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I Relation entre alimentation et os

Le Ca des vertébrés provient majoritairement de l’alimentation à l’exception de certains groupes, comme les actinoptérygiens (poissons à nageoires rayonnées) ou les chondrichtyens (poissons cartilagineux), dont les homéostasies calciques impliquent également des échanges avec l’eau environnante à travers les branchies (e.g.Flik et al. 1995).

Il a été initialement proposé, puis confirmé depuis, que la composition isotopique de la source alimen- taire détermine celle de l’organisme. En effet, pour les organismes dont les tissus osseux ont été analysés conjointement à leur alimentation (poulet, cheval, otarie, cerf élaphe, cochon nain de Göttingen et mou- ton), les os sont systématiquement appauvris en isotopes lourds relativement à la source (Figure 6.1). L’amplitude de la différence entre l’os et la source (∆44/42Ca

os−source) a été initialement estimée à -0.65

voire -0.75 h (Skulan et DePaolo 1999) mais celle-ci se limitait à 4 taxons dont un actinoptérygien, le mérou. L’étude des distributions isotopiques du Ca d’autres vertébrés a permis d’affiner l’estimation de la différence entre l’os et la source de Ca à -0.57±0.10 h (Figure6.1). Le mérou est exclu de cette discussion car seule l’eau de mer était prise en compte dans l’estimation de la composition de la source de Ca (Skulan et DePaolo 1999), ce qui ne permet pas de proposer une estimation de la composition moyenne de son alimentation. Par ailleurs, la physiologie des actinoptérygiens implique des sources de Ca alimentaire mais également de l’eau de mer, par le biais des branchies, ce qui n’est pas comparable à la situation des autres vertébrés considérés.

De ce constat est née l’hypothèse que les isotopes du Ca permettraient de reconstruire les niveaux trophiques des vertébrés (Skulan et al. 1997, Skulan et DePaolo 1999). Le niveau trophique est un index décrivant la position des espèces au sein d’un réseau trophique (Elton 1927). Il est obtenu par le calcul de la moyenne pondérée du nombre d’intermédiaires qu’il y a entre l’espèce étudiée et les producteurs primaires de niveau trophique égal à 1, auquel est ajoutée une unité (Elton 1927, Polis et Strong 1996). Depuis les producteurs primaires jusqu’aux superprédateurs, les niveaux trophiques s’étendent entre 1 et plus de 5 pour certaines espèces (Pauly et al. 1998). Ces index permettent de synthétiser les régimes alimentaires des espèces, de décrire les voies énergétiques ainsi que les dynamiques des réseaux trophiques et des écosystèmes.

Ainsi, selon l’hypothèse énoncée, à chaque niveau trophique, la physiologie de l’organisme serait à l’origine d’une baisse de sa valeur moyenne de δ44/42Ca de l’ordre de -0.60 h et le consommateur de niveau trophique supérieur consommerait ce Ca en appauvrissant à son tour la valeur de δ44/42Ca de son organisme, et ainsi de suite.

I. Relation entre alimentation et os 83 -1.50 -1.00 -0.50 0.00 -1.00 -0.50 0.00 0.50 δ44 42Ca (Source) δ 44 42 C a (O s)

Poulet (Gallus gallus domesticus), n = 1 (Skulan et DePaolo 1999)

Cheval (Equus caballus), n = 1 (Skulan et DePaolo 1999) Otarie à fourrure du Nord (Callorhinus ursinus), n = 1 (Skulan et DePaolo 1999) Cerf élaphe (Cervus elaphus), n = 3 (Chu et al., 2006)

Cochon nain de Göttingen (Sus scrofa), n = 6 (Heuser et al., 2016) Mouton (Ovis aries), n = 4 (Tacail et al., 2014) Souris (Mus musculus), n = 5 (Hirata et al., 2008) -0.57 ± 0.10 (‰, 2SE) ∆44/42Ca os-source = Régression : Y = A * X + B A = 1.075 ± 0.336 (2SE) B = -0.541 ± 0.146 (2SE) R2 = 0.891 , p = 1.4*10-3 Légende δ 44 42CaOs δ 44 42CaAl imen tation =

Figure 6.1 – Valeurs de δ44/42Ca de l’os en fonction de celles du Ca alimentaire (h, rel. ICP

Ca Lyon). La droite en pointillés bleus est la droite identité, la droite bleue en trait plein correspond à la

droite de régression linéaire dont l’équation est donnée en bleu, la droite en pointillés rouges est la droite y = x - 0.57 (Skulan et DePaolo 1999, Chu et al. 2006, Hirata et al. 2008, Tacail et al. 2014, Heuser

et al. 2016a). L’aire rosée correspond à l’intervalle de confiance à 95 % de la droite de régression. Chaque taxon est associé au nombre d’individus analysés et représentés par leur moyenne (point) et le double de l’écartype (barre d’erreur). δ44/42Ca of bone as a function of δ44/42Ca values of dietary Ca (h, rel.

to ICP Ca Lyon). The blue dotted line is identity line, the full blue line corresponds to the regression for

which equation is given in blue, le red dotted line is the y = x - 0.57 (Skulan et DePaolo 1999,Chu et al. 2006,Hirata et al. 2008,Tacail et al. 2014,Heuser et al. 2016a). The red shaded area delimits the 95 % confidence interval of the regression line. Each taxon is associated to the number of analyzed individuals and presented with their average composition (point) and the double of the standard deviation (error bar).

84 6. δ44/42Ca des tissus minéralisés et utilisation du Ca au sein des écosystèmes

La définition de niveau trophique ne prend cependant en compte que les apports en énergie apportée principalement par l’alimentation solide. Les apports en minéraux d’autres sources mineures en termes énergétiques, comme les eaux de boisson ou les minéraux consommés intentionnellement, ne sont pas comptés. Une espèce de niveau trophique donné peut donc présenter des comportements alimentaires propres à son niveau trophique moyen, mais impliquant des sources de Ca variées voire complémentaires, qui pourraient ne pas refléter les sources d’énergie qui définissent son niveau trophique. Ainsi la clarté du signal trophique isotopique dépend probablement de l’adéquation ou non entre les sources d’énergie et la nature, la quantité relative et la composition isotopique de chaque source de Ca.

Les premières études montrent des résultats contrastés (Clementz et al. 2003,Melin et al. 2014,Heuser

et al. 2011) et appellent à des explorations plus poussées, notamment du fait d’échantillonnages limités à peu d’individus par taxon. Par conséquent, il convient de tester systématiquement les relations entre les écologies documentées d’espèces d’un écosystème et les compositions isotopiques de leurs tissus minéralisés. Trois études en milieux marins et continentaux ont été réalisées sur des faunes actuelles et fossiles afin de tester l’existence d’effets trophiques isotopiques. Celles-ci sont présentées en Annexes E (Martin et al. 2015),F (Martin et al. 2017b) etG (Martin et al. 2017a).