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Comme on le voit, cette diversité des usages renvoie notamment à des

rapports complexes des structures locales et fédérales avec le niveau confédéral.

C’est ce que nous allons étudier désormais. Entre liberté d’action revendiquée,

souci de se conformer aux valeurs et à l’éthique du syndicat, volonté d’impulser

de nouvelles dynamiques internes, nous montrerons comment s’élabore un

positionnement particulier de la part de ces militants.

3.2.1 Des relations complexes entre national et local

a. Des entités centrales perçues comme « éloignées du terrain »

Comme on l’a déjà évoqué, les militants rencontrés entretiennent peu de

contacts avec les instances centrales, à l’exception bien sûr des militants

impliqués à un niveau fédéral ou national, comme le responsable « jeunes »

d’un syndicat, dont l’objectif consiste précisément à développer une activité

à l’échelle nationale et sortir du périmètre local où il a commencé sa carrière

syndicale. Son positionnement est alors plus proche de celui des représentants

confédéraux. Comme ces derniers, en effet, il affirme vouloir réaliser des actions

nationales tout en respectant l’autonomie des entités locales.

« Effectivement, notre rôle, il est au niveau confédéral : donc on pourrait voir

au niveau de… si on voulait absolument, dans notre esprit un peu étriqué

de capitaliste, voir une pyramide, on serait au sommet. Néanmoins, c’est

pas ça ! Et on doit pas être dans l’ingérence. Jamais. Moi, c’est vraiment

mon état d’esprit, c’est que je refuse d’être dans l’ingérence. » (Raphaël,

confédération)

À l’opposé, les militants ayant des mandats dans les syndicats d’entreprise

semblent avoir des relations peu fréquentes avec les autres entités (qu’il s’agisse

d’autres syndicats d’entreprises, d’entités locales ou nationales), sans que cela

ne donne lieu à des regrets de leur part. Le cloisonnement n’apparaît pas, à leur

niveau, comme un problème.

Certains syndicalistes locaux ont toutefois des propos plus critiques sur

la confédération ou les fédérations, auxquelles il est reproché, de manière

assez classique, d’être « éloignées du terrain », de réaliser une communication

descendante sans assurer en retour de remontées d’information depuis la base.

Encore une fois, ces griefs sont sans doute à mettre en relation avec le fait que

les militants interrogés soient attachés à un travail de « terrain », qu’ils soient très

investis dans des actions à portée locale et soucieux d’être proches des adhérents.

TROISIÈME PARTIE

Le sujet du numérique révèle l’ambivalence de la position des syndicalistes

rencontrés. D’un côté ils regrettent le manque d’investissement de la confédération

ou des fédérations sur le sujet, tout en affirmant que les supports numériques

doivent se construire à l’échelle locale, afin d’être plus en phase avec ce fameux

« travail de terrain ». Les syndicalistes impliqués dans le numérique tiennent en

effet avant tout à affirmer la légitimité des actions locales sur le web.

« Les gens, quand ils viennent sur le site [de l’OS], c’est surtout par intérêt

personnel, pour chercher des informations qui les intéressent ! Il y a des

dizaines, voire des centaines de sujets qui peuvent les intéresser. On pense

qu’ils viennent pour ça. Ceux qui viennent parce que c’est [nom de l’OS], à

mon avis, c’est rare ! (…) Le secret de la réussite pour attirer les gens, c’est de

leur donner l’information locale qui les intéresse. Parce que je vois parfois [OS

concurrente] qui fait des tracts sur des idées nationales, des tracts nationaux,

les gens mettent souvent à la poubelle, quoi, ils lisent même pas ! Mais en

revanche, quand on fait des infos [sur l’entreprise], et encore, quand on met

des infos sur le site même, c’est beaucoup plus intéressant ». (Ludovic, SE)

Ainsi, si le manque de soutien ou d’accompagnement sur un sujet du

numérique est largement évoqué, c’est avant tout un besoin de reconnaissance

qui s’exprime à travers les extraits d’entretiens ci-dessous :

« Se donner de la visibilité, c’est important, sur internet (…) J’en ai parlé, mais

bon… Ils sont plutôt favorables, mais j’ai l’impression qu’il faut tout faire,

quoi… » (Jean-Baptiste, SE)

« En fait, il n’y a pas d’objectif, dans le congrès, de dire il faut se développer

sur internet, machin, tout ça (…) Chaque syndicat, chaque structure

départementale ou locale, fait ses choix. » (David, SE)

« [les délégués centraux], ils me détestent, parce que je dirais que sur l’aspect

numérique, il y a une certaine jalousie (…) ils sont frileux, agissent moins. »

(Jean-Baptiste, SE)

b. L’importance de connaître et relayer les positions nationales…

Il ne s’agit donc pas, pour ces acteurs locaux, d’affirmer qu’ils ne se

reconnaissent pas dans leur syndicat. Tout à l’inverse, ils ont tous manifesté

leur attachement aux valeurs de leur OS et à l’importance de faire partie

d’une confédération nationale. Prendre la parole au niveau local implique

bien, selon eux, de porter les couleurs de leur organisation, et il se sentent

investis de la responsabilité d’avoir des propos cohérents ou alignés à ceux de

la confédération. L’image du syndicat est ici en jeu, ce dont les représentants

locaux sont très conscients.

