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II. PERTINENCE DE LA METHODE DE COMPENSATION PROPOSEE PAR LES

III.6 Application au cas particulier de Notre-Dame-des-Landes

Le complexe de zones humides de Notre-Dame-des-Landes est-il compensable dans l’absolu ? Si on entend par compenser « recréer ou restaurer des surfaces équivalentes sur le plan fonctionnel », la tâche est probablement irréalisable. Le site occupe en effet une position de plateau en tête de bassin, avec un fonctionnement hydrologique et biogéochimique particulier qui a engendré, dans un espace bocager aménagé et géré de manière extensive par l’homme depuis quarante ans, des habitats remarquables, occupés par des espèces non pas exceptionnelles mais à forte valeur patrimoniale, dont l’ensemble présente une grande originalité. En outre, le SDAGE Loire-Bretagne indique que « la sensibilité des têtes de bassin et l’influence essentielle de ces secteurs dans l’atteinte des objectifs de bon état à l’aval

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justifient d’identifier précisément ces zones et de définir des mesures de restauration spécifiques lorsque c’est nécessaire »49.

Aussi, créer ou restaurer un tel complexe d’écosystèmes à l’identique ne paraît pas possible, par l’absence de territoires équivalents disponibles avec la même position géographique. A titre d'exemple : parmi les habitats humides présents, trois d'entre eux au moins sont reconnus « d’intérêt communautaire » (prairies hygrophiles oligo-mésotrophes, landes humides acides, gazons amphibies oligotrophes) et sont en forte régression sur l’ensemble du territoire français. Evalués comme étant en état de conservation « défavorable/mauvais » dans le domaine biogéographique atlantique lors de l’évaluation de l’état de conservation des habitats réalisé en 2007 par le Muséum national d'Histoire naturelle (MNHN) (Bensettiti et Trouvilliez, 2009), ils se situent vraisemblablement à la limite des potentialités de restauration et donc à la limite de l’acceptabilité de leur destruction.

La délimitation en France des zones humides est précisée aujourd’hui par l’arrêté du 24 juin 2008 modifié le 1er octobre 2009. Leur caractérisation, basée sur des critères botaniques ou pédologiques, rend la comparaison difficile avec les autres pays, car on ne parle pas nécessairement des mêmes habitats. D’autre part, les textes et guides méthodologiques antérieurs à 2009 ne sont souvent pas adaptés avec cette nouvelle définition. Dans le cas par exemple de la Fiche d'aide à la lecture de la disposition 8B-2 du SDAGE Loire-Bretagne, la description des fonctions majeures associées aux zones humides s'appuie sur une liste couramment admise antérieurement (2002). A l'époque, la définition réglementaire des zones humides n’était pas accompagnée de ces trois méthodes et la pratique la plus courante était de se baser sur le seul critère de la végétation. Les cartes du réseau hydrographique, d’habitats (CORINE Biotope) et de localisation d’espèces « indicatrices » comme les amphibiens ne suffisent pas à déterminer les fonctions majeures associées à ces milieux, même en y intégrant les paramètres de connectivité entre éléments aux sens de l’écologie du paysage.

Néanmoins, si l’intérêt général majeur, au sens de la DCE, imposait l’utilisation de ce site pour y construire un aéroport (question qui ne relève pas de la mission du collège d’experts), il faudrait alors compenser au mieux les impacts sur les zones humides.

Toutefois, le collège ne peut pas valider telle quelle la méthode de compensation proposée, pour les raisons qui ont été données précédemment, pas plus que son application à ce site.

La démarche que le collège propose est alors la suivante :

1. Caractériser rigoureusement et avec les mêmes méthodes, l’état initial des sites impactés et de leur environnement proche, ainsi que des territoires envisagés pour la compensation. Se documenter sur l’histoire de ces milieux et de leurs usages est utile pour comprendre l’état actuel, et fournir des informations sur leur évolution potentielle (notion de trajectoire). Cet état initial doit être utilisé pour les étapes E et R (Eviter et Réduire) de l’ERC.

2. Appliquer préalablement à toute recherche de compensation et avec la plus grande rigueur, la séquence ERC, c’est-à-dire Eviter et Réduire avant de vouloir Compenser. Si par exemple des dispositions constructives venaient à être modifiées, le choix des espaces construits et la minimisation des surfaces impactées doivent être effectués au regard des fonctions et enjeux associés aux milieux concernés.

3. Développer une méthode de compensation permettant de vérifier, suivre et contrôler la compensation effective des fonctions associées aux zones humides pour assurer la lisibilité de cette compensation.

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Schéma directeur d’aménagement et de gestion des eaux (SDAGE) du bassin Loire-Bretagne 2010-2015 Orientations fondamentales et dispositions du SDAGE : 1) Protéger les milieux aquatiques : le bon fonctionnement des milieux aquatiques est une condition clef du bon état de l’eau. Chapitre 11 - Préserver les têtes de bassin versant.

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4. Estimer les surfaces détruites ou impactées à compenser, dans un premier temps sur le critère de

la conservation des habitats humides et de la diversité spécifique.

5. Définir les objectifs d’état final à atteindre puis les suivis précis qui seront mis en place sur les sites de compensation (où, quand, comment, combien). Déterminer les échéances d'atteinte des objectifs et les actions de correction qui seront éventuellement mises en œuvre pour assurer le succès de la compensation (obligation de résultats).

