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Relations entre la diversité de la faune du sol et le fonctionnement du sol

Chapitre I Etat de l’art

2.2 La diversité de la faune

2.2.2 Relations entre la diversité de la faune du sol et le fonctionnement du sol

2.2.2.1

Avec l’accroissement de l’intérêt porté à la biodiversité et à son rôle dans les écosystèmes, de nombreux écologistes du sol se sont penchés sur le lien potentiel existant entre la biodiversité de la faune et les processus écologiques (Bardgett et al., 2005; Coleman et Whitman, 2005; Huhta, 2007). Il en ressort que la manipulation des espèces au sein des communautés de faune aboutit à des résultats contradictoires (Lavorel et Garnier, 2002; Walker, 1992). Dans certains cas, l’augmentation du nombre d’espèces d’un même groupe taxonomique ou trophique peut aboutir à une augmentation de l’intensité des processus. Toutefois, cette relation n’est pas toujours vérifiée. Par exemple, il a été démontré que la minéralisation de l’azote peut diminuer avec une communauté complexe de mésofaune présentant des prédateurs par rapport à une communauté n’en présentant pas (Cortet et al., 2002).

La notion de diversité fonctionnelle

La diversité de l’écosystème, et encore plus lorsqu’elle est considérée comme un facteur d’influence des mécanismes de fonctionnement de l’écosystème, signifie une diversité d’assemblage qui ne se limite pas seulement à la diversité spécifique (Swift et al., 2004). Il a en effet été mis en évidence l'importance d’envisager la diversité faunistique sous l’angle d’une diversité fonctionnelle pour mieux satisfaire les critères scientifiques et comprendre les résultats contradictoires obtenus par les manipulations des espèces au sein des communautés complexes (Walker, 1992). La classification linnéenne est basée sur la phylogénie et non sur la fonctionnalité des espèces au sein de l’écosystème. Ainsi deux taxons très éloignés phylogénétiquement peuvent avoir des fonctionnalités proches (e.g. diplopodes et isopodes).

Deux mécanismes constituent les piliers de cette notion de diversité fonctionnelle :

• Il existe des complémentarités ou facilitations entres espèces, qui aboutissent à une augmentation de l’intensité du processus considéré de l’écosystème au-delà de la somme des effets monospécifiques individuels sur ce même processus (Hedde, 2006; Heemsbergen et al., 2004; Postma-Blaauwa et al., 2006).

• Il existe des espèces clefs très performantes vis-à-vis des processus, appelées « key components » (Schulze et Mooney, 1994). Ainsi, si on augmente de manière aléatoire le nombre d’espèces d’une communauté, on augmente la probabilité que la communauté contienne une de ces espèces, dont en position préférentielle les vers de terre (Huhta, 2007).

La complémentarité de ces deux mécanismes permet d’expliquer des résultats obtenus sur des communautés complexes.

2.2.2.2

La faune du sol pris sous l’angle d’un facteur d’influence des processus du sol a fait l’objet d’une classification fonctionnelle (Lavelle, 1997) qui contient trois groupes basés sur leur capacité à créer des structures biogéniques et leur relation avec la microflore du sol :

Les classifications fonctionnelles

• Les microprédateurs : ces prédateurs régulent les communautés de

microorganismes. Ce sont essentiellement des protozoaires et/ou nématodes.

• Les décomposeurs : ils fragmentent et consomment des matières organiques

provenant essentiellement de la litière. Par ces deux activités, ils contribuent à réguler le cycle de la matière organique en créant des biostructures holorganiques qui sont favorables aux microorganismes et à leur activité de dégradation. Ce sont certains acariens (Oribates), des collemboles, certains vers (épigés et anéciques), des enchytréides, des isopodes, des insectes.

