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Relations mutuelles entre services financiers, développement du secteur privé et diversification

des exportations en Afrique

3.1 Relations mutuelles entre services financiers, développement du secteur privé et diversification

des exportations en Afrique

Comme exposé dans les chapitres précédents, l’apport des entreprises aux efforts de diversification des exportations peut être décisif. Une idée a gagné du terrain depuis les travaux de Hausmann et Rodrik (Hausmann and Rodrik, 2003), celle selon laquelle la croissance économique est déterminée non pas par l’avantage comparatif, comme le pensaient les économistes classiques, mais par l’aptitude d’un pays à se diversifier en investissant dans des activités économiques nouvelles et productives. Les activités entrepreneuriales, surtout celles des petites et moyennes entreprises, peuvent contribuer à diversifier les économies en Afrique, en agissant tant sur les marges intensives que sur les marges extensives des exportations. L’examen des travaux consacrés à ce jour à cette question semble indiquer que la relation entre diversification des exportations et transformation structurelle est bidirectionnelle.

Cette section est consacrée à l’examen des relations mutuelles entre services financiers, développement du secteur privé et diversification des exportations, en insistant sur les facteurs liés au financement qui interviennent au niveau des entreprises dans la diversification des exportations. L’encadré 10 expose la méthode suivie pour examiner les rôles respectifs des services financiers et du développement du secteur privé, isolément et en conjonction, dans la stimulation de la diversification des exportations en Afrique, en précisant bien que l’accent est mis sur l’accès à l’argent mobile comme mesure du recours aux technologies financières. L’indice de développement financier d’un pays n’est pas la seule mesure du développement financier numérique. L’accès à l’argent mobile, outre qu’il permet de mesurer la pénétration des technologies financières, favorise le développement financier numérique.

Encadré 10

Examen des rôles respectifs des services financiers et du développement du secteur privé dans la promotion de la diversification des exportations en Afrique : Méthode En vue de cerner les relations mutuelles entre services financiers, développement du secteur privé et diversification des exportations dans les pays africains, des modèles économétriques de régression dynamique de données de panel ont été utilisés pour déterminer si les différences significatives que présente la macrostructure du secteur des exportations selon les pays africains sont dues au différentiel de développement financier multidimensionnel entre les pays sur la période 2000-2020.

Le modèle met aussi en lumière l’effet de l’accès au financement sur les marges extensives et intensives d’exportation des entreprises en Afrique. Les données sont extraites de la base de données sur le développement du secteur financier et de la base de données sur la diversification et la qualité des exportations du Fonds monétaire international, ainsi que des Indicateurs de développement mondial, de la base de données sur la dynamique des exportateurs et des Enquêtes sur les entreprises de la Banque mondiale. Les données couvrent 54 pays africains sur la période 2000-2020.

La méthodologie empirique proposée s’énonce comme suit :

ExportMeasureitсɲнʔ&itнɷW^itнʘ;&*W^Ϳitнɻyitн઩it

La variable dépendante ExportMeasure est l’indice de Theil global des exportations, qui mesure la concentration des exportations au niveau macroéconomique, et & mesure le développement du secteur financier. L’indice de développement financier, la part du crédit bancaire par rapport aux dépôts bancaires et la part du volume des primes d’assurance par rapport au PIB sont utilisés comme

indicateurs approchés du développement du secteur financier. W^ exprime le développement du secteur privé à l’aune du degré de protection des droits de propriété privée et de la gouvernance fondée sur des règles, du crédit intérieur accordé au secteur privé par les banques et du coût des procédures de création d’entreprise. y est un vecteur de variables de contrôle incluant le taux de croissance annuel du PIB, le taux de change, le capital humain, les dépenses publiques de santé en pourcentage du PIB et les mesures du développement des infrastructures comme la formation brute de capital fixe et l’accès à l’électricité ; est le terme d’erreur. ɲ, ʔ, ɷ, ʘ, et ɻ sont les coefficients à estimer dans le modèle.

ɷнʘ*W^ mesure la variation de la concentration des exportations due à l’amélioration du secteur financier, W^ étant la valeur moyenne de l’indicateur de développement du secteur privé.

Si ɷнʘ*W^хϬet que ɲ, ʔ sont statistiquement significatifs, l’amélioration du secteur financier conduit à la concentration des exportations.

Si ɷнʘ*W^фϬ et que ɲ, ʔ sont statistiquement significatifs, l’amélioration du secteur financier conduit à la diversification des exportations.

Si ɲ, ʔ ne sont pas statistiquement significatifs, l’amélioration du secteur financier n’a pas d’effet sur la concentration des exportations au niveau macroéconomique.

