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2-2.3.Relation entre représentation arabe et représentation verbale

CHAPITRE I APPROCHE DE LA COGNITION NUMERIQUE

I- 2-2.3.Relation entre représentation arabe et représentation verbale

Quels sont les rapports de ces deux représentations dont les localisations cérébrales diffèrent (i.e., comme le résume le tableau I-1, les aires périsylviennes de l’hémisphère gauche pour la représentation verbale et les aires occipito-temporales gauche et droite pour la représentation arabe) ?

Ces deux représentations semblent chez l’adulte posséder une certaine autonomie comme en témoignent les cas de double dissociation : Butterworth (1999) rapporte que, dès 1892, Déjerine avait publié le cas d’un patient qui, suite à un problème cérébral, était devenu incapable de lire les mots tout en restant capable de lire les nombres. Inversement, Cipolotti, Warrington et Butterworth (1995) ont décrit un déficit sélectif de lecture des chiffres avec préservation de la lecture des mots. Leur patient, B.A.L., présentait une malformation dans la région pariétale gauche ayant occasionné des accidents vasculaires cérébraux. L’investigation neuropsychologique a montré une dissociation entre traitement numérique verbal et arabe :

• Ses capacités étaient relativement préservées dans des tâches faisant appel à des stimuli verbaux (e.g., lire à haute voix des noms de nombres écrits, donner oralement le nombre qui suit, résoudre des additions ou des soustractions simples) ;

• Inversement, il échouait systématiquement dans les épreuves impliquant des chiffres arabes (e.g., incapacité de lire à haute voix des numéraux arabes avec principalement des erreurs lexicales – « 7 » lu « onze »).

Les auteurs ont conclu à l’importance des caractéristiques de présentation des nombres et suggèrent deux voies fonctionnelles distinctes, l’une pour l’accès aux numéraux verbaux, l’autre pour les numéraux arabes.

Dans notre objectif de comprendre la cognition numérique, nous venons de présenter un ensemble de données concernant essentiellement les adultes humains. Nous avons effectué un détour par le monde animal puisque de nombreuses recherches ont mis en évidence que

des espèces, parfois bien éloignées de l’homme comme les poissons, possédaient un système de traitement analogique des quantités. Cette représentation, certes approximative, permet des estimations utiles en milieu naturel.

En étudiant les caractéristiques du modèle du triple code élaboré par Dehaene, il est apparu que, chez l’être humain, la compétence numérique comportait une composante analogique - tout comme chez l’animal - mais aussi une composante symbolique, constituée de codes verbaux et visuels, dépendante de la culture et permettant un traitement précis des quantités. Pour les adultes vivant dans les sociétés occidentales et ayant reçu une éducation, les codes symboliques viennent se lier à la représentation analogique ce que révèle la mise en évidence de l’effet de distance numérique.

La question se pose maintenant de l’acquisition de ce savoir sur le nombre. Nous allons maintenant examiner des données développementales. Du nouveau-né à l’enfant et à l’adolescent, que sait-on de la façon dont la cognition numérique va s’organiser au fil du temps ?

II –L’enfant et le développement des habiletés numériques

Au cours du développement, les enfants vont progressivement acquérir les codes verbaux et écrits qui vont leur permettre de se représenter et manipuler symboliquement les quantités. Geary (2006) rappelle la perspective néonativiste selon laquelle, chez l’enfant humain, la compréhension de l’arithmétique évoluerait à partir d’un premier système biologique ou inné de traitements et de manipulations des quantités pour acquérir ensuite le savoir mathématique et arithmétique spécifique à une culture, celui-ci étant appris de manière plus ou moins formelle. La question se trouve donc posée de l’articulation entre dimension symbolique et analogique, d’un enracinement des représentations auditives et visuelles du nombre dans les processus précoces de quantification.

Comme cela a été le cas précédemment, nous établirons lorsque ce sera possible des liens avec le modèle du triple code de Dehaene. Cette architecture visant à modéliser le traitement du nombre a été élaborée à partir de données recueillies non chez les enfants mais chez les adultes. Nous verrons ainsi que l’effet de distance s’avère robuste avec les bébés et les très jeunes enfants dans la dimension analogique. Il conviendra d’examiner son évolution et sa généralisation à la dimension symbolique au moment où l’enfant acquiert les premiers outils mathématiques de sa culture.

II -1 - Rappel de l’importance du modèle piagétien.

