c) Cas particuliers
2) Remodeleurs chromatiniens et CDB
Après apparition d’une CDB, la chromatine proche des extrémités subit des modifications comme la phosphorylation d’H2A.X médiée par ATM (et ATR). Cette modification permet le recrutement de facteurs médiateurs de la réparation comme MDC1 ou 53BP1 par exemple (Ciccia et Elledge 2010; Kinner et al. 2008). La structure de la chromatine, comme introduit précédemment, joue un rôle important dans la réparation et signalisation des CDB. La compaction de la chromatine influence l’efficacité de la DDR et peut nécessiter une dégradation des histones ou une déstabilisation du nucléosome (Hauer et Gasser 2017). Cette déstabilisation peut s’étendre jusqu’à 3 kilobases autour de la lésion, et est requise pour une réparation optimale de cette dernière (J. Kim et al. 2007; Ye Xu et Price 2011; Ye Xu et al. 2010). Il a été montré qu’une CDB localisée dans une région d’hétérochromatine est réparée plus lentement que dans une région d’euchromatine, et nécessite plus d’étapes comme la phosphorylation de la protéine KAP1 par exemple (Goodarzi et al. 2008a; Goodarzi, Kurka, et Jeggo
2011). Ces étapes sont nécessaires afin de permettre une expansion ATP‐dépendante de la chromatine (Kruhlak et al. 2006) et sa relaxation au niveau de la cassure (Goodarzi et al. 2008a).
En phase G1 du cycle cellulaire, la Nucleolin, une chaperonne d’histones, est recrutée directement aux sites de cassures via son interaction avec RAD50 (du complexe MRN) afin de retirer un dimère H2A/H2B et entraîner la déstabilisation du nucléosome. En parallèle de cette déstabilisation partielle, une déstabilisation complète peut être observée durant la phase S/G2 lors de l’étape de résection réalisée par l’endonucléase CtiP associée à la voie RH (Goldstein et al. 2013). Ces observations démontrent l’importance du remodelage chromatinien nécessaire pour une réparation efficace des CDB.
a) Généralités
Il existe un grand nombre de complexes ATP‐dépendants remodeleurs de la chromatine. Ces derniers jouent un rôle important dans la régulation de la transcription et plus précisément dans l’accessibilité des facteurs de transcription à l’ADN (Bell et al. 2011). Leur implication dans les mécanismes de réparation de l’ADN apparait de plus en plus importante. Plusieurs travaux ont mis en avant l’importance des remodeleurs chromatiniens dans la DDR, en montrant une hypersensibilité cellulaire à des évènements clastogènes après déplétion de certaines sous‐unités de ces complexes (Chambers et Downs 2012; Jeggo et Downs 2014). Ce phénotype hypersensible aux CDB peut provenir d’une dérégulation transcriptionnelle, d’un défaut de réplication ou d’une atteinte directe des voies de réparation. Afin de comprendre si différents complexes agissent de manière directe ou indirecte sur les voies de réparation des CDB, il est important d’étudier leur impact sur le recrutement de facteurs de la réparation ainsi que leur propre diffusion au sein du noyau via des techniques de microscopie à fluorescence. L’étude de leur impact sur la composition et l’état de la chromatine au site de cassure est également à considérer via des techniques d’immunoprécipitation de la chromatine (ChIP) par exemple (Seeber, Hauer, et Gasser 2013).Ces complexes sont capables via une hydrolyse de l’ATP de modifier les contacts entre histones et peuvent déplacer par glissement, altérer sa composition ou retirer un nucléosome (Hargreaves et Crabtree 2011; Clapier et Cairns 2009; Flaus et Owen‐Hughes 2004). Ces complexes peuvent être regroupés en quatre familles distinctes : SWI/SNF (Switch/sucrose non‐fermenting), INO80 (Inositol requiring 80), CHD (Chromodomain‐helicase‐DNA binding) et ISWI (Imitiation
Switch). Chaque famille est caractérisée par la nature des domaines SWI2/SNF2 portés par les sous‐ unités ATPases de ces complexes. Ces différents complexes ATP‐dépendants possèdent de nombreuses fonctions liées au métabolisme cellulaire. Parfois redondantes, ces fonctions se retrouvent dans la régulation de la croissance, du développement ou de la différentiation cellulaire. Ces complexes peuvent donc être impliqués dans des étapes du développement embryonnaire ou de la tumorigénèse (Hargreaves et Crabtree 2011; Clapier et Cairns 2009).
