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L’article 7 portant sur les objectifs de l’Accord de l’OMC sur les ADPIC stipule que : « La protection

et le respect des DPI devraient contribuer à la promotion de l’innovation technologique et au transfert et à la diffusion de la technologie, à l’avantage mutuel de ceux qui générèrent et ceux qui utilisent des connaissances techniques et d’une manière propice au bien- être social et économique, et à assurer un équilibre des droits et des obligations ». Dans l’esprit de cet article, la protection des DPI préconisé

par l’Accord devrait créer un cadre favorable à l’élévation du bien-être social tant au Nord qu’au Sud et l’accroissement des investissements directs étrangers (IDE) vers les pays en développement.

L’objet de cette section est de procéder à une revue de la littérature afin d’apporter des éléments de réponse à la question de savoir si le renforcement de la protection des DPI préconisé par l’Accord de l’OMC sur les ADPIC est bénéfique aux pays du Sud. Ce bénéfice sera apprécié en termes d’augmentation du bien être social, d’accroissement des IDE, de préservation et d’une utilisation large des savoirs traditionnels dans le domaine de la santé.

Puisque notre champ d’analyse est l’Afrique subsaharienne (ASS), nous allons axer prioritairement nos commentaires sur les prévisions faites par les études sur les pays du Sud. Par conséquent, l’intérêt que nous accorderons aux effets des DPI sur les économies les pays du Nord sera très limité. Par

ailleurs, même si ces études ne se consacrent pas spécifiquement aux médicaments119, l’analyse des

prévisions et commentaires qu’elles ont eus et continues à susciter, nous permettra d’avoir un aperçu global sur l’impact du renforcement des DPI sur les prix des médicaments et le bien-être social dans les pays du Sud.

Nous étudierons, d’abord, les implications de l’extension de la protection des DPI aux PVD sur la répartition du surplus social entre le Nord et le Sud (2.1). Ensuite, nous nous pencherons sur le lien entre la protection des DPI et les IDE dans les PVD (2.2). Enfin, nous aborderons l’impact du renforcement de la protection des brevets pharmaceutiques sur les problèmes d’expropriation, à des fins privées, des savoirs traditionnels des populations PVD (2.3).

119 Ils recouvrent, généralement, tous les produits et/ou procédés dont la brevetabilité, dans un pays, pourrait avoir une influence sur les prix et la répartition du surplus entre le consommateur et la firme.

2.1 Harmonisation des DPI et répartition du surplus entre le Nord et le Sud : revue des études théoriques et empiriques

L’un des premiers travaux publiés sur cette question est celui de Chin et Grossman (1990) et porte sur les procédés de production. Ils étudient la concurrence sur le marché mondial entre une firme du Nord qui fait de la R&D pour abaisser ses coûts de production et une firme du Sud qui peut imiter la première sans coût, si le pays du Sud n’accorde pas de brevet aux innovations sur les procédés de production. Leur modèle montre que le Sud bénéficie d’un surplus social plus élevé sans protection des brevets, à moins qu’il ne représente la majorité du marché du produit considéré ou que les innovations envisagées ne permettent une baisse importante des coûts de production. Le modèle montre aussi que le Nord tire toujours un avantage de la protection par brevet des inventions dans le Sud. La protection des inventions est globalement bénéfique si la productivité de la R&D est élevée. Si nous analysons les conclusions du modèle de Chin et Grossman (1990) sous le prisme du renforcement et de l’extension de protection des brevets sur les produits et procédés pharmaceutiques, l’hypothèse d’une productivité élevée de R&D qui est la condition pour que la protection des inventions soit globalement bénéfique aux pays du Sud n’est pas toujours vérifiée. Nous montrerons dans le chapitre 4, que la hausse des dépenses de R&D dans l’industrie pharmaceutique ne s’est pas accompagnée d’une augmentation significative qualitative et quantitative des nouvelles molécules mises sur le marché. Toujours dans la perspective des conclusions du modèle de Chin et Grossman (1990), nous pouvons souligner que les pays du Sud n’ont intérêt à protéger, par brevet, que les innovations de produits et/ou de procédés pharmaceutiques destinées à traiter des maladies prévalant principalement dans les pays du Sud. Pour les maladies qui affectent à la fois les pays de Nord et les pays du Sud, ces derniers auront plutôt intérêt à se comporter en « passagers clandestins ».

