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Relations humaines, style de direction et d’animation

Partie II. Les facteurs de risque

4. Rapports sociaux au travail

4.3. Relations avec la hiérarchie

4.3.3. Relations humaines, style de direction et d’animation

d’animation

La qualité des relations avec les supérieurs en tant que relations humaines a souvent beaucoup d’importance pour les salariés. Le manque d’écoute et de politesse peut être vivement ressenti par les subordonnés (Bardot, 2001), pour qui elle est un défaut de reconnaissance symbolique. Dans une situation par ailleurs dégradée sur le plan de l’autonomie et de la reconnaissance, il peut contribuer à déclencher des conflits (Benquet, 2009).

Un contrôle trop strict, qui est un défaut de reconnaissance pratique, tant des personnes que de leurs compétences, est souvent décrit comme une cause de souffrance. Statistiquement, la surveillance constante de la hiérarchie est associée à de mauvaises conditions de travail physiques et psychologiques, mais elle ne les crée pas nécessairement : une organisation qui fonctionne mal peut créer à la fois de mauvaises conditions de travail, notamment psychologiques, et la nécessité d’interventions fréquentes de la hiérarchie (Cartron et Gollac, 2006). Par exemple, dans une entreprise de conditionnement de lait, la réduction des lignes et des personnels affectés à ces lignes entraîne une désorganisation telle que plus personne ne sait quelle est sa fonction spécifique. Les absences se multiplient, ainsi que les tensions entre salariés et avec le chef de poste. L’augmentation des défauts de qualité amène à mettre en place un contrôle de la hiérarchie plus lourd (avec avertissements et sanctions), en même temps que des autocontrôles, qui accroissent la charge visuelle et physique (Théry, 2009). Par conséquent, les contrôles stricts ou fréquents de la hiérarchie peuvent être soit une cause de souffrance par eux-mêmes, soit l’indice d’une organisation qui cause de la souffrance en raison d’une mauvaise conception ou d’un mauvais fonctionnement. Inversement, la légèreté du contrôle hiérarchique peut favoriser de bonnes conditions de travail. Ainsi, dans un centre d’appel où les conditions de travail sont particulièrement bonnes pour cette activité, les opérateurs sortent parfois des scripts et arrivent à échanger quelques mots personnels tout en respectant les temps de conversation réglementaires. Ils insistent sur l’importance que cette possibilité revêt à leurs yeux et sur le fait qu’elle existe parce que le contrôle de la hiérarchie (notamment l’écoute à distance) est assez rare (Cousin, 2002). Certains auteurs considèrent que le management distant soutenu par un reporting serré est un accroissement des contrôles de la hiérarchie, et que l’éloignement de celle-ci est source de confusion lorsqu’il y a multiplication des interlocuteurs transversaux (de Coninck, 2004).

Inversement, la faiblesse de l’autorité hiérarchique a été citée comme une cause de dégradation de la situation des salariés, notamment comme un facteur organisationnel qui rend possible le harcèlement moral (Vézina et Dussault, 2005) : cette situation apparaît notamment quand l’encadrement de premier niveau se fait de moins en moins sur le terrain mais de plus en plus en « bureau », pour réaliser des tâches administratives et du reporting. La distance ou le laxisme de la hiérarchie sont, eux aussi, des défauts de reconnaissance pratique ou symbolique (et parfois à l’origine d’un défaut de reconnaissance économique). Trois études prospectives ont étudié l’impact, sur la santé mentale, de l’item « peu de relations avec les supérieurs », tiré du questionnaire d’Uheta. Les résultats sont significatifs dans deux des études. Un problème est cependant que le mot « peu » a

probablement une signification différente selon les contextes : il s’agit d’une appréciation purement subjective.

Le manque de clarté dans les relations avec la hiérarchie a fait l’objet d’observations assez nombreuses. Cru (2001) expose les difficultés des salariés liées à un management ambivalent avec des positions différentes entre la direction et l’encadrement par exemple. Crague, de Coninck et al. (2006) étudient le manque de compréhension des priorités sous-jacentes aux choix de la hiérarchie chez les agents de l’équipement (absence, chez les cadres, de réflexion et d’élaboration collectives pour mener à bien les réorganisations suite à l’ARTT). Catlla et Albanel (2009) rapportent que les agents territoriaux se plaignent de ne pas comprendre les choix managériaux. Par ailleurs, ils ne comprennent plus quelles règles régissent leur carrière. Cette opacité des règles crée un sentiment de malaise pouvant entraîner de la frustration, de la colère, de la lassitude, un sentiment d’injustice. D’une manière générale, la pratique du flou, et parfois du mensonge, par la hiérarchie, même lorsqu’elle n’a pas pour but spécifique de désavantager les travailleurs, peut être source de troubles, voire de risques.

