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Chapitre 3 : L’apport des sagesses orientales comme confirmation des théories sur la

3.1 La rencontre de Jung avec l’Est

En 1932, Jung est appelé à donner quatre conférences sur le yoga de la Kundalinî, pour y présenter une étude sur la symbolique de l’énergie vitale concentrée dans des

chakras. Dans la préface du livre qui sera confectionné à partir de ces conférences, Psychologie du Yoga de la Kundalinî304, le professeur d’histoire des sciences et de la

303 JUNG, C.G. Dialectique du moi et de l'inconscient… p.20

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médecine Sonu Shamdasani, explique au sujet de la relation de Jung avec l’Orient : « Dans les années 60, Jung fut adopté comme un gourou par le mouvement New Age. À

l’évidence, l’une des raisons de cet engouement, et non des moindres, est le rôle qu’il a joué dans la propagation de la pensée orientale, en favorisant son étude, en contribuant à sa diffusion et en l’analysant au regard de la psychologie moderne »305. Si les propos de Jung eurent un aussi gros impact, c’est qu’ils proposaient une nouvelle lecture des religions par l’entremise de la psychologie des profondeurs. Celle-ci lui a permis de trouver un point de repère à l’extérieur de sa propre civilisation et d’affirmer son originalité par rapport à Freud, tant du point de vue de sa conception de la psyché que de sa méthode thérapeutique306. L’application de sa psychologie aux cosmologies hindoue et bouddhiste a vu ses premières esquisses en 1912 dans Métamorphose et symboles de la

libido307 et s’est fait par la suite expliquer en profondeur en 1921 dans Types psychologiques308. Ce fut néanmoins la rencontre avec Richard Wilhelm, spécialiste et traducteur de plusieurs écrits orientaux, qui introduisit Jung à la richesse des textes sacrés et qui le mènera à rédiger son Commentaire sur le Mystère de la Fleur d’Or309. Ce petit ouvrage représente une étape importante dans l’œuvre de Jung, car il marque le début d’une étude sérieuse des civilisations orientales et lui permet de structurer plusieurs termes de sa psychologie310. Même si l’ouvrage analyse un texte sacré chinois, il permet tout de même d’entrevoir la vision générale qu’a Jung des religions orientales. Pour connaître les détails et les spécificités de son expérience avec l’Orient, il faut par contre se référer à Psychologie et Orientalisme311, un regroupement des divers textes rédigés

entre 1935 et 1960. Ces textes ont été écrits suite à une série de voyages effectués par Jung, notamment au Nouveau-Mexique, en Afrique et en Inde312. C’est toutefois l’Inde, où il fut invité pour y recevoir le titre de docteur honoris causa par l’Université de

305 JUNG, C.G. Psychologie du yoga de la Kundalinî… p.16

306 CHONÉ, Aurélie. Rudolf Steiner, Carl Gustav Jung, Hermann Hesse... p.134

307 JUNG, C.G. Métamorphoses de l’âme et ses symboles, Genève : Librairie de l’Université, 1973. 308 JUNG, C.G. Types psychologiques, Genève : Librairie de l’Université, 1950.

309 JUNG, C.G. Commentaire sur le Mystère de la Fleur d’Or, Paris : Albin Michel, 1994. 310 Ibidem. p.9

311 JUNG, C.G. Psychologie et Orientalisme, Paris : Albin Michel, 1985. 312 BAIR, Deirdre. Jung. Une biographie, Paris : Flammarion, 2007, p.539

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Bénarès et de Calcutta313, qui produisit en lui la plus forte impression. Dans les deux articles qu’il écrit à son retour, « L’Inde un monde comme celui des rêves » et « Ce que l’Inde peut nous apprendre »314, il est possible de constater à quel point Jung fut profondément marqué par la culture hindoue et comment cette expérience l’a mis en contact avec une dimension qui lui était jusqu’alors étrangère. Son ami Joseph L. Henderson, professeur à l’Université de Stanford, raconte : « I remember Jung saying to

me, on his return from a trip to India, that he saw the religions of the East as a great challenge to our Western psychology as therapy »315. La découverte de l’Orient lui permet, non seulement de tirer des notions qui viennent appuyer ses propres considérations psychologiques316, mais aussi de définir une voie de guérison à l’esprit malade de ses patients317.

La rencontre de Jung avec l’Est prend également assise dans ses correspondances et ses entretiens. Passionné de mythologie comparée, Jung lit les travaux de spécialistes tels qu’Adalbert Kuhn, Rudolf Meringer et Friedrich Max Müller318, mais c’est sa relation

amicale avec Heinrich Zimmer, un imminent indianiste et professeur de sanskrit à l’Université de Heidelberg, qui sera déterminante. Il écrit au sujet de sa relation avec Zimmer : « Au cours de notre collaboration, j’ai eu grâce à lui des aperçus inestimables

de l’âme orientale, non seulement par la richesse de ses connaissances en ce domaine, mais surtout par sa géniale compréhension du sens de la mythologie indienne »319. Les traductions de Zimmer permettent à Jung d’étudier pendant plusieurs années les textes sacrés relatifs à la culture spirituelle indienne, plus particulièrement les Upanishad, sur

313 BAUDOUIN, Charles. L'Œuvre de Carl Jung et la psychologie complexe… p.22; JUNG, C.G.

Commentaire sur le Mystère de la Fleur d’Or… p.26; CHONÉ, Aurélie. Rudolf Steiner, Carl Gustav Jung, Hermann Hesse… p.31

314 Publiés notamment dans Psychologie et Orientalisme … p.107-128 315 COWARD, Haro ld. Jung and eastern thought... p. XIII

316 À titre d’exemp le, notons seulement l’influence conceptuelle de notions telles que le Karma, la

Kundalinî, le Purusa, le Pra jna et plus particulièrement le Yoga et l’Atman, notions sur lesquelles nous

nous pencherons dans ce chapitre. Les liens entre ces notions et sa psychologie sont explicités en détails dans COWARD, Harold. Jung and eastern thought, Albany: State University of New Yo rk Press, 1985.

317 Il s’agit selon nous de l’objectif principal de la récupération de l’Orient par Jung. Cette idée sera

exposée dans la section sur « L’heuristique jungienne ».

318 CHONÉ, Aurélie. Rudolf Steiner, Carl Gustav Jung, Hermann Hesse … p.63

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lesquelles il se base pour analyser la représentation du Soi en Inde320. Il y découvre la philosophie du Vedanta, qui met de l’avant la conception selon laquelle le Soi (Atman) est identique à la réalité ultime (Brahman). La vision non-dualiste de la Bhagavad-gita321 et la connaissance du yoga sont également des éléments essentiels à la construction de sa vision de l’Orient.

3.2 Précisions terminologiques et critiques sociologiques