b) Complexe SWI/SNF et DDR
Chez les mammifères, le complexe SWI/SNF permet de réguler l’efficacité de la DDR et est recruté au niveau des CDB (Chai 2005). Chez l’Homme, celui‐ci contient une sous‐unité catalytique BRG ou BRM et se présente sous forme BAF ou pBAF (pour BRG1/BRM associated factors) suivant la sous‐ unité impliquée (Clapier et Cairns 2009). En effet, une déstabilisation des sous‐unités catalytiques BRG1 ou BRM (portant l’activité ATPase du complexe) mène à une hypersensibilité cellulaire à des agents clastogènes, inhibe la phosphorylation de H2A.X à la suite d’une lésion et diminue ainsi l’efficacité de réparation (Park et al. 2009; Smith‐Roe et al. 2015). Chacune de ces sous‐unités est recrutée au niveau de la chromatine endommagée et interagit avec l’histone H3 et H4 du nucléosome à proximité de la lésion. GCN5, une histone acétyltransférase (HAT), se lie à pH2A.X après formation d’une CDB, entraînant l’acétylation des histones H3 à proximité. Cette acétylation est reconnue par BRG1 et permet le recrutement du domaine SWI/SNF (Qi et al. 2015, 1). D’autres HAT telles que TIP60, p300 ou CBP permettent également un recrutement du complexe SWI/SNF au niveau des CDB (Ogiwara et al. 2011). Le recrutement au site de cassure du complexe SWI/SNF dépend de son interaction avec un effecteur précoce de la DDR nommé BRIT1. Cette interaction est dépendante de la phosphorylation par ATM de la sous‐unité BAF170 du complexe SWI/SNF. De façon intéressante, une déplétion de BRIT1 a révélé un défaut de relaxation de la chromatine coïncidant avec une déficience des voies NHEJ et RH (Peng et al. 2009). Enfin, des travaux, utilisant le système I‐Sce pour générer des cassures de l’ADN, ont démontré l’importance des sous‐unité PBAF pour la réparation de cassures proches de régions transcriptionnellement actives (Kakarougkas et al. 2014). A l’inverse, les sous‐unité BAF (comme BRM), nécessaires au recrutement de Ku70/80 (Ogiwara et al. 2011; Watanabe et al. 2017) ne semblent pas
impliquées. Ces deux formes du complexe SWI/SNF pourraient donc coexister et posséder des rôles non‐redondants au niveau des CDB.
c) Complexe CHD et DDR
Les complexes CHD ou NuRD possèdent des sous‐unités catalytiques leur permettant de se lier aux histones méthylées et sont décrits dans différents mécanismes comme la régulation de la transcription ou l’échange dynamique d’histones au sein du nucléosomes (Clapier et Cairns 2009). De façon intéressante, une déplétion des sous‐unité CHD4 ou MTA2 de ces complexes par shARN a révélé une activation de la voie p53 et une augmentation de dommages spontanés à l’ADN. Ces sous‐unités sont recrutées de façon PARP‐dépendante au niveau de CDB après RI, et CHD4 a démontré une capacité à promouvoir l’ubiquitination d’histones favorisant le recrutement de RNF168 ou d’autres facteurs tel que BRCA1 (Chou et al. 2010; Sophie E Polo et al. 2010).En comparaison, le complexe CHD3 est exclu des sites de cassures dans les zones d’hétérochromatine riches en KAP1. Ce retrait est dépendant de l’activité d’ATM. En effet, la phosphorylation via ATM de KAP1 en pKAP1 déstabilise son interaction avec CHD3, entrainant le décrochage de cette dernière. L’apparition de pKAP1 est alors suivie d’une relaxation de la chromatine afin de faciliter l’accès des protéines de la réparation (Goodarzi et al. 2008b; Goodarzi, Kurka, et Jeggo 2011). Ainsi de manière paradoxale, CHD3 est retiré de zones transcriptionnellement éteintes afin de relâcher la chromatine et favoriser la réparation ; à l’inverse de NuRD, qui est recruté dans des zones transcriptionnellement actives et semble éteindre cette transcription durant la phase de réparation.
d) Autres exemples de complexes remodeleurs impliqués dans la DDR
L’activité du complexe TRRAP/TIP60 via sa sous‐unité ATPase p400 permet une intégration d’H2A.Z au sein du nucléosome de manière dépendante du signal pH2A.X (Ye Xu et al. 2010, 60). Cet échange d’H2A en H2A.Z est requis pour l’acétylation de l’histone H4 par TIP60 et l’activité de RNF8. L’incorporation d’H2A.Z favorise aussi le recrutement de l’hétérodimère Ku70/80. En effet, le recrutement de ce dernier est diminué au profit de RPA, au sein de cellules H2A.Z déficientes. Ce défaut peut être corrigé par déplétion de CtiP. L’incorporation d’H2A.Z au sein du génome via TIP60 génère donc une barrière contre la résection et favorise ainsi une réparation via la voie NHEJ (Ye Xu et
Un rôle intéressant, et paradoxal, de TIP60 nouvellement décrit est sa capacité de lier H4K20me2. Cette interaction, avec l’acétylation de l’histone H4, semble déstabiliser l’association de 53BP1 au nucléosome et donc promouvoir une réparation par la voie RH (Tang et al. 2013). En effet, TIP60 semble entrer en compétition au niveau d’H4K20me2 et est capable d’acétyler H2AK15, bloquant sa mono‐ubiquitination et empêchant le recrutement de 53BP1 (Jacquet et al. 2016).