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II. PERTINENCE DE LA METHODE DE COMPENSATION PROPOSEE PAR LES

III.1 Remarques préliminaires

Avant de réfléchir aux méthodes de compensation des atteintes aux zones humides et aux modalités de leur mise en œuvre dans le cadre des projets d'aéroport et de desserte routière de Notre-Dame-des- Landes, il est utile de s’interroger sur les grands principes qui régissent la notion de compensation, dans un cadre général qui bien sûr dépasse ces projets. Cette réflexion du collège d’experts n’est toutefois que celle de spécialistes des sciences de la nature et des techniques agricoles, ce dernier ne comportant ni juristes ni politologues ; elle ne fournit donc que des suggestions, car il n’est pas dans les attributions du collège d’experts de définir une méthode générale de compensation, rôle appartenant d’abord aux pouvoirs publics. Nous tentons seulement d’apporter un éclairage en la matière.

La compensation s’inscrit dans le cadre général de l'application de la séquence « ERC » (éviter, réduire, compenser) pour lequel il existe un corps de doctrine important établi récemment par le MEDDE43.

Elle

admet implicitement que des espaces naturels sont substituables entre eux, hypothèse qui fait cependant l’objet de débats. La doctrine ERC admet ainsi que "tout n'est pas compensable". Cette démarche est proche, sinon calquée sur celle de la politique du Wetland Mitigation étatsunien, en application depuis la loi de 1972.

Cette démarche a aussi un coût et interpelle les écologues à la fois sur les objectifs de la restauration et sur la nature des compensations. Au-delà du discours théorique sur les fonctions et services écosystémiques, il existe en effet beaucoup d’incertitudes sur les résultats attendus concrètement des opérations de restauration. Une méta-analyse (Moreno-Mateos et al, 2012), portant sur 621 actions de restauration ou création de zones humides dans le monde, montre que dans de nombreux cas la récupération est lente, souvent incomplète en raison de blocages à des stades successifs, voire impossible pour certains habitats de zones humides (tourbières par exemple). Cette étude indique également les conditions agissant sur les probabilités de réussite des travaux de recréation/restauration de fonctions : les caractéristiques de l’environnement, la taille d’un seul tenant de la zone restaurée (plus de 100 ha), la nature des échanges hydrologiques (qualité, quantité) entre le site restauré et les principaux éléments hydrologiques (eau de nappe, de surface…). Il faut laisser du temps aux systèmes réhabilités, et même dans ces conditions, la trajectoire future des écosystèmes restaurés n'est pas toujours maîtrisée, celle-ci pouvant dépendre de facteurs de contrôle indépendants des travaux de génie écologique mis en œuvre et aux interactions complexes. Les systèmes restaurés évolueront par exemple selon des facteurs sociétaux, économiques, climatiques, etc., et cette évolution ne permettra certainement pas de récupérer un fonctionnement équivalent à celui des systèmes détruits ou impactés.

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Cf. MEDDE, 2012. Doctrine relative à la séquence éviter, réduire et compenser les impacts sur le milieu naturel, Ministère de l’Ecologie, du Développement Durable, des Transports et du Logement, mars 2012, 8 p.

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Les mesures de compensation doivent, selon l’avis du collège, répondre à plusieurs critères :

 être intelligibles par le public et les parties prenantes et faire preuve en conséquence d’un certain pragmatisme (bon sens) et de réalisme ;

 afficher clairement la (les) méthodes de compensation utilisées. S’appuyer pour cela sur un état initial détaillé et un argumentaire scientifique ;

 s’inscrire dans le cadre conceptuel d’espaces naturels ou anthropisés qui sont en cours d’évolution, sous l’influence de mécanismes naturels (climat…) ou sociétaux. Il ne sert à rien, par exemple, de vouloir compenser certaines fonctions si on peut prévoir raisonnablement qu’elles auront disparu dans quelques décennies ;

 être mises en place le plus tôt possible, théoriquement avant le démarrage des travaux ;

 permettre le suivi et le contrôle des mesures proposées et mises en œuvre afin que le succès de la recréation ou de la restauration de telle ou telle fonction, ou de tel ou tel milieu, puisse être évalué selon un calendrier qui doit être précisé.

