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Partie II. Les facteurs de risque

2. Exigences émotionnelles

2.4. Peur

La peur au travail ne correspond pas au même genre d’exigences émotionnelles que celles évoquées précédemment. Néanmoins, elle implique la nécessité de maîtriser cette peur pour faire le travail. La peur peut correspondre à plusieurs situations : la peur de l’accident (pour soi ou pour les autres), la peur de la violence ou la peur de ne pas parvenir à faire convenablement le travail.

Peur de l’accident

La peur de l’accident au travail est particulièrement fréquente dans des activités où ils sont effectivement fréquents. C’est le cas du BTP, où le déni du risque se raréfie dans les jeunes générations d’ouvriers (Jounin, 2006).

Certains vivent leur activité dans l’appréhension continuelle d’un accident qui pourrait être constitutif d’une faute professionnelle (Foot, 2008 ; Laé, 1991). Pour les conducteurs de métro, et compte tenu de l’automatisation de la fermeture des portes, la hiérarchie considère qu’il est de leur responsabilité de vérifier, sans sortir de leur cabine et via les caméras, que personne n’est pris dans les portes du train. Les conducteurs défendent de leur côté qu’il leur est impossible, une fois le métro lancé dans le tunnel, de voir ce qui se passe derrière, sur le quai. Cette responsabilité qu’ils doivent porter alors même qu’ils estiment ne pas être en mesure de gérer efficacement la sécurité des voyageurs, engendre une appréhension envahissante (Laé, 1991).

Il n’y a pas d’étude épidémiologique de grande ampleur étudiant le lien entre peur et santé. Toutefois, il a été montré que certains dangers sur le lieu du travail sont associés à une augmentation du risque de troubles de l’humeur et de troubles anxieux (Wieclaw, Agerbo, Mortensen, Burr, et al., 2006b). L’augmentation est plus élevée pour les troubles de l’humeur chez les femmes et les troubles anxieux chez les hommes. Ces liens passent vraisemblablement par l’intermédiaire de la peur ressentie. On peut donc recommander dans l’idéal, d’une part de mesurer les risques d’accident (priorité 2), par interrogation directe sur les accidents survenus, comme cela est fait dans les enquêtes conditions de travail ; d’autre part d’interroger sur la peur de l’accident (priorité 1).

Violence externe

Dans ce paragraphe, nous évoquons uniquement la violence provenant de personnes extérieures à l’organisation à laquelle appartient le travailleur. Outre les traumatismes physiques qu’elle peut éventuellement provoquer, cette violence peut aussi causer des traumatismes psychologiques. De plus, même lorsque la violence ne se manifeste pas, la crainte de sa survenue peut susciter de la peur.

La violence externe est très variable dans sa fréquence et dans son niveau, depuis de simples insultes jusqu’à des blessures graves ou des tentatives de meurtre.

La violence externe doit être distinguée de la violence interne à l’organisation (voir le §4.6), dont les causes sont différentes, ainsi d’ailleurs en général que les manifestations. Alors que la violence interne peut être éradiquée et relève fréquemment du délit, il est difficile, dans certaines professions, de supprimer tout risque de violence externe. Toutefois, l’organisation n’est souvent pas sans pouvoir sur ce risque, ce qui justifie de le considérer comme un risque psychosocial. Il existe dans de nombreux cas des mesures de prévention. Certaines sont spécifiques : par exemple, les agences bancaires détiennent un minimum de fonds, auxquels les employés n’ont pas directement accès, de façon à limiter les risques d’agression. D’autres concernent une large gamme de situations à risque : par exemple le fait d’opérer en équipe plutôt que seul. Enfin, le fait de proposer un service de qualité réduit les diverses formes de tension avec les clients et le public, y compris les formes violentes. Inversement, les gardiens de prison qui devraient toujours être deux mais accomplissent souvent des tâches seuls (par manque d’effectif ou pour laisser leur collègue faire une pause) craignent une rébellion de détenus qui peuvent être particulièrement dangereux (Jauvin, Vézina et al., 2006). Les agents de sécurité privés, qui sont globalement moins bien formés que les agents publics, dans un environnement parfois encore moins bien contrôlé, sont souvent seuls, et confrontés à des dangers de nature mal définie a priori (Peroumal, 2008).

La peur de la violence est évidemment associée à sa survenue. La distinction peut cependant être utile dans les cas où la violence est rare, mais potentiellement grave, comme les employés des agences bancaires.

Il est donc nécessaire de disposer d’une information sur la survenue effective de violences (priorité 1) d’une part, la crainte de telles violences (priorité 2) d’autre part. L’enquête française sur les conditions de travail mesure la survenue de violences par les questions « Au cours des douze

derniers mois, dans le cadre de votre travail, avez-vous été victime d’une agression verbale de la part du public ? », « d’une agression physique ou sexuelle de la part du public ? ». La référence au

« public » n’est pas nécessairement la meilleure formulation pour désigner des malfaiteurs, par exemple. Il appartiendra aux services enquêteurs de déterminer si une formulation alternative est préférable. Ces questions pourraient être précédées de questions homologues sur la crainte de telles agressions.

Les comportements discriminatoires et le harcèlement sexuel peuvent provenir de personnes extérieures à l’entreprise. Ces comportements sont évoqués au §4.6.2 à propos de la violence interne

à l’entreprise, mais, lorsqu’ils sont le fait de personnes extérieures, doivent être rapportés à la violence externe.

Peur de l’échec

La peur peut aussi être celle de ne pas réussir à bien faire son travail. Probablement très répandue, cette peur a été décrite dans le cas de certains enseignants désajustés par rapport aux attentes actuelles (Cau-Bareille, 2009) ou manquant d’expérience et de formation (Christin, 1991a). Balazs, Faguer et al. (1996) donnent l’exemple d’une formatrice qui se sent dépassée par sa tâche au point d’être physiquement malade avant chaque formation. Spire (2007) décrit des agents des préfectures insuffisamment formés. Les policiers craignent la bavure, notamment lorsqu’ils ne sont pas sûrs de leurs co-équipiers (Loriol, Boussard et al., 2006). Les angoisses face à la tâche sont souvent liées au sentiment de ne pas avoir le temps de se préparer pour faire du bon travail : voir le §1.1.2. Les travailleurs temporaires sont particulièrement exposés, comme dans l’enseignement (Delhestre, 2008). Hélardot (2009) rappelle que les intérimaires sont souvent ceux à qui les entreprises externalisent les tâches les plus dangereuses et qu’ils n’ont pas le temps de mettre en place des stratégies de préservation de leur santé au travail (de même pour les journaliers) : ils tendent à cumuler peur de l’accident et peur de l’échec.

Cette peur peut être aggravée lorsqu’un échec éventuel aurait un caractère public. Ce « trac » s’observe non seulement dans le spectacle vivant, mais aussi chez les enseignants et les formateurs (Balazs, Faguer et al., 1996). Soares (Soares, 2000) parle d’un « stress de dramaturgie » lorsque les gens sont confrontés à une situation où ils doivent prendre des risques en public.

Un cas particulier est celui des salariés en situation de harcèlement moral, fortement déstabilisés, qui éprouvent une appréhension extrême avant d’aller au travail et durant leur journée de travail (Bardot, 2001 ; Bouaziz, 2001 ; Grenier-Pezé, 2001).

Si des questions sur les responsabilités adaptées de l’enquête sur les conditions de travail sont intégrées, une interrogation spécifique sur la peur de l’échec peut être considérée comme de priorité 2 et se résumer à une question.