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Remarques sur la Commande des Syst` emes Positifs

1.4.1 La Notion de “Commande”

Au cours du prochain chapitre, nous d´evelopperons des r´esultats sur le contrˆole de certaines classes de syst`emes non-lin´eaires positifs. Il convient d’abord d’expliquer dans le cas g´en´eral la notion de “commande”. Nous reviendrons ensuite sur le cas particulier de la commande des syst`emes positifs.

Dans le cas g´en´eral, il est possible de classifier les grandeurs (autres que l’´etat et le temps) intervenant dans la formulation d’un mod`ele de processus dynamique selon deux cat´egories:

• Les grandeurs internes au processus mod´elis´e, dont les valeurs sont totalement d´etermin´ees par le ph´enom`ene `a mettre en ´equation On appelle ces grandeurs des param`etres du mod`ele. • Les grandeurs externes au processus mod´elis´e, dont les valeurs sont d´etermin´ees par des ph´

e-nom`enes ext´erieurs au syst`eme consid´er´e. On appelle ces grandeurs des entr´ees du mod`ele. Si la valeur d’une entr´ee peut ˆetre choisie et impos´ee par un op´erateur, on parlera alors d’une commande.

En donnant aux commandes des profils temporels sp´ecifiques, il est possible de modifier le syst`eme original (i.e. pour des valeurs fix´ees des commandes) afin d’obtenir un comportement dynamique nou-veau et conforme aux attentes de l’utilisateur. On dira alors que l’on contrˆole le syst`eme. On peut distinguer deux types de contrˆole:

• Si le profil temporel de la commande est calcul´e a priori, sans tenir compte d’informations sur l’´etat du syst`eme au temps pr´esent(i.e. des mesures), on parle de commande ou de contrˆole en boucle ouverte. Ce type de contrˆole produit parfois des r´esultats tr`es ´eloign´es du but recherch´e. • Si par contre on modifie au cours du temps la valeur de la commande en fonction d’informations

sur l’´etat du syst`eme au mˆeme instant (i.e. en fonction de mesures), on parle de commande ou de contrˆole en boucle ferm´ee. Ce type de commande permet entre autre de tenir compte d’´ev`enements n’ayant pas ´et´e pr´evus a priori.

1.4 Remarques sur la Commande des Syst`emes Positifs 39

Consid´erons l’exemple analytique suivant, issu de probl´ematiques de gestion de la pˆeche. Celui-ci nous permettra aussi, au chapitre suivant, d’introduire de fa¸con simple nos r´esultats, d´evelopp´es ensuite pour des syst`emes plus complexes.

Exemple – Consid´erons un mod`ele classique en halieutique, r´egissant la dynamique d’une population de poissons subissant la pr´edation humaine (i.e. la pˆeche). Supposons que le milieu o`u vivent les poissons est suffisamment riche (ou vaste) pour nourrir une quantit´e infinie de poissons (i.e. le taux de natalit´e est strictement positif sauf ´eventuellement si il n’y a pas de poissons). On obtient alors le mod`ele positif mono-dimensionnel suivant (x repr´esentant le nombre de poissons), assez proche du mod`ele classique de Schaefer [118, 41]:

˙ x = ϕ(x) | {z } “natalit´e” ≥0 − u |{z} “effort de pˆeche”≥0 x (1.13)

Il est assez clair que la grandeur u (l’effort de pˆeche) est, comme d´efini plus haut, une entr´ee du syst`eme; de plus sa valeur est impos´ee par les “op´erateurs”: il d´epend enti`erement de la d´ecision des pˆecheurs de pˆecher de fa¸con plus ou moins intense. u est donc une commande du syst`eme (1.13). Remarquons un point important, ici l’effort de pˆeche u est forc´ement positif.

Dans le cadre g´en´eral de l’automatique classique (notamment en lin´eaire) les commandes ne sont pas consid´er´ees comme contraintes (mˆeme si elles le sont sur les cas r´eels). Remarquons que pour le mod`ele (1.13), la commande u peut seulement prendre des valeurs positives. Au niveau des probl´ematiques de contrˆole des syst`emes positifs, la commande est le plus souvent contrainte `a la positivit´e.

En fait, pour les syst`emes positifs, la commande doit g´en´eralement respecter une double contrainte:

– La premi`ere, qui n’est pas sp´ecifique aux syst`emes positifs, est celle impos´ee par le sens “physique” de la commande. C’est souvent ce sens physique qui induit la positivit´e des commandes des syst`emes positifs.

Exemple – Pour le mod`ele (1.13), le pˆecheur ne peut pas mettre de poissons dans la mer, on a donc: u ≥ 0

– La seconde contrainte est, elle, li´ee `a la positivit´e des syst`emes: le syst`eme contrˆol´e doit rester un syst`eme positif, ce ind´ependamment de la loi choisie pour la commande.

