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Hiérarchies imaginées des locuteurs et des langues-cultures au Mexique

4. Les hiérarchies imaginées

4.4. Hiérarchies imaginées de langues

L’apprentissage de certaines langues est considéré comme une montée dans la hiérarchie sociale.

Les langues deviennent des échelons vers le haut ou vers le bas : « Apprendre une langue prestigieuse socialement est la clé de l’ascension » (Torres-Castillo, 2018).

Dans le cas du Mexique, le statut formel et informel de l’anglais est plus favorable. L’anglais s’affiche dans les cours obligatoires de plusieurs établissements scolaires. L’anglais est présenté au Mexique

« comme plus prestigieux », comme langue qui assure « la fierté d’être dans le vent de la mondiali-sation » (Montenay, 2005 : 67). Selon Hernandez (2005), on ne peut pas discuter au Mexique de la situation du français langue étrangère (FLE) sans mentionner la présence de l’anglais, langue aussi enseignée partout dans le pays.

Depuis les années 2000, l’offre de formation en français langue étrangère dans des institutions pu-bliques et privées s’est davantage développée. Le français fait actuellement partie des curriculums dans certains lycées comme dans l’enseignement universitaire. Depuis plusieurs années, la balance est en faveur de l’anglais et de son enseignement en tant que langue étrangère. L’ambassade de France au Mexique estime à 250 000 le nombre d’étudiants du français (2013) sur le territoire mexicain.

Les enseignants ont manifesté leur intérêt pour le français car ils pensent cette langue comme un moyen de distinction parmi les Mexicains.

La participante Lorena déclare : « Parler français est avoir du prestige et appartenir à une élite ». Exemple 11. (Torres Castillo, 2018 : 292)

Jaime répond « On sait, même si cela parait arrogant, le français n’est pas parlé par tous, c’est une raison élitiste et égocentrique, ma maitrise du français a été très importante et il m’a distingué parmi mes collègues et les autres enseignants de français ». Exemple 12. (Torres Castillo, 2018 : 292)

Quand on leur a demandé pourquoi ils ont choisi d’enseigner le français et pas leur langue première, les réponses ont été variables.

« Je ne m’étais jamais posé cette question, pourquoi j’enseigne le français et pas l’espagnol ; peut-être est-ce à cause d’un intérêt inné, qui, à travers les années et à l’aide de la licence en français, est devenu ma vocation. L’espagnol me semble aussi une belle langue et encore plus compliquée (…) On est beaucoup à parler l’espagnol, mais peu sont ceux qui ont le courage de parler une autre langue et surtout une langue qu’on n’a pas apprise depuis l’enfance ».

Exemple 17 : Extrait de la réponse de Sandra à la question 2 du questionnaire de Xalapa (tra-duction personnelle). (Torres Castillo, 2018 : 297)

Le français est mis en valeur, les imaginaires collectifs sont plus valorisants pour la langue française.

Elle confirme que plusieurs déjà parlent espagnol.

Reyna répond : « Je n’enseigne pas l’espagnol parce que je ne me suis pas formée dans cette langue, et quand j’ai décidé de choisir ma formation, je n’appréciais pas beaucoup ma lan-gue, mais à ce moment, si je pouvais enseigner aussi l’espagnol, je le ferais et je pense que je le ferais avec le même plaisir que celui avec lequel j’enseigne le français » Exemple 15b.

(Torres Castillo, 2018 : 295)

Les remarques par rapport à sa langue première laissent voir qu’elle considère nécessaire de suivre une formation spéciale dédiée à l’enseignement de l’espagnol pour ensuite devenir enseignante. Elle ne considère pas avoir la légitimité en tant que « native » pour l’enseigner.

En ce qui concerne les langues indigènes au Mexique, il est devenu depuis 2003 le droit de tout Mexicain de s’exprimer dans sa langue première, même si celle-ci est différente de l’espagnol. Dans l’article 3 de la Loi des droits linguistiques des communautés indigènes (Ley de Derechos Lingüísticos de los Pueblos Indígenas), l’État mexicain reconnait les langues comme partie du patrimoine culturel et linguistique national. La pluralité de langues indigènes est ainsi établie comme une des princi-pales expressions de la composition pluriculturelle de la nation mexicaine. Puis, dans l’article 4, les langues indigènes sont reconnues dans cette loi en tant que langues nationales grâce à leur origine historique, les langues indigènes ont alors la même validité dans le territoire mexicain. Dans l’article 9, on exprime le droit de tout Mexicain à communiquer dans sa langue sans aucune restriction dans des contextes publics, privés, ou à l’écrit ou oral, et dans toutes ses activités sociales, économiques, politiques ou culturelles (Gouvernement du Mexique, 2003). Malheureusement, comme nous l’avons exposé auparavant, cette belle réalité n’existe que dans le statut formel des langues indigènes. Dans le statut informel, c’est-à-dire le discours des Mexicains, on est loin de considérer les langues indi-gènes comme moyen d’expression dans la société mexicaine.

5. Conclusions

Je me suis aperçue que les images des apprenants sur le Français et sur les autres locuteurs « étran-gers » relevaient d’imaginaires nourris d’une sorte d’admiration pour l’étranger. La langue espagnole et les langues indigènes étaient, à l’évidence, moins importantes à leurs yeux. De plus, l’étranger était reconnu comme « autre », mais le plus souvent comme un autre meilleur (Torres-Castillo, 2018). Les images-histoire présentées sont des éléments pour comprendre la réalité passée et actuelle mexi-caine. Les locuteurs de langues indigènes sont parfois méprisés ; pas uniquement par les autres, car cette dévalorisation correspond plutôt à une autoévaluation négative. Les Mexicains préfèrent choisir les langues étrangères prestigieuses car elles sont plus valorisées dans la société mexicaine.

Cependant, la vulnérabilité linguistique ne se présente pas uniquement pour les locuteurs de lan-gues indigènes. La langue étrangère peut être à double tranchant, c’est-à-dire servir à se mettre en

valeur et se sentir appartenir à une élite lorsqu’on se trouve entre Mexicains ; ou bien servir comme moyen pour s’auto-dévaloriser devant l’autre-étranger.

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Titre: “La gente se ríe de nosotros porque hablamos otra lengua”: discriminación étnica y lingüística en León, Guanajuato, México

Auteur: Sophia Schnuchel, investigadora independiente et David Charles Wright-Carr, Uni-versidad de Guanajuato

Revue: CirCula, numéro 12 : lavulnérabilitélinguistique

Directrice: Claudia Torres Castillo Pages: 65 - 86

ISSN: 2369-6761

URI: http://hdl.handle.net/11143/18443 DOI: https://doi.org/10.17118/11143/18443