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Relations d’assistance et relations de contrôle

III. Le domaine des relations entre le juge et l’arbitre

2. Relations d’assistance et relations de contrôle

10. Un autre lieu commun consiste à considérer que le juge n’est appelé à intervenir dans l’arbitrage que lorsque, au cours de la procédure d’arbitrage, se produit une situation pathologique ; en d’autres termes, le juge n’intervient que dans le cadre de ce que l’on nomme le « contentieux arbitral »44: c’est l’intervention de contrôle45. Mais il existe une dimension complémentaire et non moins importante, qui découle de l’absence d’imperium qui affecte l’arbitre : il s’agit des relations d’assistance judiciaire, qui conduisent précisément au développement notable du particularisme de cette forme spécifique de règlement des litiges. Les législations contem-poraines confèrent au juge une série de pouvoirs qui découlent, pré-cisément, d’une utilisation appropriée de la clause compromissoire et qui se concrétisent par une intervention dite in favor arbitrii, nette-ment distincte de l’intervention traditionnelle qui impliquait une véritable interférence avec l’arbitrage. Le juge devient de la sorte un véritable promoteur de la procédure arbitrale. La justification même de cette intervention implique que les décisions prises par le juge ne soient pas susceptibles d’un recours qui s’accompagnerait de retards incompatibles avec l’esprit qui l’anime. On ne pourrait éventuelle-ment s’opposer à la solution adoptée par le juge à ce stade que dans le cadre d’un recours en annulation formé après le prononcé de la sentence arbitrale et fondé sur des motifs tels que la méconnaissance des principes fondamentaux de la procédure ou un excès de pouvoir.

Cette seconde dimension, qui implique une intervention positive, laisse clairement entrevoir un rapprochement entre l’arbitrage et la juridiction étatique puisque la réalisation du premier, qui est une manifestation de justice privée, suppose en de nombreuses

hypo-46. J.-L. Delvolvé, « L’intervention du juge dans le décret du 14 mai 1980 relatif à l’arbitrage », Rev. arb., 1980, p. 616.

47. Articles 1684, alinéa 1, 1685 et 1687, alinéa 1, du Code judiciaire belge ; articles 1026 à 1035 du Code de procédure civile néerlandais ; articles 1029, ali-néa 2, 1031 et 1045 du Code de procédure allemand ; articles 179, aliali-néa 2, 180, alinéa 3, et 185 de la loi suisse sur le droit international privé ; articles 809, ali-néa 3, et 815, aliali-néa 2, du Code de procédure italien ; articles 27 et 38 à 44 de la loi d’arbitrage espagnole, etc. Dans les pays de common law le juge joue égale-ment un rôle considérable en la matière.

thèses l’appui du juge étatique, que ce soit pour mettre en marche les procédures arbitrales dites irrégulières, pour désigner les arbitres, pour apporter son aide en matière probatoire ou enfin pour accorder des mesures provisoires... On peut sans offense qualifier cette dimension de l’office du juge d’auxiliaire de la justice arbitrale46. Pour cette raison, les juges nationaux ne doivent pas mettre en cause les facultés reconnues aux arbitres ni interférer avec elles. Bien au contraire, ils se doivent d’apporter leur soutien aux arbitres quand l’exige le bon déroulement de la procédure d’arbitrage. Les législa-tions contemporaines énoncent clairement cette tâche et la loi fait obligation aux juges de s’en acquitter avec diligence, dans la mesure où il s’agit d’un aspect fondamental de leur mission en faveur de la réalisation de la justice. Cette assistance peut toutefois présenter un inconvénient que le législateur doit chercher à éluder dans la mesure du possible : elle risque en effet de retarder de façon excessive la solution du litige, ce qui dénaturerait cette institution fondée sur la rapidité.