Exemple – Revenons au mod`ele (1.13). On peut raisonnablement supposer que la natalit´e est born´ee: ∀x ≥ 0, ϕ(x) ∈ [0,M ]. Supposons que les pˆecheurs choisissent comme strat´egie de pˆeche la commande: u = k1x avec k > M : moins il y a de poissons dans la mer, plus l’effort de pˆeche, c’est `a dire le taux de capture des poissons, est important. C’est souvent le cas dans la r´ealit´e o`u le but du pˆecheur est de maintenir son niveau de revenus, donc de captures (dans ce cas ´egal `a k) et non l’effort de pˆeche u. Une telle strat´egie s’av`ere cependant dangereuse: constatons que le syst`eme (1.13) ainsi command´e produira, pour toute condition initiale x0 positive, des trajectoires n´egatives au bout d’un temps fini, ce qui n’a pas de sens. Ceci est dˆu au fait que la commande serait alors non born´ee, sp´ecialement en x = 0. La contrainte de bornitude de la commande permet ici, en plus du sens physique, de respecter la positivit´e du syst`eme.

En pratique pour les syst`emes positifs, on se ram`enera souvent `a une contrainte de positivit´e et de bornitude des commandes.

40 Les Syst`emes Positifs

1.4.2 La Notion de “Commandabilit´e”

La notion g´en´erique de “Commandabilit´e” (ou controllabilit´e) d’un syst`eme dynamique fait aujour-d’hui consensus et est d´efinie comme suit dans la litt´erature (voir e.g. [68, 138, 130]):

D´efinition 1.21

Consid´erons un syst`eme dynamique:

˙

x = f (x,u(t)) x ∈ Rn, u(t) ∈ Rp

o`u t 7→ u(t) est la commande (choisie dans une classe de fonctions donn´ee).

On dit que le syst`eme est “commandable” si et seulement si pour toute condition initiale xI, et pour toute condition finale xF de l’espace d’´etat Rn, il existe une commande admissible (i.e. appartenant `a la classe donn´ee): t 7→ uI,F(t) d´efinie sur un intervalle [0,T ] telle que la trajectoire issue de xI soumise `

a la commande uI,F(t) rejoigne l’´etat xF `a l’instant T .

Nous nous attachons maintenant au cas particulier de la commandabilit´e des syst`emes lin´eaires:

˙

x = Ax + bu(t) x ∈ Rn, u(t) ∈ Rp

A ´etant une matrice r´eelle (n × n), b une matrice r´eelle (n × p), u(t) ´etant continue.

Cette classe de syst`eme a motiv´e un grand nombre de travaux depuis ceux, pr´ecurseurs, conduits par Kalman [61]. Ces contributions tirent, pour la plupart, avantage de la formulation math´ematique simple des syst`emes lin´eaires, formulation qui induit le principe dit de “superposition des ´etats lin´eaires”: soient deux conditions initiales x1et x2 et deux commandes u1(t) et u2(t) d´efinies sur [0,T ]. Alors pour tous r´eels α et β:

φ (αx1+ βx2, αu1(.) + βu2(.), T ) = αφ(x1, u1(.), T ) + βφ(x2, u2(.), T )

Ce principe permet notamment de transposer pour les syst`emes lin´eaires le probl`eme de la com-mandabilit´e (cf. d´efinition 1.21), `a la propri´et´e suivante (on trouvera une preuve de l’´equivalence par exemple dans [130]):

Th´eor`eme 1.22

Un syst`eme dynamique lin´eaire est “commandable” si et seulement si pour toute condition finale xF il existe une commande: t 7→ uF(t) d´efinie sur un intervalle [0,T ], telle que la trajectoire issue de la condition initiale x(t = 0) = 0 et soumise `a la commande uF(t) rejoigne l’´etat xF `a l’instant T .

Cette propri´et´e fait apparaˆıtre l’ensemble des ´etats atteignables depuis l’origine x = 0 par l’interm´ e-diaire du contrˆole du syst`eme. Cet ensemble, non sp´ecifique aux syst`emes lin´eaires, est r´ef´erenc´e dans la litt´erature comme “l’espace d’atteignabilit´e”. Cet espace, not´e R, est tr`es utilis´e pour caract´eriser le type de commandabilit´e d’un syst`eme. Dans le cas d’un syst`eme lin´eaire il est d´efini comme suit [116]:

R = [

t≥0

Z t 0

eA(t−τ )bu(τ )dτ, u(t) ∈ Rp

1.4 Remarques sur la Commande des Syst`emes Positifs 41

Pour les syst`emes lin´eaires, on obtient, `a partir de l’espace d’atteignabilit´e R la propri´et´e suivante caract´erisant leur commandabilit´e (cf. [130]):

Th´eor`eme 1.23

Un syst`eme dynamique lin´eaire est “commandable” si et seulement si l’espace d’atteignabilit´e R, associ´e `

a ce syst`eme, recouvre tout l’espace d’´etat.

