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Pour explorer les stéréotypes dans le film Adieu ma concubine, distribué il y a 25 ans, et les perceptions des Chinois qui demeurent aujourd’hui à Montréal, au moment actuel, l’écart de temporalité entre les deux contextes doit être pris en compte. Après avoir esquissé les principales perspectives sur les stéréotypes, il faut surtout les placer dans le contexte contemporain pour mieux comprendre les perceptions du film des Chinois vivant actuellement à Montréal. Cela correspond bien aux perspectives critiques de la communication interculturelle, qui méritent d’être mises en lumière.

La communication interculturelle est généralement définie comme l’« interaction of people from different cultural backgrounds. That interaction can take place at multiple levels of analysis such as intrapersonal, interpersonal, organizational, community, and societal/cultural levels » (Alexander et al, 2014, p. 28). La mise en avant de l’« inter » et de « différence » a toujours prédominé dans la communication interculturelle. On a assisté à un tournant théorique et conceptuel des études de la communication interculturelle dans les années 1980, avec l’avènement de perspectives critiques. Dans ce champ de recherche, le contexte historique est mis en avant par plusieurs auteurs : « History can never be deemed a pure innocent space, neither, for the matter, can intercultural communication » (Halualani, Mendoza, Drzewiecka, 2009, p. 7). Asante (1980) suggère que « cultural groups needed to be historically contextualized in order to understand fully their cultural systems, identities and communication practice » (cité dans Halualani, Mendoza et

Drzewiecka, 2009, p. 5). Tous ces nouveaux courants mettent de l’avant qu'il faut « take historicization more seriously » (Halualani, Mendoza et Drzewiecka, 2009, p. 5). Le contexte historique est au cœur des perspectives critiques de la communication interculturelle. C’est pourquoi je propose que le contexte contemporain détermine les phénomènes correspondants : les gens contemporains sont plus exposés à d’autres cultures, la relation soi/autres est redéfinie, et enfin, un nouveau regard sur sa propre culture se constitue.

D’abord, en prenant en considération le contexte historique dans la communication interculturelle, on constate que, « as modernization and globalization advance all over the world, the nations and people are becoming more intercultural, and communication between people becomes more intercultural, involving people of different cultures » (Alexander et al, 2014, p. 16). Dans le contexte de la mondialisation, les gens sont plus mobiles et susceptibles de rencontrer les membres d’autres cultures, et ce, d’une manière incomparable à celle des années 1990. Les Chinois d’aujourd’hui se déplacent aussi beaucoup plus fréquemment qu’il y a 25 ans, moment où le film a été mis à l’affiche. Ainsi, il est possible d’affirmer que leurs attitudes en regard des relations interculturelles diffèrent de celles d’autrefois. Je m’intéresse surtout aux Chinois vivant à Montréal, une part importante de la diaspora chinoise mondiale qui est plus exposée à d’autres cultures et qui interpréterait les stéréotypes présents dans Adieu ma concubine d’une nouvelle façon.

Deuxièmement, la communication interculturelle s’effectue à travers la différence : « Interculturality deals with communication across difference : how difference is marked and is made meaningful through representations that circulate in media and through ordinary interactions with people from diverse backgrounds » (Alexander et al, 2014, p. 23). La différence entre les groupes culturels et le rapport soi-autres seraient marqués différemment par les médias et les interactions quotidiennes. Il se peut donc que les stéréotypes dans Adieu ma concubine soient appréciés autrement aujourd’hui qu’au moment où le film a été lancé. C’est pourquoi ce mémoire analyse l’interprétation que donnent aujourd’hui des Chinois des stéréotypes dans le film. De plus, l’encadrement du soi serait aussi différent avec le temps qui passe : « Meanings attributed to the Self are not fixed or predetermined, but created, reshaped, and altered over time » (McAllum et Zahra, 2017, p. 6). Adieu ma concubine est un film en circulation constante dans le monde médiatique chinois et mondial, cela depuis 25 ans. Les sens construits dont il fait l’objet et la relation soi/autres qu’induisent le film et sa réception ne sont pas définis une fois pour toute, mais font plutôt l’objet d’une transformation graduelle.

Troisièmement, dans le contexte de la mondialisation, comme l’argumente Sorrells (2010), les liens qui unissaient autrefois une culture à un territoire sont remis en cause : « Culture is de-territorialized, where cultural subjects and cultural objects are uprooted from their situatedness in particular physical, geographic locations and re- territorialized, or re-inserted in new, multiple and varied geographic localities » (p.

174). On ne peut plus lier inconditionnellement la culture avec la géographie et la nation. La culture chinoise serait ainsi déstabilisée et transmise par des Chinois résidant dans d’autres pays, de sorte que ceux qui s’identifiaient en 1993 à certains stéréotypes ou se considéraient typiquement Chinois comme dans le film Adieu ma concubine pourraient être vus différemment aujourd’hui. En plus, la Chine n’est pas ce qu’elle était en 1993. Les rapports sociopolitiques ont considérablement changé depuis lors : le pays est beaucoup plus ouvert, avec plus de Chinois en sortant et plus d’étrangers y entrant, une économie plus développée et prospère et un niveau de vie beaucoup plus élevé. Cela nécessite de poser un nouveau regard sur la Chine.

Considérant le contexte historique de la communication interculturelle, le fonctionnement des stéréotypes dans le film Adieu ma concubine serait contrarié aujourd’hui, ce qui m’oriente vers les questions de recherche suivantes :

Comment les membres de la communauté chinoise interpellée dans le film Adieu ma concubine, plus particulièrement ceux de la diaspora vivant à Montréal, (1) voient-ils les stéréotypes dont ils sont l’objet ; (2) comment aimeraient-ils être présentés au cinéma ?

Pour répondre à ces questions, j’ai entrepris une recherche qualitative et recruté dix Chinois à Montréal pour des entrevues individuelles sur leurs perceptions du film et des stéréotypes les concernant. J’en suis à vous expliquer en détail le processus méthodologique et les étapes par lesquelles je suis passée. La section suivante y est dédiée.