Diwan et Rodrik (1991) explore les incitations à la R&D. Ils supposent que celles-ci existent exclusivement dans les pays du Nord. Ils supposent que les besoins (ou les préférences) du Sud ne sont pas identiques à ceux du Nord. Ils posent, également, l’hypothése selon laquelle, les technologies potentielles sont inégalement adaptées à la résolution des besoins des deux groupes de pays. Un des principaux résultats de leur étude est que, concernant les produits pour lesquels les préférences sont les mêmes au Nord et au Sud, le Sud est très incité à se comporter en « passager clandestin »: laisser le Nord mettre en place les brevets pour inciter son industrie à innover et ne pas protéger les innovations dans les PVD pour que ces produits puissent y être copiés à moindre coût. Par contre, pour les produits pour lesquels les préférences sont différentes, le Sud aurait intérêt à renforcer la protection par brevet pour inciter les inventeurs à innover.

Scherer (1996, 2006) étudie la question de l’impact du renforcement des DPI. Il pose les hypothèses suivantes :

1- le rendement de la R&D est décroissant (le nombre d’entités chimiques s’accroît moins vite que les dépenses de R&D) ;

2- La rentabilité des nouvelles entités chimiques est décroissante (le profit tiré des nouvelles chimiques décroît à mesure que leur nombre augmente).

Pour maximiser leur profit, les firmes optimisent leurs budgets de R&D ainsi que le nombre d’innovations. Si la protection par brevet est étendue aux PVD, l’optimum des firmes change. Les profits des firmes vont s’accroître, de même que leurs budgets de R&D ainsi que le nombre d’innovations. Cependant, à cause des deux sortes de rendements décroissants, il y a de fortes chances que les distorsions occasionnées par le coût de la mise en place de la protection des DPI dans les PVD ne soient pas compensées par l’accroissement des nouvelles innovations.

Deardoff (1990,1992) utilise un modèle pour évaluer les effets de l’extension géographique de la protection par brevet des inventions dans les PVD. Il définit une catégorie de pays où est faite une invention (pays du Nord) et où il y a toujours une protection par brevet. Ces pays produisent et consomment cette invention. Il définit une autre catégorie de pays (pays du Sud) qui sont seulement consommateurs et auxquels la protection par brevet peut être étendue. Deardoff examine les effets de cette extension en termes de bien-être (surplus social) pour chacune des catégories de pays. Le principe de base du modèle est que, l’extension de la protection a un coût (prix plus élevé, réduction de la consommation) et a comme bénéfice le surplus fourni par les produits nouveaux dont la R&D a été financée par des détenteurs de capitaux qui misent sur l’instauration du monopole.

Les résultats du modèle sont les suivants: les consommateurs des pays innovateurs bénéficient de l’extension à d’autres pays de la protection d’autant que le marché des innovateurs est important et que les innovations ont un ratio coût-avantage élevé. Cependant, les consommateurs des pays auxquels on étend l’innovation perdent d’autant plus à l’extension qu’ils représentent une petite part du marché mondial et le ratio coût-avantage de l’innovation est faible. Leurs pertes sont plus élevées que les gains des consommateurs du pays innovateur. Lorsque la protection par brevet s’étend à l’ensemble du monde, les pertes des pays importateurs de produits ou procédés brevetés ne sont pas compensées par les gains des consommateurs de pays producteurs.

La principale conclusion de Deardoff est qu’il est économiquement légitime de ne pas étendre le système des brevets au monde entier. Par conséquent, les pays les plus pauvres devraient, au moins, être exemptés de la protection des brevets.

Par la suite, Helpman (1993) étudie l’effet du renforcement des DPI sur le bien-être des pays du Sud et

du Nord. Son cadre est celui d’un modèle d’équilibre général et de croissance endogène, le seul qu’il juge pertinent pour aborder ce sujet (Koléda G., 2005). Helpman considère deux régions, le Nord et le Sud, commerçant entre elles. Il pose l’hypothèse selon laquelle ce sont les firmes du Nord qui innovent et introduisent à un taux constant de nouveaux produits. Les barrières technologiques à l’entrée permettent aux firmes innovatrices du Nord de jouir d’une position de monopole dans la production et la commercialisation des nouveaux produits jusqu’à ce que les firmes du Sud parviennent à les imiter. Une fois l’imitation réalisée dans le Sud, la concurrence se fait par les prix « concurrence à la Bertrand » et les firmes du Nord sont exclues du marché dans la mesure où leurs coûts de production sont supérieurs à ceux des firmes du Sud.Helpman suppose aussi que l’imitation s’effectue à un taux constant (c'est-à-dire qu’à chaque instant t, chaque produit a une probabilité p d’être imité).

En partant de ces hypothèses, Helpman (1993) identifie quatre canaux par lesquels les DPI peuvent affecter les deux régions : 1) les termes de l’échange, 2) la répartition de la production entre les deux régions, 3) la disponibilité des produits et 4) les comportements d’investissement en R&D (Koléda G., 2005).

