 1) révèle ainsi que seulement 37 % des salariés, et 48 % des demandeurs d’emploi interrogés « ont dans l’idée, dans un avenir proche ou lointain, de faire une formation professionnelle qui leur donnerait une qualification complémentaire ou supplémentaire ». Respectivement 14 et 30 % ont l’intention de mener à bien ce projet dans l’année qui vient. Ceux qui déclarent n’avoir aucun projet de formation, l’expliquent essentiellement par le sentiment de « ne pas en avoir besoin » (environ un tiers des cas) ou – dans le cas des salariés – par la satisfaction à l’égard de leur situation professionnelle actuelle (33 %).

Le souhait des salariés de se former est en réalité fortement tributaire de l’environnement, plus ou moins facilitateur, encourageant ou exemplaire, créé par leur entreprise, comme l’ont par exemple montré les travaux du CEREQ.84 Il revient donc largement à l’employeur de sensibiliser le salarié à l’importance du développement de ses compétences.

L’enquête quantitative montre par ailleurs la permanence des réflexes associant, chez les salariés, la formation professionnelle avant tout à leur employeur : 84 % des salariés ayant déjà parlé à quelqu’un de leur projet de formation ont choisi un interlocuteur au sein de l’entreprise, qu’il s’agisse du responsable hiérarchique (55 %), d’un collègue de travail (24 %), de la DRH (20 %) ou encore d’un représentant du personnel (10 %).

2.2.2.2 Le dialogue autour du développement des compétences du salarié avec l’employeur constitue un changement culturel

La loi de 2014 inscrit le CPF dans une zone d’intersection entre initiative du salarié et intérêt de l’employeur. Si elle permet la mobilisation du CPF sans accord de l’employeur, cette possibilité est limitée dans les faits par la nécessité de suivre la formation concernée en dehors du temps de travail, ce qui peut s’avérer particulièrement difficile dans le cas d’une formation qualifiante ou certifiante.

84 Voir par exemple Aspirer à se former, la responsabilité des entreprises en question, Bref CEREQ n°279, 2010.

Encadré 3 : Le CPF sans accord de l’employeur

Avec le CPF, et contrairement au DIF, le salarié peut choisir de se former en dehors du temps de travail, et sans devoir demander l’autorisation de son employeur. L’entreprise, dans ce cas de figure, n’est pas informée de la démarche de son salarié, ni de la formation suivie.

La demande de prise en charge est adressée directement aux OPCA. Certains d’entre eux ont d’ailleurs choisi de se réorganiser pour dédier des effectifs à la relation directe avec les salariés. Une attention particulière doit alors être portée à la confidentialité des projets de formation, d’autant que les OPCA demeurent perçus par certains salariés comme un outil des entreprises. L’un des Fongecif rencontrés par la mission assure à titre expérimental la gestion de ces dossiers suivis sans accord de l’employeur pour le compte de quatre OPCA partenaires.

Le recours au CPF sans accord de l’employeur, sans être massif, est loin d’être négligeable, de l’ordre de 15 à 20% des dossiers CPF selon les OPCA rencontrés par la mission ou auditionnés par le CNEFOP85. Il témoigne d’un besoin réel des salariés de pouvoir conduire des projets de formation en toute autonomie, souvent – mais pas exclusivement – dans une optique de mobilité externe, voire de reconversion professionnelle. 28% des projets de formation évoqués par les salariés interrogés par BVA poursuivent un objectif de reconversion professionnelle ; la même proportion de salariés a parlé de son projet de formation avec un interlocuteur extérieur à l’entreprise, qu’il s’agisse d’un conseiller CEP (15%), d’un organisme de formation (9 %) ou d’un OPCA/OPACIF (8 %).

Le salarié a la plupart du temps un intérêt évident à négocier avec son entreprise l’usage de son CPF, tant pour pouvoir suivre tout ou partie de la formation souhaitée sur son temps de travail que pour bénéficier d’un cofinancement86, souvent essentiel compte tenu du plafonnement du compte à 150 heures hors abondement. Dès lors, le CPF constitue un objet de négociation entre le salarié et l’employeur.

