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Chapitre 2: La guérison de la névrose par le recouvrement d’une attitude religieuse

2.1 La théorie jungienne de la religion

2.1.3 Une psychologie de la religion

Reprenons la problématique qui nous intéresse, à savoir comment l’attitude religieuse peut guérir la névrose. Comme nous l’avons présenté, pour la psychologie analytique la névrose représente une coupure avec une partie de la personnalité totale du sujet. Nous avons également exposé en quoi Jung considère l’âme comme naturellement religieuse. Dès lors, si l’âme humaine possède un aspect fondamentalement religieux et que se couper d’une part de soi-même peut provoquer la névrose, alors tout individu dissocié de sa partie spirituelle risque de souffrir de divers troubles névrotiques importants. Pour Jung, l’expérience religieuse peut être salvatrice, car elle transforme l’homme tout entier en lui permettant de se reconnaître comme étant attaché à quelque chose de divin, c’est-à-dire à une réalité qui le transcende et l’illumine. Il déclare en ce sens : « De tous mes malades qui avaient franchi le seuil de la moitié de la vie, c’est-à-

dire plus de trente-cinq ans, il n’en est pas un seul dont le problème le plus profond n’a pas été constitué par la question de son attitude religieuse. […] aucun n’a été réellement guéri qui n’a pas recouvré en même temps une attitude religieuse »156. Nous nous

154 HOSTIE, Ray mond. Du mythe à la religion. La psychologie analytique de C. G. Jung... p.102 155 BAUDOUIN, Charles. L'Œuvre de Carl Jung et la psychologie complexe… p.313

156 JUNG, C.G. La guérison psychologique, Genève : Georg, 1993, p.286 cité par MELANSON, Steve.

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intéressons ici à l’expérience religieuse pour Jung et à son impact sur l’âme. Nous voulons savoir quelle est la valeur herméneutique ainsi que le point de départ du rapport de Jung à la religion.

Tout d’abord, le terme « religion » renvoie chez Jung à une série d’expériences où l’homme entre en relation avec le sacré157. Cette relation est définie dans Psychologie et

religion158 comme « le fait de prendre en considération, avec conscience et attention, ce

que Rudolf Otto a fort heureusement appelé le numinosum »159. Jung rattache le terme religion non pas au mot latin religare qui veut dire relier, mais à celui de religere (relire), qui exprime mieux le fait qu’elle est, selon lui, une lecture attentive et minutieuse appliquée à l’objet numineux160. Ce numinosum (l’objet numineux) est un terme emprunté au théologien Rudolph Otto (1869-1937) dans son ouvrage de 1917, Le

Sacré161. Otto se situe dans la filiation idéologique de Friedrich Schleiermacher (1768- 1834), qui propose une approche psychologique opposée au rationalisme et au moralisme, caractéristiques des Lumières162. Le Sacré d’Otto se veut également une phénoménologie du religieux, dans la mesure où il se penche sur l’étude de la perception du croyant et postule que les manifestations religieuses constituent un phénomène autonome163. Cette vision imprègnera notamment les travaux de Mircea Eliade qui utilisera le concept d’Otto dans son livre Le Sacré et le Profane164 et marquera la vision globale de Jung qui appliquera la notion de « numineux » à sa psychologie analytique. Pour Otto comme pour Jung, l’homme est naturellement doué d’un sens religieux qui se manifeste comme l’expression spontanée d’un état psychique caractérisé par la sensation d’une relation à une puissance supérieure165. Cette puissance est ce qu’Otto qualifiait de

157 MELA NSON, Steve. Jung et la mystique… p. 145

158 JUNG, C.G. Psychologie et Religion, Paris : Buchet/Chastel, 1958. 159 Ibidem. p.17

160 CHONÉ, Aurélie. Rudolf Steiner, Carl Gustav Jung, Hermann Hesse… p.133 161 OTTO, Rudolf. Le Sacré, Paris : Payot, 1995.

162 CHONÉ, Aurélie. Rudolf Steiner, Carl Gustav Jung, Hermann Hesse … p.133-134

163 CAMILLERI, Sylvain. Phénoménologie de la religion herméneutique théologique dans la pensée du

jeune Heidegger. Commentaire analytique des Fondements philosophiques de la mystique médiévale (1916-1919), Paris : Springer, 2008, p. 547 et 553

164 ELIADE, Mircea. Le Sacré et le Pro fane, Paris : Gallimard, 1987. 165 MELA NSON, Steve. Jung et la mystique… p.62

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« numineux ». En effet, celui-ci « marque l’impact, en l’âme, de la relation avec la

transcendance [et] active un grand nombre d’émotions, conscientes ou inconscientes, provoquant ainsi une transformation »166. Le sujet qui vit une expérience directe du

numinosum la ressent comme « un effet dynamique qui ne trouve pas sa cause dans un acte arbitraire de volonté »167. Il s’agit en ce sens d’une rencontre intense et puissante avec un phénomène qui n’est pas atteignable par la conscience et donc ressentie comme « tout autre »168. Cette rencontre est pour Jung un évènement qui se produit dans la psyché, mais qui provient ailleurs que de la conscience. La religion est alors décrite comme « une relation vivante avec les processus mentaux qui ne dépendent pas de la

conscience, mais qui se produisent au-delà d’elle, dans l’obscur arrière-plan de l’âme

»169. Par conséquent, la religion représente une attitude inconsciente et naturelle de l’âme humaine.

De plus, puisque la religion est une expérience naturelle de l’âme vécue par un sujet individuel, elle apparaît à Jung comme irréductible et indiscutable. Tardan-Masquelier résume cette idée chez Jung : « L’expérience religieuse est absolue. Elle est au sens

propre indiscutable. Il s’ensuit qu’aucune méthode réductrice n’est apte à saisir sa spécificité »170. Jung applique sa méthode de façon cohérente en soulignant l’irréductibilité du religieux, c’est-à-dire l’importance de prendre l’expérience totale comme un phénomène dont les différentes parties sont indissociables. Aussi, cette expérience nous renseigne sur la disposition psychique de l’individu, ce qui rend peu pertinent la cherche des failles sur la réalité objective de son témoignage. Ce qu’il faut comprendre c’est que pour le phénoménologue qu’est Jung, toute expérience religieuse s’appuie sur la révélation subjective du transcendant au sujet171. Il n’importe guère que cette expérience corresponde à quelque chose hors de la conscience, car d’un point de vue psychologique, elle est réelle en tant que telle, c’est-à-dire qu’elle a une efficacité sur

166 TARDAN-MASQUELIER, Ysé. Jung et la question du sacré… p.186 167 JUNG, C.G. Psychologie et Religion… p.17

168 JUNG, C.G. Commentaire sur le Mystère de la Fleur d’Or... p.53

169 ANTIER, Jean-Jacques. C. G. Jung : l'expérience du divin, Paris : Presses de la Renaissance, 2010,

p.284

170 TARDAN-MASQUELIER, Ysé. Jung et la question du sacré… p.146 171 Ibidem. p.149

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la psyché de l’individu172. Il écrit : « La religion est une expérience absolue, on ne peut

pas en discuter. Si quelqu'un a une telle expérience, eh bien, il l'a eu, tout simplement, et personne ne peut plus la lui prendre »173. C’est dans cette optique « psychologique » que Jung analyse la religion et ses manifestations.