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Les événements syriens de 1925-1926 peuvent être définis comme une révolte populaire, grandement anti-impérialiste avec des orientations nationalistes prononcées (KHOURY, PHD, p. 527 ; toutes les analyses qui suivent proviennent de cette thèse).

Une révolte populaire.

Populaire, la révolte l'est en effet puisqu'elle rencontre le soutien de la quasi-totalité des couches de la société, gros propriétaires terriens absentéistes urbains, bourgeoisie commerciale urbaine, intelligentsia appartenant à la classe moyenne (de formation européenne ou issue des-milieux religieux), classe laborieuse, paysannerie et quelques nomades. Parti du Djebel druze, le mouvement embrase Damas, Homs, Hamâh, la Syrie du nord, le Liban du sud ; seuls la région alaouite et le sandjak d'Alexandrette restent totalement à l'écart. Il ne s'agit cependant pas d'une insurrection d’une population entière en armes ; 16 000 personnes seulement prennent les armes. Le reste de la population soutient.

Une révolte anti-impérialiste.

La révolte semble l'expression culminante du ressentiment collectivement ressenti au bout de cinq années de présence capricieuse de la France représentée par trois hauts-commissaires aux conceptions politiques très différentes les uns des autres. À ce manque de continuité politique s'ajoute la situation catastrophique de l'économie du pays ; les budgets, majoritairement consacrés aux questions de défense et de sécurité, ne donnent lieu à quasiment aucun investissement productif ; la livre syrienne liée au franc perd toute valeur en quelques années ; le chômage grimpe de même que les impôts ; le contrôle de la France à la manière marocaine ne laisse aucune liberté aux leaders nationaux ; les divisions ethniques et religieuses, barrière traditionnelle à l'unité et au développement de la région, sont systématiquement encouragées et exploitées par la Puissance mandataire. On assiste ainsi à un rejet global de la présence française jugée responsable de tous les maux du pays.

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Une révolte nationaliste ?

La révolte n'émerge pas des activités des cercles nationalistes damascènes mais d'un Djebel druze à vieilles tendances séparatistes refusant le changement imposé par le mandat. Elle est, cependant, déclenchée par la faction druze qui entretient des relations avec les nationalistes damascènes. Il est donc préférable de parler de mouvement anti-impérialiste. Ce n'est que dans un deuxième temps que les druzes ont découvert tout l'intérêt d'exprimer leur soulèvement en termes d'unité nationale.

Vers la moitié des années 1920, le nationalisme reste encore l'apanage des hautes et moyennes couches de la population urbaine. Aucun appel véritablement nationaliste n'émerge des classes populaires qui maintiennent leurs loyalismes traditionnels envers la famille, le clan, le quartier, le village et n'ont pas encore découvert le loyalisme à la nation ou à l'État. Les nationalistes urbains ont tout simplement su canaliser un mécontentement populaire dans un mouvement plus général anti- impérialiste, tout en lui donnant une coloration nationaliste.

Groupes sociaux ayant participé à la révolte.

Les propriétaires terriens absentéistes.

Dès la révolte druze connue, la classe des propriétaires terriens, absentéistes et urbains, apporte son aide aux rebelles et tient ensuite le leadership du mouvement. Impliquée depuis longtemps dans l'émergence du mouvement libéral arabe et arabiste, cette classe quasiment toute entière (à l'exception de ses éléments rejetés par Faysal pour leur loyalisme ottoman trop longtemps affiché) s'est trouvée précipitée dans les bras des rebelles par la politique du haut-commissariat. Tâchant de discréditer le leadership nationaliste urbain, le haut-commissariat s'est efforcé d'exacerber les rivalités internes à ce groupe tout en essayant de la priver de ses revenus ; l'accès des postes étatiques lui est interdit tandis que la réforme agraire projetée tente de réduire ses possessions agricoles. Contre les propriétaires terriens absentéistes, la France joue la promotion des notables ruraux et des mukhtârs. L'augmentation des taxes agricoles ne fait que précipiter dans les rangs nationalistes les propriétaires terriens absentéistes hésitants face au mandat. Le mieux éduqué et le plus politisé, ce groupe prend naturellement la tête de la révolte.

La bourgeoisie commerçante.

Il est toujours difficile de différencier ce groupe social de celui des propriétaires terriens absentéistes ; de nombreuses alliances familiales existent en sus des liens économiques. La bourgeoisie commerçante peut se répartir en deux catégories :

- Une bourgeoise compradore, apparue au XIXème siècle comme agents de l'Europe dans la région. Chrétiens pour la plupart (la minorité juive appartient aussi à ce groupe), ces

69 commerçants voient d'un bon œil le mandat français, garant pour eux de stabilité et de faveur. Par peur de violences anti-chrétiennes, ce groupe observe cependant une neutralité effective.

- L'autre catégorie de la bourgeoise commerçante est musulmane, maintenue à l'écart du capital étranger par la Puissance mandataire. Distributeurs locaux et exportateurs vers les provinces voisines de l'empire ottoman des produits autochtones (savon, textiles, peaux, blé, fruits et troupeaux), ces marchands ont subi de plein fouet le dépeçage de l'empire et les difficultés économiques et monétaires des premiers temps du mandat. Le nationalisme leur fournit un outil idéologique tout prêt à exprimer leur frustration. Malgré leur peur de perdre de l'argent, ils offrent un certain soutien aux rebelles.

La paysannerie.

Sans le soutien de la paysannerie, cependant, jamais la révolte syrienne n'aurait pu durer tant de temps. Plusieurs facteurs peuvent expliquer ce soutien. Sans aucun doute, l'insurrection a-t-elle manifesté son ressentiment devant les changements sociaux, économiques et politiques que la Puissance mandataire voulait lui imposer ; sans doute l'appétit de s'emparer des terres des quelques propriétaires terriens collaborateurs a-t-il joué son rôle ; la répression des résistances et la mauvaise qualité des dernières récoltes ont, enfin, poussé l'exaspération à son comble. Une raison plus profonde peut être avancée : les bandes de rebelles ont été les plus actives dans les régions où les relations capitalistes ont le plus pénétré depuis le milieu du XIXème sous la double influence de la pénétration européenne et de la commercialisation des produits agricoles ; de gros propriétaires terriens absentéistes sont apparus et cela principalement dans les jardins irrigués autour de Damas, et les régions céréalières du Hawrân, de Homs et de Hamâh. Une différentiation sociale par classes est ainsi apparue dans les campagnes parallèlement à l'effondrement de l'autonomie de la communauté villageoise. Les frustrations se sont ainsi accumulées.

Groupes sociaux absents de la révolte.

Seuls des membres de certaines minorités ethniques et religieuses coopèrent avec la Puissance mandataire dans la répression de l'insurrection. Il s'agit principalement de Circassiens et d'Arméniens ; la tribu bédouine des Rwala ( ور ا ) de Syrie du sud, ennemie traditionnelle des druzes a, elle aussi, prêté son secours à l'armée française.

Certaines catégories de la population syrienne, tout en s'abstenant de prendre part à la révolte, évitent de s'engager au côté de la France. Il s'agit de segments de deux groupes sociaux qui tiennent à éviter de perdre leur position d'intermédiaire entre la société locale et l'État, contrôlé par la France : aile collaboratrice de la classe des propriétaires terriens absentéistes et des fonctionnaires

70 (rejetés par Faysal pour leur ottomanisme), et bourgeoisie compradore à dominante chrétienne. Les minorités religieuses urbaines, par instinct de protection, participent peu aux événements, d'un côté comme de l'autre.

5 – Vers l’établissement d’une constitution en Syrie.

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