Dans la pratique, il apparaît que l’initiative de cette négociation ne revient pas toujours au salarié mais bien souvent à l’entreprise, parfois même dans le cadre de projets de formation collectifs. Cet état de fait, s’il semble en décalage avec l’ambition initiale de la loi, est également porteur de dynamiques vertueuses : le rôle de l’employeur, on l’a vu, peut s’avérer déterminant pour faire émerger des envies ou des besoins de formation chez les salariés. On peut regretter que le caractère individuel et opposable du droit ouvert aux salariés, mis en avant par les partenaires sociaux et par le législateur, joint à la fin de l’obligation fiscale, ait pu être vécu par certaines entreprises comme un dessaisissement de leur responsabilité en matière de formation professionnelle, ces entreprises s’étant alors contentées d’un « service minimum » dans la mise en place du dispositif et l’information de leurs salariés.

On observe d’ailleurs que seule une petite centaine d’entreprises a choisi de gérer en interne le 0,2 % CPF, à la fois par crainte de la complexité de mise en œuvre de ce dispositif nouveau et pour pouvoir bénéficier des opportunités financières qu’offrait la période de montée en charge.

Il faut cependant rester attentif : comme à l’époque du DIF, les employeurs peuvent être tentés de reporter sur le CPF de leurs salariés le financement des formations qui relèvent de leur responsabilité au titre du plan de formation87. Le contexte de diminution du « retour

85 Cette proportion tombe à environ 2 % dans le cas spécifique du travail temporaire, ce qui s’explique par la durée limitée des contrats de mission.

86 Certains OPCA ont toutefois fait le choix de faciliter l’usage du CPF sans accord de l’employeur et/ou hors temps de travail, gage selon eux de motivation et d’engagement du salarié, en pratiquant un abondement systématique des projets de formation concernés.

87 Aux termes de l’article L. 6321-1 du code du travail, « l’employeur assure l’adaptation des salariés à leur poste de travail.

Il veille au maintien de leur capacité à occuper un emploi, au regard notamment de l’évolution des emplois, des technologies et des organisations ».

d’investissement » sur les fonds mutualisés, induite par la réforme du financement de la formation professionnelle, accroît cette tentation, tout comme l’élargissement des listes de certifications éligibles. Une récente étude du CEREQ identifie d’ailleurs de tels phénomènes de substitution dans le financement des formations obligatoires88. Le CPF intervient alors non pas en complément mais en déduction des dépenses consenties au titre du plan de formation.

Ces pratiques dites « d’optimisation » de la contribution mutualisée sont pour l’essentiel le fait des grandes entreprises disposant d’une fonction RH structurée et d’une relation privilégiée avec leur OPCA. Les données récentes manquent89, toutefois, pour apprécier un éventuel impact sur l’effort global de formation consenti par les entreprises.

L’apparition des premières tensions financières pourrait ainsi à l’avenir remettre en cause ces équilibres. Une très grande entreprise par exemple, constatant le resserrement des conditions de prises en charge par les OPCA en 2017, exprime désormais un certain désintérêt pour le CPF au profit d’autres dispositifs de financement (période de professionnalisation par exemple).

Encadré 4 : CPF et formations obligatoires

Les listes de formation éligibles dans le cadre du CPF – en particulier, mais non exclusivement, celles destinées aux demandeurs d’emploi – ont progressivement intégré un certain nombre de certifications et d’habilitations obligatoires, relevant pour l’essentiel de la catégorie A de l’inventaire90.

Ces titres découlent des obligations s’imposant à tout employeur en matière d’hygiène et de sécurité, ou de contraintes propres à certaines activités ou environnements de production : certificats d’aptitude à la conduite en sécurité (CACES), formation initiale minimale obligatoire (FIMO) pour les conducteurs, ou encore les différents niveaux d’habilitation électrique. Ils ont, le plus souvent, une validité limitée dans le temps.

L’inscription de ces titres dans les listes de formations éligibles crée des tensions entre les partenaires sociaux. Certaines organisations syndicales estiment que ces titres relèvent par nature des obligations de l’employeur au titre du plan de formation. De ce point de vue, le financement de ces formations par le CPF traduit un transfert de responsabilité de l’employeur vers les salariés ou les demandeurs d’emploi, même s’il représente aussi un accroissement de la mutualisation des dépenses de formation, et ce au profit des plus petites entreprises, des secteurs les moins formateurs et des salariés les moins qualifiés dont le CEREQ a montré qu’ils consommaient davantage, en proportion, de formations obligatoires.