Il en est de même lorsque la hiérarchie ignore ou feint d’ignorer les conditions réelles de travail, ce qui est clairement un défaut de reconnaissance pratique de l’effort et des personnes, dans le cas où leur santé est mise en danger. Ainsi, une responsabilité dans certains « accidents graves de voyageurs », en station dans le métro, est imputée aux conducteurs, en négligeant le fait que l’agencement du poste de conduite rend plus difficile le contrôle visuel direct et en supposant que les écrans de télévisions suffisent à pallier cette difficulté (Foot, 2008).

La réflexion sur l’autorité développée récemment par la psychodynamique du travail (Dejours, 2010) insiste sur le fait que, pour être un soutien émotionnel (ce terme de soutien émotionnel ne fait pas partie du vocabulaire employé et est utilisé ici sous notre responsabilité), une autorité doit être légitime. Cette légitimité ne peut être imposée, mais s’acquiert par la résistance aux épreuves du travail : elle ne s’oppose pas à la possibilité de s’exprimer ou de contester, mais au contraire résulte de la compétence démontrée dans les controverses liées au travail. Elle résulte également, toujours selon ce courant d’idées, de la capacité à « rendre intelligibles les rapports entre les directives ou les ordres d’un côté, l’œuvre commune de l’autre ». Par ailleurs est souligné le rôle du porteur d’autorité pour arbitrer les controverses qui n’aboutissent pas et modérer les conflits. Ces réflexions rejoignent certaines préoccupations des auteurs des théories et modèles de la justice organisationnelle et du leadership, sans, bien entendu, se confondre avec elles.

L’épidémiologie s’est efforcée d’intégrer à ses modèles une vision stylisée de divers aspects des relations avec la hiérarchie. Il convient d’examiner ses propositions en tenant compte d’une part de la nécessité d’intégrer une mesure de la justice organisationnelle, d’autre part de la capacité des questions à aborder les points dont les observations qualitatives suggèrent la pertinence.

La question “My supervisor treated me fairly and with respect”, proposée par van

Dierendonck, aborde la question de la civilité (priorité 1). Elle peut être préférée à la formulation “Your supervisor treats you with kindness” du questionnaire de Moorman, permettant d’évaluer la justice organisationnelle.

Le style de contrôle (priorité 1) est abordé de façon partielle par la question de l’enquête française sur les conditions de travail : « Votre rythme de travail vous est-il imposé par les contrôles

ou surveillances permanents (ou au moins quotidiens) exercés par la hiérarchie ? » qui est de toute

façon nécessaire au repérage des exigences du travail (§1.1.1). Cette question pourrait être utilement étendue à la surveillance de la « qualité du travail » et de la « façon de faire le travail » (priorité 2).

La clarté et la sincérité des informations et des instructions sont abordées dans de nombreuses questions. Le questionnaire de Moorman (priorité 1) propose “Do you get consistent information from line management (your supervisor)?” et “Do you get sufficient information from line

management (your supervisor)?”. La question de l’enquête COI : « Généralement, vous explique-t-on

clairement ce que vous avez à faire dans votre travail ? », est plus précise que les questions du

questionnaire de Moorman et, si elle est partielle, vise un point crucial, de sorte qu’elle peut être préférée à la première des deux questions de Moorman, compte tenu du caractère peu stabilisé des questionnements sur la justice organisationnelle. Ces questions pourraient utilement être complétées en abordant une ou plusieurs forme(s) de déni de la réalité par la hiérarchie (priorité 2 compte tenu du caractère grave de ce comportement au vu des études qualitatives, mais de la difficulté de questionnement).

Accepter et promouvoir des débats est examiné dans le QPS Nordic : “Does your

immediate superior encourage you to participate in important decisions? Does your immediate superior encourage you to speak up, when you have different opinions?”. Ces deux questions font

partie d’une tentative de mesure de « l’empowering leadership ». L’item « en cas de désaccord [avec

mes supérieurs sur la façon de bien faire mon travail], je peux en discuter avec eux ? » en cours

d’introduction dans l’enquête française sur les conditions de travail, est une formulation alternative également valable. Le Global Transformational Leadership Scale (Carless et al., 2000) propose : “My

leader encourages thinking about problems in new ways and questions assumptions”. Cet item est spécialement destiné à faciliter le repérage des organisations apprenantes. Le questionnaire de van Dierendonck propose, lui : “My supervisor allowed me to participate in making decisions that affect

me”, “My supervisor encouraged and accepted points of view that differed from his or her own”. Toutes ces questions donnent aussi des indications sur l’autonomie collective. Par conséquent, il est recommandé (priorité 1) d’en intégrer au moins une (plus si possible). L’attitude de la hiérarchie en

cas de conflit entre elle et le salarié devrait faire l’objet d’une question spécifique (priorité 1) : dialogue, autorité ou inaction (auditions de Robert Karasek et de Töres Theorell).