6. Etablir des scénarios d’évolution potentielle tant des espaces détruits ou impactés que des sites de compensation ; en déduire les trajectoires d’évolution possible et définir d’emblée les mesures d’adaptation nécessaires, pour accompagner le changement, sans s’y opposer. Mettre en place des sites témoins pour, d'une part, suivre l’évolution naturelle de milieux similaires à ceux restaurés mais non soumis à des travaux de génie écologique et, d'autre part, vérifier la pertinence des travaux de génie écologique mis en œuvre ainsi que des prédictions effectuées en termes de trajectoires d'évolution possible de sites compensés ; évaluer les fonctions de ces milieux restaurés pour décider de leur intérêt éventuel avant de tenter de modifier ces évolutions. 7. Rechercher d’abord au sein de la DUP les espaces disponibles pour une compensation de

chacun de ces habitats. Déterminer le type de mesures de recréation/restauration à mettre en œuvre (nouveaux usages ou pratiques, techniques de génie écologique, etc.) pouvant être appliqué. Evaluer la qualité des milieux qui seraient ainsi reconstitués, leur connectivité, le temps nécessaire à obtenir cette compensation et les risques d’échecs.

8. Comparer les surfaces détruites ou impactées avec les surfaces au sein de la DUP qui peuvent être utilisées pour la compensation de chacun des habitats impactés. Cette comparaison demandera d’utiliser des coefficients d’ajustement par habitat, tenant compte : de la qualité des milieux détruits et restaurés ; du temps nécessaire à la recréation ; de l’incertitude de succès ; de l’effet potentiel des changements ; des mesures de génie écologiques proposées; etc. Ces coefficients, qui s’appliqueront à des surfaces, devront au préalable avoir été soumis à l’avis du Conseil Scientifique Régional du Patrimoine Naturel des Pays de la Loire, assisté en tant que de besoin par le Conseil National de la Protection de la Nature. Par ailleurs, les services de l’Etat auraient avantage à s’entourer des conseils d’organismes spécialisés (Onema, Oncfs, etc.) pour formuler leurs avis sur ces propositions de compensation dans le cadre de l’instruction des dossiers.

9. Calculer le déficit de compensation, qui devra être recherché hors du périmètre de la DUP, une fois ces territoires épuisés. Identifier des territoires potentiels de compensation à proximité immédiate du projet, où des mesures d’acquisition foncière sont possibles pour y appliquer la même démarche que sur les parcelles de la DUP ; comparer les surfaces ainsi identifiées avec le déficit de compensation, en affectant les mêmes coefficients d'ajustement que ceux utilisés au sein de la DUP, tenant compte en outre de l’éloignement géographique de ces milieux ; déterminer la connectivité écologique de ces territoires avec les zones de compensation à l’intérieur de la DUP.

10. Si le déficit de compensation n’est toujours pas comblé, identifier de même des territoires où un accord amiable avec des agriculteurs ou autres détenteurs de foncier pourrait être trouvé ; préciser les mesures de restauration qui seront alors mises en œuvre, la connectivité écologique des parcelles utilisées, et les coefficients qui y seront affectés pour la compensation ; établir des projets de conventions avec ces agriculteurs ou détenteurs de foncier sur des durées longues (cf. les 18 ans d’un bail à long terme) qui garantissent l’acceptabilité par la profession des mesures d’adaptation co-construites ; préciser les mesures de suivi qui seront mises en place et la façon de garantir le résultat ; indiquer les mesures qui seraient éventuellement mises en œuvre si les conventions amiables étaient rompues ou non renouvelées ; constituer éventuellement des « réserves de compensation » pour prévenir des cas de rupture de conventions ou de résultats décevants des mesures mises en place.

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11. Evaluer le degré de succès ou d’échec de la compensation des autres fonctions affectées par le projet (biogéochimiques, hydrologiques, écocomplexes, etc.) par les zones sélectionnées jusqu’ici sur le seul critère habitat-biodiversité. Si ces autres fonctions ne sont pas compensées par mutualisation sur les surfaces choisies, les fonctions quantité et qualité des eaux étant primordiales pour des zones humides, il est impératif de proposer des mesures d’adaptation en priorité sur les territoires de compensation déjà choisis, dont la propriété foncière est acquise (génie écologique complémentaire, mesures de réduction des impacts, en améliorant le traitement ou de la gestion des eaux, par exemple). C’est à ce stade que peuvent être traitées les mesures de compensation non surfaciques, comme la création de mares, de haies, de corridor de connectivité écologique, etc.

12. Si le déficit de compensation n’est toujours pas comblé, identifier, en dernier ressort, les autres territoires au sein du bassin Loire-Bretagne où la compensation à 200 % au moins pourrait être mise en œuvre pour combler ce déficit. Préciser, comme ci-dessus, la façon dont sera mise en œuvre la compensation par acquisition foncière. Indiquer si ces territoires pourraient également être utilisés au cas où les mesures visées en (9) ou (10) ne pourraient être souscrites.

13. Evaluer les coûts de chacune de ces mesures, dans chacun des cas identifiés, en investissement initial et coût annuel, prenant en compte les compensations financières éventuellement nécessaires auprès des agriculteurs et autres acteurs contractants, et les éventuelles réserves financières à constituer pour pouvoir adapter les évolutions des systèmes compensés aux changements globaux potentiels.

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