Le modèle estime au niveau de l’entreprise le rôle que l’accès au financement joue dans les marges extensives et intensives d’exportation des entreprises en Afrique en utilisant le modèle de variables instrumentales suivant :

Exportmargins*iсɷoнɷ1&ŝŶĐĐĞƐƐΎiнɷ2yiнɸi

Exportmargins représente le volume des exportations d’une entreprise. yi est une matrice de variables de contrôle pour l’entreprise i. &ŝŶĐĐĞƐƐΎireprésente l’accès aux lignes de crédit ou aux prêts bancaires ; Zi est l’instrument choisi. ɷϬ, ɷ1 et ɷ2 représentent les coefficients à estimer dans le modèle. ɸi est le terme d’erreur.

Si ɷ1хϬ et est statistiquement significatif, la probabilité que l’entreprise exporte augmente avec l’amélioration de l’accès aux lignes de crédit ou aux prêts bancaires.

Si ɷ1фϬ et est statistiquement significatif, la probabilité de l’entreprise d’exporter diminue avec l’amélioration de l’accès aux lignes de crédit ou aux prêts bancaires.

Si ɷ1 n’est pas statistiquement significatif, la probabilité de l’entreprise d’exporter ne dépend pas de l’amélioration de l’accès aux lignes de crédit ou aux prêts bancaires.

Le tableau 10.I ci-après récapitule les résultats de régressions avec des données de panel ayant pour unité les pays. Les résultats donnent à penser qu’au niveau macroéconomique existe une relation directe, mais statistiquement non significative, entre développement financier multidimensionnel et diversification des exportations. Au fur et à mesure que le secteur financier global se développe, l’accès au crédit s’améliore pour les entreprises et renforce leur aptitude à accroître la part des exportations de produits manufacturés par rapport à celle de produits primaires, ce qui se solde par une diversification croissante des exportations. Le tableau  10.II ci-après récapitule les caractéristiques au niveau microéconomique du développement financier, du comportement des entreprises exportatrices et de la diversification des exportations. Les technologies financières (en prenant pour indicateur le nombre de comptes enregistrés d’argent mobile pour 1 000 habitants) sont utilisées ici comme indicateur du développement financier pour évaluer empiriquement l’apport potentiel des technologies financières et de la finance alternative à la croissance et à la diversification des entreprises. Les résultats montrent que si le secteur privé et les technologies financières se développent en parallèle sans interaction dans un pays il tend à se spécialiser davantage, avec pour corollaire la concentration de ses exportations et non leur diversification. À l’opposé, leur interaction a pour effet de permettre au pays de diversifier ses exportations. Ce constat va dans le sens de Bollaert et al. (Bollaert et al., 2021), qui concluent que les externalités positives d’une croissance rapide des technologies financières sont porteuses d’une démocratisation de l’offre de services financiers susceptible d’aider les PME à mobiliser les fonds qui leur manquent pour financer la diversification de leurs exportations. Pour que ces interactions positives à fort impact produisent leurs effets dans une majeure partie des pays africains, les technologies financières doivent donc se développer encore jusqu’à atteindre le degré de maturité requis pour entraîner un changement de paradigme dans l’expansion et la diversification des exportations.

Tableau 10.I

Déterminants de la concentration des exportations au niveau macroéconomique en Afrique Variable ordinaire Notation Moindres carrés

regroupés

Panel dynamique

Indice de concentration de Theil TIE 0,2652a

L1 -0,159

Développement financier FD -7,5879 -23,0178

(7,374) (32,339)

Droits de propriété privée et gouvernance fondée sur des règles PPRB -1,3302b -0,0019

(0,308) (1,255)

Développement financier x droits de propriété privée et FD_FB 5,1458a 2,04738

gouvernance fondée sur des règles (2,593) (10,327)

Ln (Taux de croissance annuel du PIB) GDP growth -0,0111 -0,0261

(0,111) (,0561)

Accès à l’électricité ELEC -0,0010b -0,0218

(0,005) (0,015)

Dépenses de santé (en pourcentage du PIB) HExpoƒGDP 0,0024 -0,0065

(0,009) (0,007)

Scolarisation, secondaire (en pourcentage brut) Schooling -0,0168c -0,0066

(0,009) (0,007)

Taux de change officiel XR -0,0001 0,00003

(0,0001) (0,002)

Formation brute de capital fixe GFCF -0,0036 -0,0041c

(0,001) (0,002)

Intercept Cons_ 8,1985b 6,4449

(0,994) (4,910)

Nombre d’observations 74 47

Nombre d’instruments 46

R-carré 0,4180

Test de Sargand chi(2)30 47,64

Prob > chi(2) 0,075

Test d’autocorrélation (valeur-p) 0,0810

ap < 0,1.

bp < 0,01.

cp < 0,05.

dTest pour les restrictions de suridentification dans les estimations de données de panel dynamique.

