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UN REMÈDE PIRE QUE LE MAL

CHAPITRE II

LE PROJET DE LOI

OU

d'avoir le temps de faire aboutir la concertation sur les transforma­

tions nécessaires, j'ai demandé au Gouvernement de maintenir , pour l'essentiel, les dispositions antérieures (d'aides à la presse). »

— 1" avril 1982 ( 1 ) : M. Mauroy s' engage devant les dirigeants de la Fédération nationale de la presse française à réunir un groupe de concertation pour étudier les problèmes généraux de la presse .

Un mois et demi après , le groupe se réunit . Les thèmes évoqués sont les suivants : T.V.A. , article 39 bis du Code général des impôts , régime postal, prêts à annuités différés et à taux bonifié, publicité à la télévision. Rien qui ressemble, il faut le souligner, aux points traités par le présent projet.

— En janvier 1983, M. Fillioud parle à nouveau de concertation . Au sujet de la reconduction pour 1983 du taux de T.V.A. et de l' arti­

cle 39bis , le ministre précise : « Ces mesures conservatoires permet ­ tront de disposer du temps nécessaire pour entreprendre une vaste con­

certation avec l'ensemble des parties concernées, afin de réunir les élé­

ments d' information indispensables à la définition des nouvelles orien­

tations des régimes juridiques et économiques de la presse. » (2) En septembre 1983 , M. Fillioud annonce l'ouverture d' une con

­ certation sur l'éventuelle modification de l' article 39 bis .

Bref, tout laissait penser que le Gouvernement n'avait pas l'inten

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tion d'élaborer une nouvelle loi pour la presse. Il faut relever cette atti­

tude car le Gouvernement était bien décidé à déposer un projet de loi, mais tout s'est passé comme s' il n'avait pas l' intention d'en discuter les termes avec la presse . Cette absence totale de concertation est , en elle-même, inquiétante . Le refus du dialogue est injustifiable .

Soudain , le Gouvernement abat les cartes !

— Au Congrès du Parti socialiste à Bourg-en-Bresse, à l' automne 1983 , le Premier ministre se fait , en quelque sorte, accorder un blanc-seing par les militants . Il est intéressant de citer, non pas un journal français qui pourrait être suspect de partialité , mais le très sérieux Journal de Genève, en date du 21 octobre 1983 . M. Alain Rollat , jour­

naliste (du Monde) bien connu , écrit ceci :

« Le Gouvernement a décidé de s'attaquer ouvertement au pro­

priétaire du Figaro ... C'est M. Mauroy qui a engagé l' offensive ...

( 1) Cette date n'était-elle pas de mauvais augure ?

(2) J.O. AN , 31 janvier 1983 , réponse à la question écrite n° 21715 .

M. Mauroy avait préparé le terrain en s'assurant le soutien des mili ­ tants de son parti ... Et il s'était taillé un grand succès de tribune ...

« Une ordonnance a été prise ... en 1944. Elle n'a jamais été appliquée . Il faut lui rendre force de loi ». M. Mauroy en avait appelé directe ­ ment aux congressistes : « Chers camarades , faut-il le faire ? » avait-il demandé. « Oui, oui » avait hurlé la salle « Eh bien, nous le ferons » avait conclu le Premier ministre. M. Mauroy l' a fait . »

Voilà le ton . Après , les choses vont très vite . Hâtivement et dans un grand secret , des dispositions sont élaborées , puis brutalement révé ­

lées fin octobre .

Pour le projet de loi sur la Communication audiovisuelle, le Gou­

vernement avait pris son temps . Ici , le secret et le coup de théâtre . Bien intentionnels ! Le secrétaire d'État l' avoue presque ingénument, en

répondant à l'une des questions que votre rapporteur lui a posées , au nom de la Commission spéciale :

Question ( 1) : « Donner la liste des personnes entendues par le Gouvernement sur le statut de la presse, l'actuel projet de loi ou les aides à la presse . Préciser la date de leur audition et le thème de la

consultation . »

Réponse : « Le projet de loi ne concerne pas seulement la presse, mais à travers elle , l'ensemble de la Communauté nationale. Le lieu normal, légitime du débat pour un texte de cette nature, c'est le Parle­

ment où siègent les représentants de la nation.

A cette occasion , les représentants des professions concernées peuvent exprimer, lors des auditions des commissions parlementaires saisies de l'examen du projet de loi, leur position à l'égard de ce

dernier . »

Le Sénat goûtera, au passage , l'hommage rendu au Parlement . 3) Cette méthode du « fait accompli » ne pouvait engendrer

qu'un mauvais projet :

Ce texte paraît devoir plus au climat d' un congrès , avec ses excès , qu'à l'esprit législatif, avec sa sérénité.

( 1) Cette question était la première des quatre-vingt huit auxquelles le Secrétaire d' Etat a donné des réponses par écrit.

La démarche annonçait le résultat : le Gouvernement n'a pas pré ­ senté la loi dont la presse est digne .

a) Nous avons affaire à un texte ponctuel : à cela, rien d'éton

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nant, puisque le projet est, avant tout, un texte « ad hominem ». Le Gouvernement ne s'est pas donné le temps, ni la peine, d'examiner l'ensemble du problème . Il ne cherchait qu' une chose : abattre un groupe de presse ( 1).

— Tout le monde sait que les dispositions du projet ont été calcu­

lées pour épouser étroitement la configuration d'un groupe. En sens inverse, s'il fallait atteindre celui-là, il fallait en épargner d'autres ;

d'ou les contorsions du texte qui arrive de l'Assemblée nationale.

