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4. Méthodologie

5.2. La relation soi/autres : moi par rapport à non-Chinois

Le terme « autres » est nuancé par rapport à « étrangers » dans la mesure où « autres » est utilisé dans la plupart des cas pour désigner la relation « moi » face à « eux ». Au lieu d’être une relation entre deux collectivités, « autres » définit une relation entre le soi des participants et la collectivité de la contrepartie : tous ceux qui ne sont pas Chinois. Tous les extraits qui comportent le terme « autres » ont un point commun : les participants y parlent de leurs expériences quotidiennes sans aucun lien avec film. Dans ce cas-là, les participants n’ont fait aucune référence aux gens d’une certaine

culture comme contrepartie. Le terme « autres » donnait moins de sens national et ne s’appuyait pas forcément sur le critère de culture nationale. De plus, prenant en considération que c’était moi, une personne faisant partie de leur collectivité en termes de culture nationale, qui leur posais des questions, leur mot « autres » intervenait naturellement. Aucune précision n’était nécessaire.

Deux participantes, Wushuang et Xiang, respectivement au Canada depuis moins d’un an et neuf ans, ont formulé cette relation entre le soi et les autres, mais avec des critères différents : la culture religieuse chrétienne, la langue maternelle espagnole et la culture d’origine.

D’abord, Wushuang a exclu la culture chrétienne de sa propre collectivité. Elle a abordé l’histoire de son passé en élaborant cette relation soi/autres entre « moi » et « non-Chinois ». Partageant les histoires de sa communication interculturelle, elle a pensé à son séjour en Espagne dans un programme d’échange où beaucoup de gens lui avaient demandé s’il y avait eu des filles tuées vu la préférence de la Chine pour une progéniture masculine. Elle avait essayé de comprendre leur point de vue : « J’essaie de comprendre en me mettant à la position des autres, par exemple, pour la culture chrétienne, l’avortement forcé est complètement inacceptable pour lui/elle » (Wushuang). Dans cette relation de son passé, la culture chrétienne a été considérée comme « eux ». Le soi qui informait le point de vue de Wushuang ici n’était pas

national, mais la marquait comme étant en dehors de la collectivité de culture chrétienne.

Wushuang a d’ailleurs attribué de l’importance à la langue maternelle comme critère d’élaboration de la relation entre « moi » et « non-Chinois », cela en parlant de son présent au Canada. En rapport aux langues qu’elle utilise à Montréal, elle faisait toujours référence à l’espagnol : « Je dois dire initialement aux autres que je parle espagnol » (Wushuang). Elle a d’abord répondu en cantonais, en mandarin, en anglais, puis en français, pour en bout de ligne arriver à la langue espagnole. Elle a précisé qu’elle avait étudié la langue et la littérature espagnoles à l’université en Chine et avait passé une année entière en Espagne. Maintenant à Montréal, elle avait toujours envie de le pratiquer, mais ce n’était pas toujours facile en raison de son apparence asiatique, qui ne suggère pas aux gens qu'elle est susceptible de parler cette langue. Même s’il ne s’agissait pas d’un stéréotype courant, cet acquis qui semble aller de soi des autres a éveillé l’attention de Wushuang, car, ici, ce sont les autres qui construisaient la frontière entre « nous » et « eux ». Elle a utilisé le mot « autres » plutôt que « leur » pour désigner tous ceux dont la langue maternelle est l’espagnol, car elle ne savait pas exactement de qui elle parlait à ce moment-là. Elle ne faisait référence qu’aux gens dont la langue maternelle est l’espagnol. C’est plus tard, dans la phrase suivante, qu’elle a précisé que quand elle rencontrait des camarades de classe mexicains ou argentins, elle essayait de leur parler en espagnol. C’est évident

qu’au moment où elle a formulé le terme « les autres », elle a exclu tous les gens dont la langue maternelle est l’espagnol de sa communauté.

Le critère de culture nationale d’origine a quand même été abordé par Wushuang et Xiang pour établir cette relation entre le soi et les autres en parlant du présent. Après avoir parlé des stéréotypes qu’elle avait rencontrés dans la vie, Wushuang a partagé sa stratégie pour y face :

Moi : Comment réagissez-vous face aux stéréotypes ?

Wushuang : Il faut être rationnel quand on veut effacer les stéréotypes des autres. Je vous dis cela parce que j’ai des camarades chinois très irrationnels lorsqu’il est question de Taïwan posées par les camarades d’autres pays, qui vont sûrement croire que les Chinois sont tous comme ça.

Pour Wushuang, les stéréotypes semblent assez gênants, celle-ci ayant exprimé son désir de les effacer. Il s’agit ici d’une distinction soi/autres avec un critère national. Ses termes « les stéréotypes des autres » et « les camarades d’autres pays » démontrent qu'elle se considère membre de la communauté chinoise, car l’expression « les camarades d’autres pays » fait l’objet d’un contraste avec « des camarades chinois ». Bien que Wushuang se croie différente par rapport aux « camarades chinois très irrationnels », ce n’est pas ce qu’elle a souligné dans ce cas-ci. Elle a plutôt dessiné la frontière entre la collectivité chinoise, dont le soi faisait partie, et les autres pays, en empruntant littéralement le mot « autres » et en répondant à une question sur le comportement face aux stéréotypes sur son pays d’origine et ses compatriotes. Ici, le terme les « autres » correspond à un critère national. Pour Wushuang, ce qui est différent par rapport à la relation nous/eux entre les Chinois et les étrangers, c’est sa

propre stratégie de conduite face aux « autres ». Il s’agit d’une relation entre un individu comme soi et une collectivité comme autres.

Xiang a parlé de son exposition à d’autres cultures avant d’aborder les stéréotypes : « Je vis principalement dans notre communauté, mon exposition à d’autres cultures est avec mon fils » (Xiang). Ici, l’adjectif possessif « notre » marque bien une appartenance à la communauté chinoise et le fait qu'elle prenne pour acquis que j'en fais aussi partie. L’expression « d’autres cultures », pour elle, réfère à toutes celles qui ne sont pas chinoises. Cette relation est fortement nationale, selon Xiang. Comme Wushuang, Xiang n’a pas parlé de la relation entre les collectivités Chinois/étrangers, mais a souligné l’interaction du soi (le sien) avec les autres non-Chinois. Séjournant au Canada depuis plus de neuf ans, elle garde tout de même le critère de culture nationale d’origine quand elle évalue ses relations avec les autres.