11. La plupart des systèmes juridiques ont coutume de donner au juge la possibilité d’intervenir à toutes les étapes de la constitution et du fonctionnement du tribunal arbitral47. Dans de nombreux pays respectueux de l’arbitrage, l’organe public confère une réelle effica-cité aux décisions de l’arbitre en accordant à celui-ci des pouvoirs illimités en matière de règlement des litiges, c’est-à-dire en l’autori-sant à se prononcer sur tous les éléments qui concourent à la solution du litige et sur toutes les questions qui lui seraient soumises par les parties. Mais il n’a aucun pouvoir en matière d’exécution. Ainsi, pour recourir à des mesures de contrainte, il doit faire appel au juge ordinaire. De sorte que si les juges ordinaires sont obligés d’apporter l’aide de leur juridiction aux arbitres, les arbitres et les parties au litige doivent en user avec modération et de bonne foi. Parmi les pouvoirs juridictionnels qui font défaut à l’arbitre, il convient d’évo-quer la condamnation à des peines d’amendes ; les mesures de

48. Bien qu’il ne s’agisse que d’un exemple parmi tant d’autres, la cour d’ap-pel de Paris se réfère fréquemment à sa propre jurisprudence en matière d’arbi-trage sur les questions les plus controversées. Voir, en matière d’arbitrabilité d’un litige international, 23 mars 1993, Société Labinal c. Société Mors et Société Westland Aerospace Ltd., Jour. dr. int., 1993, no 4, pp. 957-979, note L. Idot, pp. 979-989, décision dans laquelle la cour de Paris énonce que la com-pétence des arbitres pour apprécier leur propre comcom-pétence est un principe géné-ral de l’institution qui doit recevoir application en toute hypothèse.

contrainte ; les mesures disciplinaires ; les injonctions judiciaires en vue de la production de certains documents ; la désignation d’experts appelés à examiner des documents ou des preuves ; les ordonnances visant à l’inscription, à la modification, à l’annulation ou à la radia-tion sur un registre d’un droit ou d’une décision arbitrale provisoire ou définitive ; la publication par voie de presse ; la saisie et les autres mesures conservatoires ; les perquisitions ; l’usage de la force publique pour effectuer tout acte ou diligence et, en général, toute autre prérogative du juge. Pour toutes ces mesures, l’arbitre devra donc solliciter le juge chaque fois que cela lui sera nécessaire, que ce soit pour faire exécuter la sentence elle-même ou tout autre acte pris au cours de la procédure. Aucune disposition ne permet au juge de s’opposer à une telle demande, il est au contraire tenu d’y accéder.

Ces interconnexions entre les activités judiciaires et arbitrales sont aujourd’hui une réalité et sont absolument indispensables à un bon déroulement de l’arbitrage. On a même soutenu le paradoxe selon lequel l’arbitrage, qui par essence repose sur un affranchisse-ment à l’égard de la justice étatique, a néanmoins besoin de celle-ci pour s’épanouir. Et, à cet égard, rien ne vaut une spécialisation de la justice étatique dans ses rapports avec l’arbitrage. C’est pourquoi, dans les Etats où l’arbitrage se déroule normalement, il existe en marge des fonctions ordinaires d’assistance des juges aux arbitres une tendance à l’aménagement dans les tribunaux de chambres spé-cialement prévues pour connaître des recours en annulation contre les sentences. Est ainsi assurée une uniformisation de la jurispru-dence, indispensable à la sécurité qu’exige le commerce interna-tional. A cet égard, la jurisprudence française illustre parfaitement l’efficacité que l’on peut attendre d’une telle approche48.

De fait, un des éléments le plus souvent pris en considération pour choisir le lieu de l’arbitrage est précisément la jurisprudence et la pratique, en matière d’arbitrage commercial international, des tribu-naux de l’Etat sur le territoire duquel aura lieu l’arbitrage. Il est évi-dent que le sort réservé au recours en annulation de la sentence

49. Article 5 de la loi d’arbitrage du Venezuela.

50. Voir P. A. Lalive, « Problèmes relatifs à l’arbitrage commercial internatio-nal », Recueil des cours, tome 120 (1967), p. 586.

dépend largement de la bonne compréhension que l’on a de la portée et des limites de l’institution arbitrale, ainsi que des possibilités de contrôle. La vision globale de l’institution est à cet égard essentielle ; pour cette raison, la Cour espagnole d’arbitrage a présenté en 2000 une proposition parlementaire visant à la création de chambres spé-cialisées dans l’examen des recours exercés en matière d’arbitrage, cela afin d’en garantir un traitement uniforme et homogène devant les Audiencias Provinciales espagnoles. A ce jour, la proposition est en cours d’examen par le Parlement.

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