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II Notions de géochimie des isotopes stables et isotopes du Ca

II

Notions de géochimie des isotopes stables et isotopes du Ca

A Isotopes du Ca et notation "delta"

Les isotopes d’un élément possèdent le même nombre de protons mais diffèrent par leur nombre de neutrons. On les distingue donc par leurs masses atomiques. Selon leurs proportions de protons et de neutrons, les noyaux sont stables ou se décomposent par désintégration radioactive.

Les abondances naturelles des isotopes sont les proportions molaires de chaque isotope trouvé dans la nature. Les noyaux sont les produits de réactions nucléosynthétiques réalisées dans les étoiles : fusions thermonucléaires, captures neutroniques et désintégrations radioactives. Les abondances moyennes des isotopes trouvés sur Terre sont donc héritées de ces histoires nucléosynthétiques et sont dans certains cas modifiées par d’autres processus au cours de la formation du système solaire et de la Terre.

Dans la nature, le calcium possède six isotopes stables (ou de très grandes demi-vies) d’abondances variées (Tableau1.2). Avec une abondance de 97%, le40Ca est l’isotope majeur. La composition en isotopes stables d’un matériau se rapporte aux abondances en tous les isotopes de cet élément.

Tableau1.2 – Masses atomiques et abondances naturelles moyennes des isotopes stables du Ca. Les nombres entre parenthèses sont les incertitudes sur les derniers chiffres significatifs. Atomic masses and natural mean abundances of Ca stable isotopes. Uncertainties are given in parenthese for the last

digits. (Gussone et al. 2016)

Isotope Masses atomiques (u.m.a.) Abondances (% molaire)

40Ca 39.9625909 (2) 96.941(156) 42Ca 41.958618 (1) 0.647(23) 43Ca 42.958766 (2) 0.135(10) 44Ca 43.955482 (2) 2.086(110) 46Ca 45.95369 (2) 0.004(3) 48Ca 47.9525228 (8) 0.187(21)

La mesure précise des abondances des isotopes d’un élément est complexe et ces abondances ne sont pas aisées à manipuler conceptuellement et mathématiquement. La géochimie des isotopes stables fait donc appel aux rapports des abondances molaires de deux isotopes d’un élément, dont les mesures précises sont plus simples et la manipulation mathématique plus aisée. Par convention, les isotopes légers sont la plupart du temps au dénominateur. J’utiliserai tout au long de ce manuscrit la notation delta. Pour le rapport d’abondances des deux isotopes du calcium44

Ca et 42Ca, il faut écrire par exemple :

δ44/42Ca (h) = ( 44Ca/42Ca) éch (44Ca/42Ca) std − 1 ! × 1000 (1.1)

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et un standard de référence (std).

De la même manière, pour les rapports 44

Ca/40Ca, nous écrivons :

δ44/40Ca (h) = ( 44 Ca/40Ca)éch (44Ca/40Ca) std − 1 ! × 1000 (1.2)

Ce calcul permet d’exprimer la déviation, normalisée à un matériau de composition isotopique de référence, et d’amplifier cette déviation qui est infime dans la nature, en la multipliant par un facteur 1000. La valeur d’un delta est donc donnée en unités "pour mille" (h). Les standards utilisés pour exprimer les compositions en isotopes stables du Ca sont nombreux et sont décrits dans la partie I, aux chapitres 1 et 2.

Les géochimistes qualifient les compositions isotopiques de "lourdes" ou de "légères" pour désigner des valeurs "enrichies en isotopes lourds" ou "légers" respectivement, et ce toujours relativement à une composition de comparaison, celle d’un réservoir central par exemple ou bien d’un matériau de référence. Dans le cas particulier de la comparaison au standard de référence, des matériaux aux δ positifs peuvent être qualifiés d’enrichis en isotopes lourds relativement à ce standard, et inversement, des valeurs négatives de légères par rapport à ce même standard.

B Fractionnements isotopiques dépendants de la masse

Le fractionnement est une variation d’abondances isotopiques provoquée par une réaction chimique, physique ou nucléaire.