« Les positions de la confédération, c’est important, quand on est militant

élu d’avoir les positions, parce que, après, quand vous vous retrouvez en

Pratiques et stratégies numériques à l’échelle locale : du syndicat d’entreprise à la fédération

négociation, malgré tout, il faut quand même essayer de respecter les valeurs

de [votre syndicat]. Donc c’est hyper important. Et puis, ben après, ça permet

de fédérer… » (Benoît, fédération)

« Ben on est tellement le nez dans le guidon dans nos structures, je pense

qu’on a tendance à pas toujours avoir cette vision globale des choses, non

plus. » (Steve, SE)

« À partir du moment où on met un logo [de l’OS] quelque part, ben faut être

très clair que c’est l’image de l’organisation qui est mise en jeu. Donc on ne

peut pas se permettre de raconter tout et n’importe quoi ! » (Steve, SE)

Le respect de cette appartenance à une organisation confédérale est commun

à l’ensemble des OS, sans distinction, alors même que nous avions pointé,

symétriquement, le fait que ces mêmes OS revendiquent toutes la même

autonomie de leurs entités locales.

Le numérique est donc perçu comme un moyen positif, en local, pour

s’informer et relayer les positions nationales.

« Quand [le secrétaire général] a eu son compte Twitter, j’ai bien relayé à mes

équipes qu’il avait ouvert un compte Twitter, comme ça, ben les gens de mes

équipes ont les informations pures et dures de la (…) confédération. » (Benoît,

fédération)

Cependant, la crainte est dans ce cadre celle de la multiplication des messages

et du risque de brouillage de ces différentes sources pour les adhérents.

« Je vais me positionner en tant que syndiqué lambda : je reçois le magazine

[de la confédération] tous les mois en tant qu’adhérent. J’ai la newsletter

de l’UD. J’ai les infos de la fédé. J’ai éventuellement un document de mon

syndicat… La question, c’est comment on a une communication globale,

réfléchie, et qui vient pas s’empiler ? » (Jean-Philippe, UD)

On peut entendre ici que l’articulation vise, avant tout, à éviter de donner

l’image peut-être trop bureaucratique d’une organisation qui révèlerait, à

travers cet empilement de supports de communication, sa structure complexe

et ses difficultés à communiquer de manière coordonnée…

3.2.2 Articuler sans homogénéiser

Malgré l’ambivalence des relations entre national et local, la nécessité d’une

communication bien articulée ou coordonnée apparaît dans un grand nombre

d’entretiens. Ici le numérique, perçu par ailleurs comme une difficulté ou un

risque d’éparpillement de la communication, est invoqué comme une solution,

un moyen de bien organiser ces différentes strates.

TROISIÈME PARTIE

des onglets qui émerge. Pour les sites ou les applis, on retrouve la même idée

d’une base centrale avec des entrées différentes proposées :

« On pourrait avoir un seul numéro, (…) et à l’intérieur, qu’on ait des onglets

“Territoires”, “Branches”, “Nos fédés”, avec des informations qui se croisent

(…) L’idéal, ça serait qu’il n’y ait qu’une seule entrée pour le site régional, le

site de la fédération, le site du syndicat, le site de la confédération, le site de

l’espace formations, etc. ! Mais après, pour techniquement, comment il faut

faire, alors là, ça je ne sais pas. [Rire] » (Jean-Philippe, UD)

L’idée se heurte cependant au risque de voir une fois encore le site local

« écrasé » par l’information nationale (le terme de « strate » renvoyant encore

à cette notion d’empilement), alors même que les informations du terrain sont

perçues comme essentielles. La visibilité du syndicat est ici en jeu, et cette

question reste un point de vigilance central pour les syndicalistes locaux.

Les gains en termes d’audience ou de facilité d’édition ne sont pas évoqués

spontanément.

« Le site internet, il a une vocation de mettre que les informations locales

du syndicat, et les informations à l’échelle de l’union locale et de l’union

départementale. En fait, le site internet, c’est vraiment l’information qu’on

vit tous les jours, l’information locale, que ça soit le tract des métiers, ou les

communications qu’on fait au niveau du syndicat, de l’union locale ou de l’union

départementale. C’est vraiment… On veut pas que le site, en fait, il reprenne…

que ça soit un copier-coller des sites nationaux. » (David, SE)

À la question « est-ce-que ça ferait sens, pour vous, que par exemple votre

site [sur l’entreprise] soit en fait hébergé par un site [de votre OS] ? », l’un des

militants répond :

« Alors, oui, on a eu un long débat là-dessus, il y a à peu près deux ans, quand

le site internet de la fédération nationale a été remanié. Et effectivement,

ce site-là le permet. (…) mais pour l’instant, nous, on est connus par [le site

local], on a voulu le garder pour l’instant comme ça. Et ne pas rajouter une

strate, encore : faut aller sur la fédération, puis après aller sur [le site local].