Note : Les erreurs types (regroupées par pays) sont indiquées entre parenthèses.

Abréviations : L1, premier décalage ; Ln, logarithme naturel ; prob, probabilité.

Tableau 10.II

Technologie financière, développement du secteur privé et concentration des exportations Variable ordinaire Notation Moindres carrés

regroupés

Panel dynamique

Indice de concentration de Theil TIE 0,222

L1 (0,142)

Comptes monétaires pour 1 000 habitants Mmoney 0,004 0,007c

(0,003) (0,003)

Droits de propriété privée et gouvernance fondée sur des règles PPR -0,584c 0,849b

(0,242) (0,318)

Droits de propriété privée et gouvernance fondée sur des règles x

argent mobile PPR_PS 0,002 -0,002c

(0,001) (0,001)

Accès à l’électricité ELEC 0,005 -0,026

(0,006) (0,017)

Dépenses publiques de santé (en pourcentage du PIB) HexpofGDP 0,011 -0,004

(0,01) (0,009)

Inscription scolaire, secondaire (pourcentage brut) Schooling -0,007 -0,038a

(0,007) (0,021)

Taux de change officiel XR 0,0001a 0,001

(0,001) (0,002)

Taux de croissance du PIB GDP -0,023 -0,049

(0,107) (0,047)

Formation brute de capital fixe GFCF -0,01b -0,00

(0,003) (0,003)

Intercept Cons_ 6,457b 3,019

(0,515) (2,057)

Nombre d’observations 73 47

Nombre d’instruments 46

R-carré 0,36

Test de Sargand chi(2)31 41,7

Prob > chi(2) 0,201

Test d’autocorrélation (valeur-p) 0,007

ap < 0,1.

bp < 0,01.

cp < 0,05.

dTest pour les restrictions de suridentification dans les estimations de données de panel dynamique.

Note : Les erreurs types (regroupées par pays) sont indiquées entre parenthèses.

Abréviations : L1, premier décalage ; M-money, argent mobile ; prob, probabilité.

Source : Calculs de la CNUCED, d’après UNCTAD, forthcoming-b.

L’étude empirique résumée dans l’encadré  10 indique qu’au fur et à mesure du développement du secteur financier global, l’accès au crédit s’améliore pour les entreprises et renforce leur aptitude à accroître la part des exportations de produits manufacturés par rapport à celles de produits primaires, ce qui se solde par une diversification accrue des exportations. Ces résultats concordent avec ceux d’Acemoglu et Ziliblotti (Acemoglu and Ziliblotti, 1997) et de DeRosa (DeRosa,1992).

Le secteur privé, en particulier les microentreprises et les petites et moyennes entreprises, constitue le socle de la croissance et du développement de l’économie26. Par son rôle, le secteur privé a contribué à diversifier et mettre à niveau les modèles d’exportation, à attirer des investissements dans les secteurs de croissance et à favoriser l’innovation dans les industries nationales, la productivité et les exportations, et il a ainsi aidé à développer et renforcer le tissu économique de nombreux pays avancés et marchés émergents. Dans beaucoup de pays en développement, d’Afrique en particulier, l’apport potentiel du secteur privé est souvent limité par des contraintes financières et d’autres obstacles qui amoindrissent la croissance et les chances de survie des entreprises, ainsi que leur contribution au commerce et à la productivité sur les marchés intérieurs. Selon la Société financière internationale (International Finance Corporation, 2017, and updated data for 2018-2019), l’Afrique compte dans son secteur formel

26 Une entreprise est qualifiée de microentreprise, de petite ou de moyenne entreprise si ses actifs, ses revenus et le nombre de ses employés demeurent inférieurs à un certain seuil. Une microentreprise compte moins de 10 employés, une petite entreprise moins de 50 et une moyenne entreprise moins de 250. Les montants des actifs ou revenus des microentreprises et des petites et moyennes entreprises varient selon les pays. Aux fins du présent rapport, les microentreprises et les petites et moyennes entreprises sont définies en fonction du nombre de leurs employés (European Commission, 2022 ; United Nations Development Programme, 1999).

Les modes de financement alternatif peuvent aider à résorber le déficit d’investissement des start-up, des microentreprises et des petites et moyennes entreprises

*Source : Société financière internationale (SFI).

Déficit de financement de