Les isotopes d’un même élément ont des propriétés physico-chimiques identiques au premier ordre mais leurs différences de masses leur confèrent des propriétés très légèrement différentes. Pour la plupart des éléments ayant plusieurs isotopes, les processus chimiques majeurs trient les isotopes d’un élément selon leurs masses, ce qui provoque des fractionnements isotopiques dépendants de la masse de l’isotope. Les masses des isotopes influencent les vitesses de réactions et les diffusivités des atomes et des molécules. Par ailleurs, elles affectent les fréquences de vibration des liaisons, ce qui a pour effet de modifier les énergies des liaisons et donc les constantes d’équilibre thermodynamique.

Il en résulte que l’amplitude du fractionnement entre deux isotopes augmente proportionnellement avec la différence de masse entre ces deux isotopes. Par exemple, les rapports 44Ca/42Ca varient à peu près

deux fois plus que les rapports 43Ca/42Ca car la différence de masse entre 44Ca et 42Ca est à peu près deux fois plus grande (m43− m42 ≃ 2) que celle entre 43Ca et 42Ca (m43− m42 ≃ 1). Les valeurs de

δ43/42Ca représentés en fonction de celles de δ44/42Ca se distribuent donc sur une droite de pente 0.5

environ. Cette droite est appelée droite de fractionnement dépendant de la masse. De la même manière, les valeurs de δ44/40Ca s’élèveront à environ 2 fois celles de δ44/42Ca.

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qualifiés d’indépendants de la masse. Cependant, ils sont propres à des effets rares ou d’amplitudes limitées à l’exception de quelques éléments (p.ex. O, S et Hg) et des contextes physico-chimiques particuliers (Dauphas et Schauble 2016). La mesure d’un seul rapport isotopique de l’élément d’intérêt suffit donc pour étudier les fractionnements purement dépendants de la masse.

L’amplitude d’un fractionnement peut être définie par le facteur de fractionnement de la réaction. Le facteur de fractionnement est généralement désigné par le symbole α et est défini ainsi pour une réaction entre des réactifs A et des produits B et pour des rapports de deux isotopes i et j d’un élément X :

αB−A=

(iX/jX)B

(iX/jX) A

(1.3)

Par définition du α et du δ, on peut noter pour un rapport (iX/jX) la relation suivante :

αB−A= δi/jX B+ 1000 δi/jX A+ 1000 (1.4)

Cette relation peut être approximée selon la relation :

1000 ln(αB−A) ≃ δi/jXB− δi/jXA (1.5)

Fractionnements thermodynamiques La plupart des fractionnements thermodynamiques sont causés par la sensibilité des fréquences de vibration des molécules et des phases condensées à l’isotope impliqué dans la liaison. L’énergie d’une liaison entre deux atomes augmente avec la fréquence de vibration, qui elle-même dépend de 1/M où M est la masse atomique de l’isotope impliqué. En conséquence, l’énergie

globale du système est minimisée pour des fréquences de vibration basses et donc pour les isotopes les plus lourds de l’élément considéré. Les liaisons les plus rigides ont donc tendance à concentrer les isotopes les plus lourds, à l’équilibre thermodynamique (Bigeleisen et Mayer 1947,Urey 1947,Schauble 2004).

L’amplitude des fractionnements thermodynamiques est déterminée par un certain nombre de caracté- ristiques.

Les fractionnements isotopiques à l’équilibre décroissent généralement avec la température, et montrent souvent une dépendance en 1/T2. Pour de basses températures, les fractionnements à l’équilibre seront généralement plus marqués.

Les fractionnements isotopiques à l’équilibre augmentent approximativement avec la différence de masse relative entre les isotopes considérés, soit avec ∆m/m2, où ∆m se rapporte à la différence des masses atomiques des deux isotopes lourd et léger, et où m est la masse atomique moyenne de l’élément (Schauble 2004). Ainsi, pour des différences de masse identiques entre les deux isotopes considérés, plus les éléments étudiés sont de masses atomiques moyennes élevées, moins les fractionnements seront marqués. La diffé- rence de masse relative entre les isotopes analysés de l’oxygène (18

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les rapports44Ca/42Ca, elle est de 0.0011, soit environ 6 fois moins. D’après la dépendance en masse des fractionnements thermodynamiques, les rapports 44

Ca/42Ca varieront donc environ 6 fois moins que les

rapports 18O/16O.

A l’équilibre, les isotopes lourds d’un élément sont concentrés dans les substances formant les liaisons les plus rigides. Ces liaisons rigides sont souvent fortes et courtes, retrouvées dans des contextes chimiques, entre autres, où les éléments d’intérêt sont présents sous leur forme la plus oxydée, où les liaisons sont les plus covalentes et où ils présentent des nombres de coordination les plus faibles.