Pour l’instant, on n’a pas vu l’intérêt. Mais c’est une réflexion, euh, qui nous…

purement à nous, quoi. » (Ludovic, SE)

a. Diffuser des modèles pour harmoniser

Une autre piste évoquée est celle de réaliser des kits, des templates, des

supports qui se déclineraient selon les différentes entités. On a déjà évoqué,

au niveau confédéral, ces enjeux d’articulation et de coordination, auxquels les

militants sont, on le voit, assez favorables. La question de l’homogénéisation est

de son côté beaucoup plus délicate. Il s’agit ici, dans l’esprit des syndicalistes,

de n’homogénéiser que les supports. Symboliquement cela a son importance,

Pratiques et stratégies numériques à l’échelle locale : du syndicat d’entreprise à la fédération

la présence de la confédération ou de la fédération se faisant ressentir à travers

ces sites et ces supports.

Cependant, il est intéressant de noter ici que les syndicalistes pensent toujours

que c’est en quelque sorte « leurs » supports qui doivent servir de modèle ou

de cadre pour les autres entités. Forts de leur initiative locale, ils estiment être

en mesure de diffuser leur expérience pour les transmettre ou les généraliser.

L’idée qu’il existe des templates ou modèles nationaux n’est en revanche pas

évoquée. La proposition de diffusion de ces pratiques ou modèles suit donc,

pour les syndicalistes, un modèle plutôt horizontal, là encore à l’échelle locale

(celle des UD ou UR), tandis que le besoin d’une harmonisation centrale ne

semble pas se faire sentir.

« J’ai même proposé, limite faire une formation sur une journée à des jeunes

recrues, (…) pour leur monter un kit blog – Twitter clef-en-main, quoi : en

quelques heures, on peut faire la structure, leur expliquer très simplement, et…

Se donner de la visibilité, c’est important, sur internet. » (Jean-Baptiste, SE)

« Il y a l’idée d’une formation à l’UD avec une boîte à outils avec logos,

bannières etc. à utiliser par les camarades sur leur site. » (Steve, SE)

« Pour le site web régional (…), on a pris un format de publication, puis il faut

essayer d’être cohérent, voilà. Faut amener tout le monde à faire à peu près la

même chose. Donc quand j’ai des contributions, je suis amené à les remettre

en forme. » (Antoine, UR)

« On a créé une plateforme de blogs [à l’échelle confédérale] : ça crée une

homogénéisation parce qu’il y a un nombre fini de… de templates, de thèmes,

qui sont disponibles, et les sites se ressemblent vachement. » (Fabien,

fédération)

b. L’attachement au maintien de la variété des opinions et des expressions

La limite de l’homogénéisation, sans surprise, tient à l’impossibilité d’imposer

des contenus ou même des formats qui seraient trop contraignants. Même si

certains reconnaissent le besoin d’une certaine « discipline » pour veiller à la

cohérence et l’harmonisation des supports, la question de l’autonomie et du

maintien de la variété des opinions syndicales au sein des organisations reste

fondamentale. Des contraintes de supports pourraient être perçues comme

des contraintes implicites de contenu, le contrôle de la forme ouvrant au fond,

potentiellement, sur un contrôle du fond des messages syndicaux.

« Il faut homogénéiser, rationaliser, je sais que c’est pas très… Il faut rationaliser,

quoi ! Et après, ça veut pas dire gommer les divergences politiques, mais on

peut avoir des outils de communication où on laisse place aux débats internes

TROISIÈME PARTIE

Parce que c’est que comme ça que ça fonctionnera, sinon, c’est artificiel. Celui

qui veut homogénéiser la [nom de l’OS], déjà, bon courage, hein. Faut se lever

tôt le matin. On a cette culture du débat. Donc on n’impose rien à [nom

de l’OS]. On n’impose pas, on crée des dynamiques, pour créer des effets

d’entraînement. » (Fabien, fédération)

« On peut essayer d’uniformiser, histoire d’avoir… d’augmenter notre visibilité

et que ça soit plus… mais de toute façon, on peut pas l’imposer. Parce que

chacun est libre de faire ce qu’il veut dans son syndicat, du moment qu’il ne

contrevient pas aux statuts. » (Steve, SE)

Au total, on voit la grande ambivalence des militants locaux face à leur

organisation syndicale confédérale, ambivalence qui est certes consubstantielle

au syndicalisme français mais qui est encore renforcée par les possibilités

contradictoires que propose le numérique : l’outil peut être un outil

d’homogénéisation et d’uniformisation et en même temps un outil de diversité

et d’éclatement.