— Pour viser un homme, le projet pose des règles générales , sans égard aux conséquences qui peuvent en résulter pour un secteur de libertés indispensables à l'exercice de la démocratie.

— Pourquoi le projet vise-t-il essentiellement les quotidiens d'information politique et générale ? Pourquoi distinguer entre les quotidiens — qu'il faudrait moraliser — et les autres publications ?

— Pourquoi viser la presse quotidienne parisienne (c'est la seule qui soit nationale, d'après les critères du projet) alors qu'elle est plura ­ liste et ne pas viser les régionaux qui le sont beaucoup moins (dans la mesure où ils jouissent parfois d'un monopole de fait dans leur aire de diffusion) ?

b) Dans sa hâte , le Gouvernement propose un texte technique

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ment improvisé où abondent incertitudes et inconséquences .

— Signalons , en passant, l'oubli des dispositions rendant la loi applicable aux territoires d'outre-mer. Le pouvoir aurait-il comme d'habitude, négligé de consulter leurs assemblées ?

— Notons que l' article 9 sur les participations étrangères est si imparfait que le Gouvernement propose lui-même de l' amen; '.

— Prenons l' exemple des seuils (articles 10, 11 et 12) (2).

La rédaction du projet était si peu claire que l'Assemblée natio­

nale en a revu complètement la forme . Quant au fond !

(1 ) Il est, à ce sujet permis de déplorer que le pouvoir utilise la procédure législative, non pas pour « régler un problème », mais pour « régler des comptes ».

(2) Voir, à ce propos, dans les commentaires d' articles, la présentation du titre II du pro­ jet de loi .

D'après la nouvelle rédaction, une même personne aurait le droit de posséder un journal qui totaliserait 100 % de la population des lec ­ teurs de presse, mais pas trois quotidiens si le total de leur diffusion

excède 15 % de la diffusion totale ou 10 % en cas de cumul !

Une autre observation à ce sujet : un pourcentage fait par défini ­ tion appel à un numérateur et à un dénominateur.

En numérateur est la diffusion « d » du groupe de quotidiens dont on vérifie la situation . Ce montant « d » relève, au moins partiel ­ lement, des responsabilités du propriétaire.

En revanche, ce patron de presse n'est pour rien dans la dimen

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sion du dénominateur , c'est-à-dire dans la diffusion totale « D » des quotidiens comparables (à ceci près que « D » comprend « d »). On voit tout de suite l' absurdité logique d'un mécanisme qui , combinant

« d » et « D », lie les responsabilités à des phénomènes qui leur sont complètement étrangers .

Il suffirait ainsi que le tirage des concurrents diminue — faisant baisser corrélativement le dénominateur — pour qu'un patron de presse tombe sous le coup de la loi . C'est ainsi que ce dirigeant devrait supporter les conséquences des choix — voire des erreurs de gestion —

de ses concurrents !

— Des incertitudes : Bien que nous ayons interrogé le secrétaire d'État, nous ne sommes pas en mesure de dire que nous avons parfai ­ tement compris le texte sur ce point précis . En particulier , nous n'avons pas de réponse à la question suivante : « Le mécanisme insti­

tué par le projet a-t-il un effet permanent, intermittent ou instan ­

tané ? » Une certaine obscurité subsiste .

Devant la commission spéciale, le secrétaire d'État a donné du texte une interprétation qui pourrait faire croire que la loi n' aurait qu'un effet instantané .

D'après lui , aussitôt constituée, la commission « transparence et pluralisme » serait appelée à apprécier (d'après les douze derniers mois connus) la situation des journaux au regard des quotas de diffusion . Elle ferait ainsi savoir à tel propriétaire qu'il est tenu de se déssaisir d'un ou plusieurs des titres qu'il possède .

Si la commission spéciale a bien compris : cette séparation accom ­

plie, la situation de ce dirigeant serait alors apurée. Il aurait satisfait

aux obligations de pluralisme et, dès lors , il serait en droit d'augmenter

ad libitum le tirage de ses titres autorisés .

Il semble, sur ce point, que les auteurs du projet jugent que ce que l'on pourrait appeler la « croissance interne » d'une publication soit sans conséquence sur le pluralisme . Le nombre des titres serait un fac ­ teur plus important que le poids de leur diffusion .

La thèse de l'effet instantané, quoique étrange, aurait le mérite de

constituer un moindre mal .

Nous ne voyons pas comment cette interprétation pourrait être soutenue. Loin d'être à effet instantané , la loi ne peut être que perma­

nente . Il serait d'ailleurs profondément illogique au regard du plura ­ lisme et de la concentration, que la situation d'un groupe de journaux soit photographiée une fois pour toutes et que ce cliché pris , l'évolu ­

tion soit ensuite totalement libre .

En revanche, cette interprétation a des effets désastreux.

Supposons que le propriétaire de trois quotidiens nationaux voie leur tirage global , modeste présentement, croître dans des proportions telles qu'il dépasse le quota autorisé . Il faut déduire de la loi qu'il devra renoncer à toute initiative nouvelle dans le monde de la presse . N'est-il pas absurde de punir le succès ! N' est-il pas contraire à toute logique de liberté que les lecteurs — du fait même qu' ils auront manifesté massivement leur préférence — déclenchent un mécanisme réducteur d'effet contraire ! En quelque sorte, les conséquences de la loi seraient de leur dire : « Vous avez tort d' acheter ce journal . Il doit disparaître ou changer de mains . »

Après avoir critiqué la démarche, il faut maintenant critiquer la

thèse .