D’autres soulignent que le caractère certifiant de ces formations garantit le caractère transférable des compétences acquises par le salarié et leur reconnaissance en dehors de l’entreprise. Elles facilitent donc la mobilité professionnelle des salariés et accroît leur employabilité en cas de perte d’emploi. A fortiori, elles améliorent les perspectives d’embauche des demandeurs d’emploi. L’éligibilité au financement CPF leur parait ainsi légitime, d’autant que certaines de ces certifications font l’objet de demandes d’utilisation hors temps de travail du CPF, voire sans accord de l’employeur.

L’exemple du CACES illustre bien cette logique. L’article R 4323-56 du Code du travail impose, pour la conduite de certains équipements présentant des risques particuliers, « l’obtention d’une autorisation de conduite délivrée par l’employeur ». Si l’entreprise est tenue de proposer une formation adéquate, elle n’est nullement obligée de la sanctionner par le passage du CACES, une simple autorisation de conduite interne

88 Delphine BEREAUD, Les formations obligatoires en entreprise : des formations comme les autres ? - CEREQ Bref – Bulletin de recherche Formation / Emploi, N°350, 2016.

89 L’Observatoire FIDAL de l’employabilité (négociation de branche sur la formation et l’employabilité, février 2017) estime que les contributions des entreprises aux OPCA n’auraient pas diminué depuis la réforme de 2014, grâce à un accroissement des contributions conventionnelles. Elle ne dit rien, toutefois, du niveau de dépenses directes des entreprises dans le cadre du plan de formation.

90 La catégorie A de l’inventaire regroupe les « certifications et habilitations découlant d’une obligation légale et réglementaire nécessaires pour exercer un métier ou une activité sur le territoire national ».

étant juridiquement suffisante. Les salariés ont intérêt à plaider pour la première option, qui présente l’avantage essentiel d’être reconnue par toutes les entreprises. Dans certains secteurs connaissant des difficultés de recrutement, les employeurs y sont au contraire réticents, par crainte que la certification ne facilite le départ de leurs salariés.

La logique de co-construction peut conduire à faire évoluer la notion d’initiative propre du salarié au profit d’une logique plus partenariale, où le caractère qualifiant de la formation préserve l’intérêt du salarié et en même temps maintient son employabilité.

L’émergence d’une zone d’intérêt commun entre l’employeur et le salarié suppose d’engager une réflexion sur les besoins en compétences présents et futurs, qui anticipe les évolutions du secteur en matière de mutations économiques et leurs conséquences possibles sur l’emploi. C’est l’une des conditions pour que la formation professionnelle soit perçue comme un investissement et non comme une charge. Cette réflexion doit être l’objet d’un dialogue, que la loi de 2014 a renforcé selon deux modalités complémentaires :

Au niveau individuel, l’employeur est tenu de proposer tous les deux ans à chaque salarié un entretien professionnel91, moment d’échange permettant d’apprécier l’évolution de ses compétences et d’évoquer ses perspectives d’évolution. Ce nouvel outil est jugé structurant par la plupart des acteurs, mais doit encore être approprié par les TPE et les PME, souvent assez réfractaires au caractère formalisé d’une telle démarche.

Les obligations de l’employeur en matière de dialogue social sur la formation professionnelle répondent au même objectif. Dans les faits, les démarches de GPEC demeurent trop faiblement outillées pour dessiner des parcours de qualification utiles au salarié et à l’entreprise. Le dialogue se heurte en outre à la réticence de certains employeurs à expliciter publiquement la stratégie de l’entreprise et son impact sur l’emploi, notamment lorsque le contexte concurrentiel est difficile. Il se heurte également à une faible appropriation des enjeux de formation professionnelle par les organisations syndicales. La formation professionnelle apparaît ainsi rarement comme un sujet prioritaire au sein des multiples thèmes de négociation obligatoire, et ce d’autant qu’elle est perçue, de façon croissante, comme un outil défensif.

Il semble que le CPF, comme le DIF en son temps92, s’implante de façon privilégiée dans les entreprises où préexistait un dialogue autour du développement des compétences ; ailleurs, la logique de co-construction est d’appropriation lente, tant par les employeurs et les DRH que par les salariés et leurs organisations syndicales. Elle est source de malentendus et parfois de tensions.

Cela peut d’ailleurs contribuer à expliquer le poids des formations de langues et de bureautique dans les certifications obtenues grâce au CPF : en l’absence de dialogue prospectif autour des besoins en qualifications et en compétences, les DRH ont eu tendance à perpétuer les équilibres et les logiques qui prévalaient au temps du DIF, en misant sur les formations courtes, suivies sur le temps de travail, essentiellement au profit des cadres et des ingénieurs93.