D’après le modèle, le renforcement de la protection des DPI entraîne, dans un premier temps, dans une augmentation du taux d’innovation avant que celui-ci ne décline. En effet, consécutivement au renforcement, le taux d’imitation est réduit ; ce qui accroît les profits retirés de l’innovation. Puisque la rentabilité de la R&D est améliorée, plus de ressources sont consacrées à cette activité et le taux de croissance augmente (croissance endogène). Cependant, cette amélioration de la rentabilité de la R&D renforce le phénomène de dilution des parts de marché entre les producteurs de bien innovants non encore imités. Ce qui aura pour effet de réduire graduellement le taux d’innovation. A long terme, il finira par chuter.

Le modèle prévoit une double ainsi inefficience : une inefficience productive et une inefficience allocative (Combe E. et Pfister E., 2001) :

- Inefficience productive : l’harmonisation à l’échelle internationale des DPI et le renforcement de la protection par les brevets qui s’en suit, devrait entraîner une réduction du rythme de l’imitation et une réallocation de la production vers le Nord : à chaque instant t, le Nord produit une plus grande quantité de biens et le Sud une proportion moins importante. A la barrière technologique à l’entrée des firmes innovatrices du Nord sur le marché des nouveaux produits, s’ajoute une barrière institutionnelle (brevet) qui augmente le niveau de leur protection contre la concurrence des firmes imitatrices des pays du Sud. Dans ces conditions, un nombre croissant de biens sera fabriqué dans les pays du Nord à un coût de production élevé, au lieu d’être produit dans les pays du Sud puis exporté vers le Nord,

- Inefficience allocutive : le renforcement de la protection permet à l’innovateur de pratiquer des prix de monopole sur toute la durée de validité du brevet.

Des résultats du modèle de Helpman (1993), nous pouvons tirer un certain nombre d’enseignements pouvant être transposés au secteur pharmaceutique.

1- Une modification de la répartition de la production mondiale de médicament en faveur du Nord et au détriment du Sud : le déplacement de la production de médicaments qui étaient susceptibles d’être produits dans les pays en développement vers le Nord pourrait provoquer une augmentation de la demande de facteurs de production (travail) dans les pays développés et sa baisse dans le Sud. Toute chose étant égale par ailleurs, la hausse de la demande du facteur travail au Nord entraînera une hausse des salaires et une augmentation des coûts de production au Nord que les firmes innovatrices répercuteront sur les prix de ventes (départ usine) et ce, en dépit des contraintes des réglementations nationales qui limitent leur marge de manœuvre en matière de fixation des prix des médicaments.

2- Par ailleurs, puisque dans l’industrie pharmaceutique le brevet protége efficacement les innovateurs (Lanjouw, 1998), le renforcement de la protection par brevet des innovations pharmaceutiques dans les pays en développement permettra aux grands laboratoires du Nord de

retarder l’entrée sur les marchés du Sud de produits génériques commercialisés par des firmes

locales du Sud lesquelles devront attendre l’expiration du brevet. Ce qui augmentera la propension des firmes pharmaceutiques à hausser les prix et leur permettra de profiter plus longtemps des inefficiences allocatives.

Helpman confirme, ainsi, les risuqes d’effets négatifs du renforcement de la protection des brevets préconisé dans le cadre de l’Accord de l’OMC sur les ADPIC dans les pays du Sud. En effet, le déplacement de la production du Sud vers le Nord entraîne une détérioration des termes de l’échange (la demande de facteurs de production (travail) augmente dans le Nord et diminue dans le Sud), une augmentation des prix due aux coûts de production supérieurs des firmes du Nord et un pouvoir monopolistique accru des firmes novatrices du Nord. La combinaison de ces effets liés à l’inflation des coûts suite à la réallocation interrégionale de la production et la hausse du pouvoir monopolistique des firmes innovatrices ne peut conduire qu’à une augmentation des prix.

La conclusion tranchée du modèle de Helpman quant à l’impact négatif du renforcement de la protection des brevets au Sud contraste avec l’ambiguïté des propos de l’auteur quant à ses effets bénéfiques au Nord. Il montre que l’effet net du renforcement des DPI au Nord va dépendre de trois facteurs (Combe E. et Pfister E., 2001):

- Le taux d’imitation initial : s’il est faible, les termes de l’échange sont, dès le départ, favorables au

Nord. L’effet marginal d’un renforcement des DPI est alors faible et inférieur à l’effet négatif induit par la hausse des prix. A contrario, si le taux d’imitation initial dans le Sud est élevé, les termes de l’échange sont initialement défavorables au Nord et le renforcement des DPI entraîne une amélioration substantielle sur ce point.