Aux États-Unis, la conservation et la restauration des zones humides sont devenues un véritable marché permettant l’obtention d’autorisations par les aménageurs, avec des banques de compensation, des crédits, des ratios, etc. (Geniaux, 2002). Le succès mitigé des échanges « surface contre surface » de zones restaurées, créées ou améliorées, a conduit à mettre en place une coordination des échanges par un système bancaire. Par analogie aux bourses sur le carbone, le Mitigation Banking est un mécanisme qui consiste à échanger des crédits et des débits en termes de fonctions des zones humides sur la base d’un prix principalement fixé au regard du coût de la restauration ou de la création de ces fonctions. L’aménageur peut faire l’acquisition de « crédits » ou « d’unités » auprès de ces banques. Le nombre de crédits ou d’unités à acquérir est issu d’un calcul confrontant les pertes anticipées suite à l’aménagement proposé et les gains obtenus par la banque de sites (Quétier et al., 2011).

Cette dernière méthode, jugée très pragmatique, présente néanmoins quelques inconvénients : les zones de compensation, localisées en principe dans la même hydro-écorégion que celles détruites ou impactées, peuvent toutefois en être éloignées, ce qui affecte l’organisation des territoires quant à de multiples enjeux spatiaux et sociaux. En outre, les remarques précédentes concernant les incertitudes vis-à-vis des trajectoires futures restent valables, quelles que soient les modalités de mise en œuvre des mesures de compensation. En d’autres termes :

 il est irréaliste de penser que l’on peut compenser par des systèmes à l’identique, sauf cas vraiment très particuliers ;

 une partie des incertitudes concernant les compensations réside dans la dynamique temporelle naturelle des systèmes écologiques eux-mêmes et des interactions entre espèces autochtones et/ou exogènes44 ;

 un autre problème réside dans la difficulté d’anticiper d’autres évolutions, résultant des changements climatiques (modification du régime hydrologique …) ou sociétaux (modification de la politique agricole et ses incidences sur la société …) ;

 les temps de régénération des habitats et de recolonisation et d’adaptation des espèces animales sont très variables, de quelques semaines ou années pour certaines, à des décennies pour d’autres. En outre, la raréfaction de certains milieux suite à la destruction ou à l’altération d’un grand nombre de zones humides au cours des derniers siècles conduit à une situation réellement relictuelle de certains habitats dont les potentialités de restauration n’en deviennent que plus faibles.

Pour le collège d’experts, la compensation des zones humides doit s’opérer à quatre niveaux, et ce dès lors que le maître d'ouvrage fait le choix d'une méthode basée sur la compensation des fonctions, via la recréation ou la restauration :

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Sachant que nombre d’espèces exogènes verront leur aire de répartition modifiée en cas de réchauffement climatique, comme on le prévoit.

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 de la qualité des habitats et de la diversité spécifique des zones humides, ce qui implique

également d’assurer la connectivité écologique45 des territoires de compensation (fonctions évaluées selon l’approche « systémique ») ;

 des fonctions biogéochimiques ;

 des fonctions hydrologiques (notamment en termes de régulation des crues et de soutien des étiages) ;

 et de la valeur patrimoniale des espaces et des paysages.

Ce dernier point n’est pas directement intégré dans la loi sur l'eau de 2006, qui a étendu l'ensemble juridique « eau » aux milieux aquatiques, ce que certains SDAGE ont utilisé de façon extensive en demandant une compensation de la « qualité de la biodiversité ». Cette loi ne prend donc pas en compte directement le critère de patrimonialité, mais le citer nous semble nécessaire dans le cadre de cette réflexion. En effet, le public, qui est en dernier ressort le bénéficiaire ultime des efforts que consent la société pour la protection de la nature, attache sans doute autant sinon plus d’importance à la qualité et à l'authenticité paysagère des territoires compensés qu'à leurs fonctions écologiques. Cette dimension ne doit en conséquence pas être sous-estimée. De plus, l’évolution à long terme (climat, société) des mesures de compensation doit également être considérée, même si cet aspect n’est pas formellement explicité dans les textes légaux existants46.

III.2 Importance de la bonne caractérisation de l’état initial des milieux