Concernant le développement du nombre chez l’enfant, le modèle dominant a été, durant plusieurs décennies, celui élaboré par Piaget. Ses travaux ont concerné essentiellement l’épistémologie génétique, i.e. l’analyse du développement de la connaissance scientifique en général. Piaget visait à répondre à la question de la construction des connaissances. Il a mené différentes recherches pour étudier l’intelligence de l’enfant et a défendu l’idée que celle-ci se construit progressivement en passant par différents stades. Dans la perspective de Piaget (1992), trois conditions doivent être remplies pour que l’on puisse parler de stades dans le domaine du développement de l’intelligence :

• Les stades se succèdent dans un ordre constant ;

• Ils se définissent par une structure d’ensemble caractéristique ;

• Lors du passage d’un stade à un autre, chaque structure se trouve intégrée à la suivante qui la dépasse.

La genèse de la notion de nombre tient une place majeure dans la théorie piagétienne. Pour Piaget et Inhelder (1966), le sens que l’enfant attribue au nombre est lié au développement de ses compétences logiques. C’est aux alentours de 6-7 ans, au stade des « opérations concrètes », que l’enfant accède au concept de nombre. Dans cette perspective, les périodes qui précèdent peuvent être considérées comme des périodes d’organisation et de

préparation des opérations concrètes. L’enfant devient alors capable de coordonner les opérations de classification et de sériation et de construire le nombre avec ses caractéristiques d’invariance et d’abstraction. Il a construit la réversibilité des actions et devient alors en mesure de réussir la tâche de conservation numérique des quantités5, indice de l’accession au concept de nombre. Selon Piaget (1966), « on ne saurait naturellement parler de nombres

opératoires avant que se soit constitué une conservation des ensembles numériques

indépendamment des arrangements spatiaux ». (La psychologie de l’enfant ; p. 82)

Les apports théoriques de Jean Piaget ont été abondamment retravaillés et discutés notamment grâce à l’utilisation de nouveaux paradigmes dans l’observation de l’enfant. Ainsi, Houdé (2011) rapporte une étude menée grâce à la technique d’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf) afin d’investiguer la tâche de conservation du nombre élaborée par Piaget. Des enfants de 5 à 10 ans, ont réalisé cette tâche tout en étant placés dans un appareil d’IRM. Ce protocole expérimental a permis d’effectuer des cartographies de leur cerveau et d’identifier les circuits neuronaux impliqués dans la résolution de la tâche piagétienne. Les analyses montrent que seuls les enfants les plus âgés « conservants » activent un réseau pariéto-frontal qui leur permet d’inhiber les données perceptives pour fournir une réponse correcte (« Il y a le même nombre même si c’est plus long »).

Comme nous allons maintenant le voir, dans les dernières décennies, de nombreuses recherches ont mis en évidence des capacités numériques à un âge plus précoce que celui avancé dans les recherches piagétiennes.

5 L’épreuve de conservation des quantités consiste à disposer deux rangées de même longueur et de même nombre de jetons devant l’enfant, de lui faire constater l’égalité puis d’entreprendre des changements spatiaux en modifiant la longueur des rangées. L’expérimentateur questionne ensuite l’enfant sur le maintien de l’égalité. Selon la théorie piagétienne, l’enfant avant 6-7 ans, qui n’a pas acquis la notion de nombre, répond de manière erronée (« Il y en a plus là parce que c’est plus long ») car il ne peut réaliser les opérations mentales lui

II - 2 - Les tout débuts. Une nouvelle perspective : une compétence numérique précoce chez les nouveau-nés et les très jeunes enfants ?

Comme pour les adultes, des progrès dans la connaissance de la cognition numérique ont pu être réalisés chez les très jeunes enfants grâce à l’emploi de méthodes et de moyens techniques de plus en plus sophistiqués permettant des observations précises. Ainsi, en 2008, pour étudier les bases neurales de la sensibilité au nombre, Izard et al. ont travaillé avec des bébés de trois mois en utilisant des techniques d’électroencéphalographie. Les chercheurs ont placé sur la tête des participants un filet d’électrodes et ont enregistré l’activité électrique à la surface du scalp pendant que les enfants visionnaient des ensembles d’objets (au fil des présentations, les expérimentateurs faisaient varier soit l’identité des objets, soit leur nombre). Le cerveau des enfants a ensuite pu être reconstitué en trois dimensions ce qui a permis de mettre en évidence la topographie de deux circuits cérébraux distincts : l’un dédié aux objets au niveau occipito-temporal, l’autre aux nombres au niveau du cortex pariétal droit6.

Cet exemple montre que, chez le très jeune enfant, des moyens d’investigation sophistiqués peuvent être mis au service de la recherche.

II-2-1- Le traitement numérique des petites quantités par les très jeunes enfants : est-il