En utilisant cette propri´et´e, l’expression d’une exponentielle de matrice ainsi que le th´eor`eme de Cayley-Hamilton (An est d´etermin´e par les n − 1 premi`eres puissances de A [71]), on obtient la carac-t´erisation suivante de l’espace d’atteignabilit´e R pour un syst`eme lin´eaire (cf. [130]):

R = vectb, Ab, . . . , An−1b

Cette caract´erisation pr´ecise permet d’obtenir, en utilisant le th´eor`eme 1.23, la “condition du rang” de Kalman [61] caract´erisant la commandabilit´e d’un syst`eme lin´eaire:

Th´eor`eme 1.24 (Kalman)

Un syst`eme dynamique lin´eaire est “commandable” si et seulement si:

rangb, Ab, . . . , An−1b = n

Nous donnons maintenant deux exemples de syst`emes lin´eaires commandables, sur lesquels nous reviendrons dans la section suivante.

Exemple – Consid´erons le syst`eme lin´eaire:

˙ x =  1 0 0 2  x +  1 1  u (1.14) avec x ∈ R2 et u ∈ R.

Ce syst`eme est commandable; en effet la condition du rang est v´erifi´ee:

rang {b, Ab} = rang  1 1  ,  1 2  = 2

Exemple – Consid´erons le syst`eme lin´eaire:

˙

x = Id(Rn)u (1.15)

avec x ∈ Rn et u ∈ Rn.

Ce syst`eme est trivialement commandable: une commande agit sur chacune des variables d’´etat. Il s’agit de l’arch´etype du syst`eme commandable.

Remarque – Des travaux ult´erieurs ont exploit´e les diff´erentes propri´et´es de commandabilit´e des syst`emes lin´eaires dans le but de g´en´eraliser ces concepts aux syst`emes non-lin´eaires en utilisant no-tamment des r´esultats math´ematiques sur les alg`ebres de Lie [76, 47]. D’autres travaux prenant expli-citement en compte la bornitude des commandes ont aussi ´et´e d´evelopp´es [68].

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1.4.3 La Commandabilit´e des Syst`emes Positifs

La commandabilit´e des syst`emes positifs est peu ´etudi´ee dans le cas g´en´eral. Des travaux sur le contrˆole de syst`emes positifs sp´ecifiques ont cependant ´et´e d´evelopp´es [27, 115, 64].

Le cas de la commandabilit´e des syst`emes positifs lin´eaires est lui nettement plus document´e: elle est tr`es bien ´etudi´ee par Schanbacher dans [116] et plus modestement par d’autres auteurs e.g. [32, 26]. Nous rappelons ici quelques r´esultats d’importance sur la commandabilit´e des syst`emes lin´eaires positifs.

Consid´erons le syst`eme lin´eaire positif:

˙

x = Ax + bu

A ´etant une matrice de Metzler (n × n), b une matrice positive (n × p), x(t = 0) ≥ 0, u ≥ 0. Il est ais´e de v´erifier que seuls les syst`emes lin´eaires ainsi d´efinis sont positifs pour tout contrˆole admissible (cf. th´eor`eme 1.7).

Dans [116, 32] les auteurs d´efinissent la “positive-commandabilit´e” `a partir de “l’espace” d’atteigna-bilit´e depuis l’origine R d’une fa¸con tr`es similaire au th´eor`eme 1.23 dans le cas g´en´eral des syst`emes lin´eaires. Il est `a noter que “espace” est ici abusif. Les commandes ´etant positives, dans le cas des syst`emes lin´eaires positifs, R est en fait le cˆone d’atteignabilit´e [32] que l’on notera R+:

R+= [ t≥0 Z t 0 eA(t−τ )bu(τ )dτ, u ≥ 0  D´efinition 1.25 (Schanbacher [116])

Un syst`eme lin´eaire positif est “positivement-commandable” si et seulement si son cˆone d’atteignabilit´e R+ recouvre tout l’espace d’´etat Rn

+.

Revenons maintenant sur les exemples de la section pr´ec´edente. Nous montrons dans un premier temps, sur l’exemple (1.14), que la commandabilit´e d’un syst`eme n’implique pas sa positive comman-dabilit´e.

Exemple – Consid´erons le syst`eme (1.14), qui est commandable au sens classique si u n’est pas contrainte.

Supposons maintenant que la commande u soit positive, alors ce syst`eme est clairement un syst`eme lin´eaire positif. Consid´erons le cˆone d’atteignabilit´e de ce syst`eme:

R+= [ t≥0 Z t 0  e(t−τ ) e2(t−τ )  u(τ )dτ, u ≥ 0 

D’apr`es l’expression de R+, il est clair que (avec x = (x1, x2)T):

∀x ∈ R+, x2≥ x1

Donc le cˆone d’atteignabilit´e du syst`eme (1.14) ne recouvre pas l’orthant positif R2

+; le syst`eme (1.14) n’est pas positivement commandable.

Nous revenons maintenant sur l’exemple (1.15) et montrons que la notion de “positive-commandabilit´e” 1.25 reste tr`es ´eloign´ee du concept initial de commandabilit´e 1.21.