91 En cas de carence, l’employeur doit abonder le CPF du salarié ainsi considéré comme lésé.

92 Le DIF : la maturité modeste. Bref CEREQ N°299, mai 2012

93 A terme, le découpage en blocs de compétences pourrait faciliter les financements croisés entre plan de formation et CPF, en distinguant plus finement au sein d’un titre les compétences qui sont directement utiles à l’entreprise (et donc finançables par cette dernière) et celles qui ne le sont pas mais permettent au salarié d’obtenir une certification complète et justifient donc son investissement personnel (mobilisation du CPF, éventuellement hors temps de travail).

Encadré 5 : Le CPF en entreprise : trois exemples

Exemple n°1 : une entreprise internationale produisant du matériel électrique et employant 4 000 personnes en France sur deux établissements

Dans cette entreprise, la DRH, initialement attentiste face à un dispositif perçu comme relevant de la seule initiative des salariés, a proposé aux deux comités d’entreprise, après échanges avec l’OPCA de généraliser la mobilisation du CPF en cofinancement des formations en anglais. Celles-ci se déroulent sur le temps de travail et le plus souvent à l’initiative des salariés, essentiellement des cadres, qui identifient spontanément leurs besoins de formation linguistique, dans un contexte où l’usage de l’anglais est généralisé au sein de l’encadrement. Toutefois, lorsque la formation est suivie à l’initiative du responsable hiérarchique, par exemple pour anticiper des évolutions futures de l’organisation interne, la mobilisation du CPF n’est pas systématique. De même, les cadres en début de carrière n’ayant pas encore capitalisé d’heures sur leur CPF voient leur formation intégralement prise en charge par le plan de formation.

Pour convaincre les salariés du bien-fondé de cette nouvelle organisation, la DRH a mis en avant le caractère plafonné du CPF, qui rend peu rationnels les comportements de thésaurisation d’heures acquises. L’un des deux comités d’entreprise a toutefois exprimé son désaccord.

Exemple n°2 : le CPF dans une entreprise pharmaceutique française de 580 salariés Dans cette entreprise, la DRH avait estimé, en 2015, que le CPF relevait de la responsabilité exclusive des salariés. Les élus du CE s’en sont également largement désintéressés. Peu de salariés y ont eu recours spontanément.94

Sous l’impulsion de la branche pharmacie – dont un accord collectif a prévu dès 2014 des modalités d’abondement, notamment pour les plus de 50 ans - et de l’OPCA, elle a finalement décidé de le prendre en compte dans sa politique de formation. Le plan de formation pour 2017 évoque la possibilité d’un cofinancement CPF, exclusivement pour les formations en anglais suivies sur le temps de travail. Elle insiste sur la nécessité d’un accord gagnant/gagnant et précise que les formations seront intégralement prises en charge par le plan de formation dès lors que l’anglais est nécessaire dans le poste de travail du salarié. Les experts sollicités par le comité d’entreprise constatent néanmoins que « les formations en anglais ont fortement baissé dans le plan de formation 2017 au profit de formations en anglais via le CPF ».

Exemple n°3 : le CPF dans un groupe de cosmétique et parfums

Cette entreprise a été confrontée aux effets de la révolution numérique : les client-e-s disposent déjà en arrivant au magasin des informations de base sur les produits, les services traditionnellement délivrés par les vendeur-se-s sont en voie d’obsolescence.

Sur la base d’un projet d’enrichissement des services à proposer – par exemple donner des informations d’un niveau d’expertise supérieure en matière digitale ou de qualités anti-allergènes des produits– un plan de montée en compétence a été établi, qui a concerné aussi des savoirs de base – par exemple une maîtrise élaborée de la langue – pour des personnes souvent de niveau V et souvent en deuxième moitié de vie professionnelle. Le dialogue entre l’OPCA concerné et les services RH de l’entreprise a permis de construire un plan de transformation financé largement par les CPF abondés : plus de 2000 personnes ont été formées et qualifiées, évitant ainsi les difficultés d’un éventuel plan social.

94 Toutefois l’entreprise ne dispose pas, par définition, de données relatives à la mobilisation du CPF hors temps de travail et sans accord de l’employeur.

2.2.3 En l’absence de politiques d’accompagnement adaptées, le CPF risque de