- L’offre de main-d’œuvre relative du Sud : plus l’offre de main d’œuvre du Sud est importante par

rapport à celle du Nord, plus le différentiel des coûts de production est élevé et plus les consommateurs du Nord vont pâtir d’une réduction du taux d’imitation. Ils seraient contraints d’acheter des médicaments à des prix que l’affaiblissement des barrières institutionnelles du brevet aurait permis de réduire ;

- Le taux d’innovation : plus il est élevé, plus la production localisée dans le Nord est importante et

moins le Nord gagne à une réallocation induite par le renforcement des DPI, à moins précisément que le taux d’innovation ne soit élevé dans le Sud.

Si nous analysons les deux premiers facteurs, dans le contexte économique des pays d’Afrique subsaharienne, nous pouvons affirmer qu’aucun d’entre eux ne va dans le sens d’un effet net positif du renforcement des DPI dans le Nord : le taux d’imitation initiale des produits et procédés pharmaceutiques est faible en Afrique Subsaharienne et l’offre de main d’œuvre y est importante. Par conséquent, il y a de fortes chances que, pour les consommateurs du Nord, les gains en bien-être provenant de l’amélioration des termes de l’échange ne compensent pas les pertes dues à la réallocation de la production. Dans ces conditions, le renforcement de la protection des DPI ne serait bénéfique ni pour le Nord ni pour le Sud.

D’autres études se serviront du modèle Helpman (1993), comme point départ, pour étudier l’impact de l’harmonisation et du renforcement, au niveau mondial, de la protection des DPI sur le Nord et le Sud. Ces études reprennent son cadre d’analyse l’amendent pour tenir compte des critiques généralement faits au modèle. Ces critiques portent, principalement, sur la non prise en compte du potentiel d’innovation au Sud et l’absence d’IDE à l’étranger.

Lai (1998) indique que les effets du renforcement de la protection des DPI dans les pays du Sud dépendent du canal de transmission de la production des pays du Nord vers les pays du Sud. Si le canal de transfert de la production est l’IDE, un renforcement des DPI dans le pays du Sud accroît le rythme d’innovation, le transfert de la production et le salaire relatif dans les pays du Sud. L’effet va dans le sens contraire si le transfert de la production a lieu à travers l’imitation. Lai (1998) soutient

donc l’idée selon laquelle le renforcement de la protection des DPI doit donc être interprété comme une incitation donnée par les pays du Sud afin d’encourager les IDE venus des pays du Nord (Koléda, G., 2005).

Primo Braga et Fink (1999) envisagent deux cas pour prévoir l’effet d’un renforcement de la

protection des DPI dans un pays sur le bien être collectif : les pays considérés comme « petits »120

(pays en développement) et les « grands pays » (pays industrialisés). Dans le cas des « petits » pays, les auteurs prévoient l’effet du renforcement de la protection des DPI sur le bien-être à l’aune de la capacité de production et d’innovation du pays. S’il s’agit d’un petit pays avec une capacité limitée de production, une protection accrue des DPI pourrait augmenter le bien-être collectif en permettant l’accès à de nouveaux produits. Les firmes étrangères seraient incitées à venir investir dans le pays et rendraient disponibles sur le marché de nouveaux produits. Si le pays possède une grande capacité de production (donc d’imitation) mais une capacité limitée d’innovation, un renforcement de la protection des DPI aura probablement pour conséquence de provoquer la délocalisation des firmes locales qui fabriquaient les imitations des produits brevetés vers des pays moins regardants dans ce domaine. Ce qui pourrait augmenter les prix ainsi que les transferts de rentes des consommateurs et des producteurs locaux vers les investisseurs étrangers. L’élévation des standards en matière de protection des DPI dans le pays va faire infléchir le rythme d’imitation des produits innovants, restreindre l’activité des producteurs locaux. La faible capacité d’innovation des firmes locales va placer les investisseurs étrangers en position de monopole sur le marché local. Ce qui fera croître les prix. L’augmentation des prix, combinée à l’accroissement des coûts d’imitation des nouveaux produits et procédés, va entrainer une diminution du bien-être collectif. Enfin, si le pays bénéficie d’une bonne capacité de production et d’innovation, l’impact du renforcement de la protection de la PI est incertain, tout dépendant de l’élasticité de l’innovation locale par rapport à la force des DPI. Si l’innovation locale est plutôt inélastique par rapport aux DPI (les firmes innovatrices sont peu sensibles à la protection des DPI), les producteurs locaux ne profiteront pas d’une meilleure protection de la propriété intellectuelle. Imiter les firmes étrangères deviendra plus coûteux et la R&D locale n’augmentera pas assez pour permettre aux firmes locales de produire, elles-mêmes, de nouveaux produits ou développer de nouveaux procédés de fabrication. Si, au contraire, l’innovation locale est élastique par rapport aux DPI, les producteurs locaux bénéficieront de la nouvelle R&D qui se fera dans le pays et les revenus liés aux nouveaux produits ou procédés brevetés demeureront à l’intérieur. Ce qui pourrait augmenter le