Mg 0 500 1000 1500 2000 0 1 2 3 4

Energie d’ionisation (kJ/mol)

E le ct ron éga ti vi té Ca Fe Cu Zn C N O S 5 10 15 20 eV

Figure 1.12 – Electronégativité en fonction de l’énergie de première ionisation de métaux et de non-métaux. La rigidité d’une liaison peut être approximée par la différence entre les électronégativités ou les énergies de première ionisation des atomes impliqués. Electronegativity as a function of first ioni- zation energy of metals and non-metals. Stiffness of a bond can be roughly assessed by the differences

in electronegativities or first ionization energies of involved elements. (Albarède et al. 2017)

Au premier ordre et particulièrement pour les métaux biologiquement utiles, la rigidité d’une liaison peut être rapportée à la tendance de l’atome liant (C, O, N ou S) à attirer à lui les électrons et à la facilité qu’un métal aura à perdre un électron (Albarède et al. 2017). Elle peut donc être prédite au premier ordre par la différence des électronégativités des deux atomes impliqués ou par les différences d’énergie de première ionisation de ces mêmes atomes (Fig.1.12).

En conséquence, les fractionnements thermodynamiques les plus amples ont le plus de chance d’être observés à basse température, et entre des substances avec des états d’oxydation, des ligands, des confi- gurations électroniques ou des nombres de coordination les plus différents (e.g. Schauble 2004).

Dans les systèmes biologiques, le Ca ne subit pas de changements d’état d’oxydation et établit princi- palement des liaisons ioniques. Cette relative homogénéité des états et interactions chimiques ne favorise

a priori pas les fractionnements à l’équilibre. Bien qu’il existe d’autres causes possibles, les changements

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biologie, bien qu’ils puissent être en partie occultés par des effets isotopiques cinétiques dans les systèmes biologiques (Schauble 2004,Gussone et al. 2005;2006,Moynier et Fujii 2017).

Le lien entre les énergies de liaisons, les fréquences vibrationnelles et les fractionnements isotopiques a été théorisé par Bigeleisen et Mayer dans les années 1940 (Bigeleisen et Mayer 1947), qui ont démontré que les fractionnements isotopiques à l’équilibre peuvent être prédits par la mécanique quantique statistique. Cela a ouvert la voie à la prédiction des amplitudes des fractionnements à l’équilibre, grâce notamment aux calculs ab initio (e.g.Schauble 2004,Blanchard et al. 2017). Bien que la simulation des interactions entre grosses protéines et les isotopes des métaux étudiés reste compliquée aujourd’hui, il existe des méthodes de mécanique quantique, comme la DFT (Density Functional Theory), qui permettent de prédire les amplitudes des fractionnements à l’équilibre entre certains métaux et de plus petites molécules ou certains minéraux courants dans les contextes biologiques (Seo et al. 2007, Domagal-Goldman et Kubicki 2008, Domagal- Goldman et al. 2009,Black et al. 2011,Fujii et Albarède 2012,Fujii et al. 2013;2014,Sherman 2013), et spécifiquement pour le Ca (Rustad et al. 2010,Colla et al. 2013,Moynier et Fujii 2017).

Fractionnements cinétiques Les fractionnements cinétiques désignent au sens large les processus physico-chimiques pour lesquels les réactions inverses sont inexistantes ou limitées. Les vitesses de réaction (comme les ruptures de liaison) et les vitesses de transport physique (comme la diffusion ou l’évaporation) dépendent de la masse de l’atome ou de la molécule. Lorsque le produit d’une telle réaction est isolé du réactif, le fractionnement cinétique est conservé (Schauble 2004, Richter et al. 2009, Eiler et al. 2014,

Watkins et al. 2017). Les fractionnements cinétiques induits par des réactions de ruptures de liaison sont dues à des différences d’énergie d’activation entre isotopes. Les fractionnements cinétiques provoqués par des processus de transport physique peuvent être expliqués par des différences de vitesses de translation ou de diffusion dans une phase condensée. En général, les isotopes légers sont favorisés au cours d’une réaction dominée par des fractionnements cinétiques. Il est probable que ces effets participent aux fractionnements isotopiques induits biologiquement (Gussone et al. 2003) mais cela reste discuté.

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