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3.3 Ce que le numérique change dans l’activité syndicale locale

3.3.3 Mobiliser

Comme on l’a vu dans la revue de littérature, les outils numériques ont été

rendus très visibles lorsqu’ils ont été considérés comme utiles des mobilisations

en cours. On évoque en effet souvent la place de Facebook ou de WhatsApp

par exemple dans le mouvement des Gilets Jaunes ou dans les révoltes arabes

des années 2010, même si, on l’a vu aussi, il faut relativiser ce poids des RSN.

C’est pourtant la première forme d’usage qu’on imagine, et l’effet principal

qu’on pourrait attendre du numérique dans le monde syndical.

De fait, les formes de mobilisation syndicale sont très visibles sur les

RSN, même s’il existe des différences fortes, liées à la manière et au degré

avec lequel les différentes organisations intègrent la mobilisation dans leur

répertoire d’action, mais aussi à la manière dont localement, les militants et les

syndicats d’entreprise ont été socialisés à l’action protestataire et au lien qu’ils

ont avec leur organisation faîtière (Giraud 2006). Ces différences expliquent

peut-être en partie pourquoi les militants ont finalement très peu évoqué cet

usage protestataire des RSN. En effet, nous avons rencontré, du fait de notre

commanditaire, beaucoup de militants de la CFTC, et qui préfèrent utiliser

d’autres modes d’action et de pression que la grève. Mais cette explication

ne suffit pas puisque même les militants de la CGT rencontrés ont très peu

évoqué cette question. Peut-être s’agit-il aussi d’un effet de l’enquête, dans la

mesure où nous avons centré nos entretiens sur les usages organisationnels

des réseaux plutôt que sur leurs usages protestataires. Une autre hypothèse

(qui serait à valider empiriquement) serait qu’on observerait au fond une

sorte de division du travail syndical, les militants que nous avons rencontrés

étant davantage en charge de la communication et intervenant peu dans

les grandes mobilisations, contrairement à d’autres militants qui auraient

davantage endossé ce rôle.

On retrouve néanmoins quelques exemples d’usage du numérique dans le

cadre de mobilisations protestataires. Ainsi, un militant explique dans l’entretien

que c’est à l’occasion de la lutte contre la fermeture de son site qu’il crée un

site internet, puis un blog, de manière à montrer sinon la mobilisation du moins

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autre militant évoque des formes d’action différentes, autour de « manifestations

en ligne » à travers des hashtags diffusés sur Twitter, internet ou Instagram :

Ainsi ce militant évoque les usages des RSN pour les mobilisations : « on

l’a utilisé un petit peu. Notamment pendant la réforme des retraites. Il me

semble qu’il y a un #5décembre, qui avait été créé (...) et puis en plus, avec

le confinement, c’est vrai que c’est quelque chose qui avait du sens, le fait de

manifester en ligne. Et d’utiliser… enfin, alors voilà, de mettre un hashtag en

grand, histoire que ça mette un pic artificiel – enfin, pas artificiel – ça crée un

pic, et que ça oblige la visualisation des choses, en fait. Ça, pour le coup, c’est

assez nouveau. » (Jessy, SE)

Un dernier exemple concerne un syndicat d’entreprise, qui utilise les RSN,

et tout particulièrement Facebook, pour diffuser des images des mobilisations,

images permettant leur visibilité, gage de succès.

Ainsi, le secrétaire de ce syndicat explique : « moi, j’invite, effectivement,

tous mes camarades qui sont sur les initiatives, à prendre le maximum de

photos. Parce que le grand défaut qu’on a pu avoir à la [nom de l’OS], c’est

qu’on savait pas communiquer, et pas mettre en valeur ce qui était. Et

aujourd’hui, c’est un combat de communication ; et à un moment, quand on

a des initiatives locales sur nos périmètres, sur nos départements, c’est pas

les médias nationaux qui vont en parler, il y a quelques médias locaux qui le

font ; donc si nous, on fait pas le relais de ce qu’on a fait, de comment on

a eu des initiatives, personne le fera à notre place. Donc effectivement, sur

les manifs, sur les initiatives, on prend énormément de photos ; quand on

peut faire des petits montages vidéo avec les photos, ben on le fait : des fois,

c’est plus pratique d’avoir un montage vidéo que de mettre toutes les photos

d’affilée. » (David, SE)

Ainsi, ce syndicat appelle en janvier à une « retraite aux flambeaux » pour

protester contre la poursuite de la réforme des retraites. Cette initiative

est relayée sur Facebook, de même que le sont un certain nombre de

photographies, puis des films tournés pendant cette action. Les images

sont impressionnantes, avec les torches qui éclairent vivement dans la nuit

de janvier, l’ensemble donnant des couleurs particulières, participant ainsi

à donner le sentiment de cette « effervescence collective » propre à la

mythologie de ce type d’action.

Pratiques et stratégies numériques à l’échelle locale : du syndicat d’entreprise à la fédération

Les exemples sont nombreux de cet accompagnement par les réseaux sociaux

des manifestations, renforçant ainsi leur aspect de « production symbolique » (Collet,

1982). On voit bien que les RSN permettent d’élargir l’audience d’une mobilisation,

plus encore que ne le faisaient les médias traditionnels. À ce titre, on peut reprendre

pour l’adapter l’expression de Patrick Champagne, qui évoquait dans les années

1980 l’expression de « manifestations de papier » pour analyser le travail discursif

des médias autour de ces « événements politiques » que sont les manifestations,

travail discursif qui leur donne plus de force et leur donne une existence au-delà

du moment où elle s’est passée et des acteurs qu’elle a réunis (Champagne, 1984).

D’une manière générale, c’est surtout au moment des mobilisations que

les sites connaissent leur plus grande effervescence. Ainsi, notre recherche a

été réalisée en partie pendant le mouvement d’opposition à la réforme des

retraites. Le suivi des différentes pages ou groupes Facebook et des comptes

Twitter pendant ces mouvements entre décembre 2019 et février 2020 montre

l’importance quantitative des posts pendant cette période, pour les syndicats

les plus investis dans la mobilisation mais aussi pour les autres : appels à la

mobilisation et rappel des lieux et heures de rassemblement, annonce du

chiffre de manifestants ou pourcentages de grévistes, copie des tracts papier,

mais aussi images, voire petits films… autant d’éléments qui accompagnent

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