• Les ingénieurs de l’écosystème : ils consomment de la matière organique et de la matière minérale du sol, créant ainsi des structures organo-minérales : les galeries qui résultent de la consommation de sol, les turricules qui sont les produits de la digestion et les « middens » ou modexis (Decäns et al., 2001) qui résultent du transport de mélange de particules de sol et de matière organique décomposée et/ou de litière (Brown et al., 2000). Ces structures contribuent à modifier physiquement la structure du sol et à modifier directement ou indirectement la disponibilité des ressources pour les autres espèces. Les ingénieurs régulent ainsi la structure du sol et le cycle de la matière organique par leurs diverses influences sur les autres organismes de la faune et de la flore. Parmi les invertébrés du sol, les vers de terre

jouent un rôle majeur. Ils ont une grande influence sur les processus physiques, chimiques et biologiques du sol et sont considérés comme les principaux ingénieurs de l’écosystème du fait du caractère homogène de leur déplacement dans le sol (Jouquet et al., 2006).

Les groupes écomorphologiques ont été développés au sein d’un même taxon pour certains taxons tels que les collemboles et les vers. Ces classifications mettent en relation des traits écologiques avec des traits de taille.

On distingue par exemple, chez les collemboles (Gisin, 1943), les épiédaphiques qui vivent à la surface et dans la litière. Ils vivent dans des milieux instables mais pourvus de nombreuses ressources. Ils sont gros, avec des grandes antennes et pattes, des ocelles pigmentés et sont résistants à la dessiccation. Ils recolonisent très vite les sols défaunés. Leur stratégie démographique s’apparente à la stratégie r (MacArthur et Wilson, 1967), stratégie adaptée aux milieux instables à reproduction et mortalité élevées. Les euédaphiques vivent dans les pores des horizons plus profonds. Ils vivent donc dans des milieux stables mais faibles en ressources. Ils ne sont pas pigmentés et ont des pattes et des ocelles réduits. Leur stratégie démographique s’apparente à la stratégie K (MacArthur et Wilson, 1967), stratégie adaptée aux milieux stables à reproduction et mortalité faibles. Enfin, les hémiédaphiques ont des critères des deux groupes sans les posséder tous en même temps. Toutefois, ces limites ne sont pas franches et les caractéristiques décrites ci-dessus sont très malléables. En effet, la distribution verticale des collemboles dépend beaucoup de la microstructure du sol, de l’humidité relative et de la disponibilité des ressources (Haarlov, 1955).

De la même manière, on distingue chez les vers (Bouche, 1972), les épigés qui vivent dans la litière et la consomment ainsi que les microorganismes qui s’y trouvent (Brown

et al., 2000). Ils sont petits et monochromes, pigmentés en vert ou rouge. Ils sont sujets à des dessiccations fréquentes, des températures élevées et une forte pression des prédateurs. Ils sont soumis à une forte mortalité mais utilisent une nourriture de qualité élevée qui permet un développement rapide et une fécondité élevée. Leur stratégie démographique s’apparente à la stratégie r (MacArthur et Wilson, 1967). Les anéciques vivent dans des galeries verticales permanentes et consomment des matières organiques liées à de la matière minérale et participent à l’enfouissement de la litière en

profondeur (Brown et al., 2000). Ce sont des gros vers avec une pigmentation dorsale noire et une musculature antérieure puissante. Ils sont soumis à une faible mortalité mais utilisent une qualité de nourriture faible qui les contraint à un développement lent et à une fécondité basse. Leur stratégie démographique s’apparente à la stratégie K (Lavelle et Spain, 2001). Enfin, les endogés vivent essentiellement dans les galeries verticales et horizontales temporaires qu’ils creusent afin de consommer exclusivement la matière organique du sol. Ils sont apigmentés et géophages. Un ver endogé ingère en effet 5 à 30 fois son poids par jour du fait du faible taux d’assimilation de carbone ingéré (8-19%). Il produit également une grande quantité de mucus qui est un stimulateur microbien (Brown et al., 2000). Leur stratégie démographique s’apparente à la stratégie K (Lavelle et Spain, 2001). Selon la taille des molécules organiques consommées, on distingue alors les polyhumiques, les mésohumiques et les oligohumiques.