La compétence professionnelle du supérieur est abordée dans une version élargie du Global Transformational Leadership Scale : “My leader instills pride and respect in others and inspires me by being highly competent”. Telle quelle, cette question ne peut être recommandée en raison du

fait qu’elle combine plusieurs questions élémentaires (fierté, respect, compétence). Mais une question sur la compétence du chef (qui renseigne également sur sa capacité à donner un soutien technique) peut être recommandée (priorité 2) en prenant garde, toutefois, au fait que les personnes peuvent avoir du mal à répondre sur la compétence du chef en général et que la connaissance que ce chef a du travail qu’eux font peut être une variable plus pertinente. Le respect inspiré par le supérieur est également une variable qui peut être intéressante, mais la fierté inspirée par le supérieur donne une indication ambiguë car le rôle du charisme du chef, en tant que facteur de risque ou de protection, dépend, surtout à long terme, de sa nature : charisme par reconnaissance ou charisme par séduction.

Organiser et pacifier l’équipe est abordé par le COPSOQ : “Is your immédiate superior good

at work-planning? Is good as solving conflicts?”, tandis que le QPS Nordic propose “Does your immediate superior tackle problems as soon as they surface?”. Ces questions demandent des

jugements de valeur sur les aptitudes du supérieur ou des informations sur son comportement en général : la qualité des réponses est probablement faible. La question assez générale : « Mon

supérieur réussit facilement à faire collaborer ses subordonnés » du questionnaire de Karasek-Theorell est à introduire quoi qu’il en soit (priorité 1). Le collège recommande également d’ajouter des précisions inspirées du COPSOQ ou du QPS (priorité 2), mais d’examiner si de meilleures formulations sont possibles.

Proposer une vision claire de l’avenir du travail, du service ou de l’entreprise est évoqué par la Global Transformational Leadership Scale : “My leader communicates a clear and positive vision of the future”. L’emploi de l’adjectif “positive” est fort contestable ici. Le QPS Nordic propose : “Do you trust the ability of the management to look after the future of the company/organization?”, qui vise

plutôt une condition de la communication d’une vision claire. Une interrogation est recommandée, à la condition qu’une formulation satisfaisante soit trouvée (priorité 2).

Certains questionnaires à visée épidémiologique s’efforcent également de mesurer l’attention

portée au bien-être des subordonnés. Des observations de terrain montrent que cette attention a

une valeur par elle-même, en plus des résultats auxquels elle aboutit éventuellement. Ainsi, certains éboueurs voient dans les choix techniques opérés par leur direction, et uniquement déterminés par les préférences des clients, une négation de leurs difficultés et de leurs besoins, voire plus simplement, et de manière plus radicale, une négation de leur existence (Volkoff, 2006). Le questionnaire de

Karasek-Theorell (priorité 1) propose : « Mon supérieur se sent concerné par le bien être de ses subordonnés ». Le COPSOQ propose : “To what extent do you say that your immediate supervisor makes sure that individual member of staff has good development opportunities? gives high priority to job satisfaction?”. On notera le caractère prédictif du deuxième item, qui peut être lié à la plus grande

propension à dire “oui” des personnes satisfaites de leur travail, à attitude du supérieur égal. Ceci est également vrai pour la question de Karasek-Theorell, qui est très voisine. La partie du QPSNordic relative à l’« empowering leadership » contient la question : “Does your immediate superior help you

develop your skills?” qui est une alternative à la première question du COPSOQ. L’enrichissement de la question de Karasek-Theorell par des questions non redondantes est recommandé

(priorité 2). La question “My supervisor regularly challenged me to continuously improve my effectiveness” du questionnaire de van Dierendonck ne peut être recommandée, à moins qu’elle soit

accompagnée de questions complémentaires, car ce qu’elle mesure est, selon les cas, un facteur de protection ou un facteur de risque.

Enfin, il existe des questions examinant globalement les troubles de la relation avec le

supérieur. La question du QPS “Is the relationship between you and your immediate superior a source of stress to you?” utilise sans nécessité le terme polysémique de “stress” et est moins bonne

que la question de l’enquête sur les conditions de travail : « Vivez-vous des situations de tension avec

vos supérieurs hiérarchiques ? », qui offre l’avantage d’être simple et factuelle et est à retenir pour cette raison (priorité 1).

Comme il a été dit, la question d’Uehata « J’ai peu de relations avec mes supérieurs », qui mesure le caractère distant de la relation hiérarchique, a une bonne valeur prédictive, mais une signification imprécise : le thème n’est par conséquent à retenir qu’en priorité 2, sauf à trouver une formulation meilleure. Une mesure objective de la fréquence des contacts n’est pas satisfaisante non plus si on ignore leur durée, leur contenu, etc.