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L’enseignant de langue étrangère et rapport à la langue : comment l’enseignant indien

7. Remarques conclusives

L’intérêt de cette étude réside dans les éclairages qu’elle apporte sur le rapport à la langue et la dimension affective des enseignants indiens de FLE. Plus particulièrement, l’insécurité linguistique, qui est souvent négligée, cachée ou ignorée dans les discours est ici étudiée. L’insécurité-sécurité linguistique se présente comme un sujet en mouvement, complexe, définie et redéfinie par plusieurs facteurs y compris l’âge, les qualifications, l’expérience, l’établissement de travail. Ce qui ressort de cette étude est que l’insécurité linguistique porte uniquement sur la communication orale. Seule la production orale et la réception de la parole contribuent à l’insécurité linguistique et sont sources d’anxiété, notamment par manque d’occasions de pratique orale. Toutefois, en Inde, l’enseigne-ment du français est souvent axé sur l’écrit au détril’enseigne-ment de son aspect communicatif. Cet ensei-gnement-apprentissage behaviouriste et prescriptif est à son tour susceptible de renforcer le poids de l’insécurité linguistique. Par ailleurs, nous ne voyons aucune valorisation des langues locales ou indiennes que possèdent les enseignants. La dimension du locuteur plurilingue pourrait renforcer

les compétences, servir à diminuer la vulnérabilité que l’insécurité linguistique risque d’apporter, et remanier l’identité de l’enseignant indien de FLE.

Cette étude démontre que l’insécurité linguistique est compensée par plusieurs stratégies em-ployées consciemment ou inconsciemment par les enseignants. Ces stratégies mettent en évidence la capacité à transformer les éléments négatifs en éléments positifs afin de surmonter le problème en question. Parmi les stratégies, celle des communautés de pratique s’avère intéressante. Les communautés de pratique promeuvent l’activité collaborative, et présentent l’enseignant en tant qu’acteur social en lien avec les approches socioconstructivistes et actionnelles. Les communautés de pratique pourraient être rendues légitimes par leur insertion dans des dispositifs de formation, démocratisant ainsi la formation et le métier. Au cœur de cette théorie réside l’importance du re-lationnel humain qui sécurise l’apprentissage, renforçant à nouveau le côté affectif qui est indisso-ciable de l’apprentissage des langues. Elles serviraient aussi à écarter les frustrations, les obstacles, à atténuer non seulement les insécurités et les anxiétés mais également apprendre à s’autoévaluer de manière équilibrée.

Finalement, nous avons constaté que les enseignants indiens de FLE se positionnent dans ce

« tiers-espace » dont avait parlé Bhabha (1994), qui est à la fois un privilège et un défi à affronter. Par la nature même de l’enseignement d’une langue étrangère, l’enseignant est confronté à un « autre » espace culturel, linguistique et identitaire où il est appelé à rencontrer à la fois la langue étrangère et soi-même (Péréa, 1997). S’il existe des insécurités liées à la langue, qui sont presque inévitables, cela n’exclut pas le rapport d’intimité avec la langue et la fierté d’enseignant, ce qui en soi devient sécurisant : ces deux positions ne sont donc pas incompatibles, comme cette étude le montre. Cela explique également le rapport ambivalent des enseignants indiens à la langue cible, caractérisé par ces dualités.

Cette étude, aussi modeste qu’elle soit, est importante dans la mesure où elle est probablement l’une des premières à porter sur la dimension affective des enseignants indiens de FLE en Inde et notamment l’insécurité-sécurité linguistique, sujet souvent laissé à la marge. Il est important de problématiser la dimension affective, la reconnaître, afin de créer des situations d’enseignement-ap-prentissage stables et équilibrées. La présente étude mérite d’être approfondie, notamment en interrogeant la corrélation entre l’insécurité linguistique des enseignants de FLE et les pratiques de classe.

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Titre: Insécurité linguistique chez les enseignants non natifs de FLE : le cas des Colombiens Auteur: Claudia Rincón Restrepo, École Jeannine Manuel- Paris, France

Revue: CirCula, numéro 12 : lavulnérabilitélinguistique

Directrice: Claudia Torres Castillo Pages: 176 - 196

ISSN: 2369-6761

URI: http://hdl.handle.net/11143/18448 DOI: https://doi.org/10.17118/11143/18448

Insécurité linguistique chez les enseignants