Chez de nombreux taxons, il n’existe pas de classification en catégories écologiques, car ils exploitent les ressources du sol de manière assez homogène (Lavelle et Spain, 2001).

C’est le cas par exemple des enchytréides. Dans le cadre de la thèse, nous utiliserons une classification

fonctionnelle-écomorphologique qui sera basée en premier lieu sur la classification fonctionnelle

sensu stricto, puis lorsqu’elle existe pour le taxon considéré, sur la classification écomorphologique. Par exemple, si nous utilisons les vers de terre Lumbricus terrestris

et Apporectodea caliginosa nous considérerons le premier comme représentant du groupe « des ingénieurs de l’écosystème anéciques » tandis que le second sera considéré comme représentant du groupe « des ingénieurs de l’écosystème endogés ». Si nous utilisons par contre, le collembole Folsomia fimataria et le cloporte Porcellio scaber, nous considérerons le premier comme représentant du groupe « des décomposeurs hémiédaphiques » tandis que le second sera considéré comme représentant du groupe « des décomposeurs ». Toutefois, il faut garder en mémoire que même si ces classifications ont permis de résoudre certaines incompréhensions observées en travaillant au niveau spécifique, elles ne sont que des hypothèses théoriques (Figure 2) qui possèdent leurs limites :

• le fait que certains taxons appartiennent à plusieurs groupes fonctionnels. Les vers de terre épigés, par exemple, bien que classés dans les ingénieurs de l’écosystème

présentent parfois des comportements proches des décomposeurs. Les espèces ont globalement des effets partiellement substituables (hypothèses nulle, de redondance et des rivets) (Hedde, 2006; Naeem et al., 2002).

• d’autre part, le fait qu’une espèce peut conditionner la variation du processus considéré (hypothèse espèce-clef) (Naeem et al., 2002) ou qu’au contraire qu’en l’absence d’une espèce, l’effet ne peut plus être compensé (hypothèse additive) (Naeem et al., 2002) nous prouve que la contribution de chaque espèce est donc unique (Hedde, 2006).

• enfin, l’effet de la diversité fonctionnelle dépend du contexte (hypothèse

idiosyncrasique) (Naeem et al., 2002). Par exemple, il a été démontré que l’effet des décomposeurs de litière sur la respiration du sol n’est visible que lorsque le milieu est pauvre en nutriments (Petersen, 1994). Au contraire lorsque le stress est trop important, aucun effet de la diversité n’est visible (Liiri et al., 2002a). L’effet de la diversité fonctionnelle dépend donc du contexte abiotique. Par ailleurs, il a été démontré par exemple, que pour un niveau de diversité donné (e.g. diversité fonctionnelle) la variation du processus considéré peut être expliquée en partie par des différences en termes de composition spécifique. L’ordre d’ajout ou de suppression des espèces jouerait également un rôle dans la réponse observée (hypothèse de discontinuité) (Hedde, 2006; Naeem et al., 2002).

Figure 2. Hypothèses des relations entre la biodiversité et l’intensité des processus de l’écosystème

(Naeem et al., 2002).

P

roc

es

sus

Espèce-clef Additive Redondance Nulle Idiosyncrasique Discontinue Rivets

Diversité

Les notions théoriques de groupes fonctionnels sont des supports développés par les écologistes afin de mieux comprendre les phénomènes observées et ne sont en rien des barrières rigides et universelles. Il sera nécessaire de replacer chaque résultat expérimental dans son contexte d’étude afin d’éviter toute prédiction trop hâtive. Il n’existe pas encore d’outil performant reliant la biodiversité de la faune avec son influence sur le fonctionnement du sol. Une perspective de recherche consiste alors en l’étude de traits fonctionnels en complément de la diversité fonctionnelle (Vandewalle

et al., 2010).