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PARTIE 3 DISCUSSION

C. Le refus de soins somatiques dans le cadre de la contrainte psychiatrique

La position du médecin face à un refus de soins somatiques de la part d’un patient hospitalisé en soins psychiatriques sans consentement est compliquée. Ce refus est à l’origine de nombreux questionnements, à la fois juridiques, médicaux et éthiques. Il peut être à l’origine d’incompréhensions et de débats au sein de l’équipe soignante. On peut distinguer deux positionnements différents de la part des soignants :

- Certains respectent le refus de soins somatiques du patient, appliquant ainsi strictement la loi qui stipule que les soins sans consentement ne concernent

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que les soins psychiatriques. Ils considèrent que le refus est un droit du patient, et le respectent en vertu du principe d’autonomie. On pourrait interpréter ce positionnement comme une façon de « se débarrasser » de la problématique somatique, comme si le corps et l’esprit étaient déconnectés et dissociés. Ils acceptent le refus du patient, même si celui-ci pourrait à long terme avoir des conséquences négatives. Par exemple, dans le cadre d’une fracture de hanche avec indication de chirurgie, le refus de soins par le patient, bien qu’il ne mette pas directement en jeu le pronostic vital, pourrait entrainer des séquelles fonctionnelles à long terme.

- A l’opposé, certains vont avoir plus de difficultés à accepter le refus de soins du patient et vont prendre à cœur le problème, mettant tout en œuvre pour que le patient accepte les soins, quitte à « forcer un peu » le consentement. Ils considèrent que le refus de soins du patient n’est pas recevable, car, du fait de sa pathologie psychiatrique, il n’est pas en capacité de consentir ou de refuser des soins.

Du point de vue juridique, passer outre le refus de soins du patient serait « hors cadre ». Mais, comme nous l’avons vu, le refus de soins n’implique pas uniquement la loi : il faut aussi prendre en compte les dimensions éthiques et médicales.

Ce conflit de valeurs appelle à un débat éthique, dont la question centrale est celle du rapport bénéfice/risque de la réalisation ou non des soins somatiques en cas de refus du patient. Quels seraient les bénéfices et les risques si l’on contraignait le patient aux soins somatiques, sous prétexte qu’il est hospitalisé en soins psychiatriques sans consentement ? D’autres questionnements apparaissent : une prise en charge curative en urgence est-elle licite, même en cas de refus du patient, sous prétexte que celui-ci n’est pas en capacité de consentir aux soins ? Où se situe la limite entre

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obstination et bienveillance ? Entre disproportion des soins et entêtement louable ? Ou s’arrête la possibilité d’aider quelqu’un qui refuse ? Cette dernière question n’est pas uniquement d’ordre médical, car elle intéresse aussi la société en général. Il n’y a pas de réponse exacte à ce débat. Il nous semble important de garder à l’esprit que le rôle premier du médecin est de « ne pas nuire » et d’agir au mieux, toujours dans l’intérêt du patient. De plus, chaque situation clinique est singulière : il y aura donc autant de débats que de situations.

Par ailleurs, même s’il existe un fondement de l’éthique médicale composé de quatre principes universels non négociables (autonomie, bienveillance, non malfaisance, justice), l’éthique n’est pas universelle. Les solutions qu’elle propose ne s’appliquent pas toujours de la même manière selon les différences de culture, de religion, d’organisation… La réflexion éthique amène le médecin à prendre sa propre décision, la « moins mauvaise possible », à partir des éléments de contexte qui s’imposent à ce moment-là. Il doit s’efforcer de trouver un point d’équilibre entre les droits fondamentaux du sujet, l’évolution des mœurs qui octroie toujours plus de droits aux patients, et la pratique de la médecine, elle aussi régie par de nombreuses règles.

La question du refus de soins somatiques par le patient hospitalisé en soins psychiatriques sans consentement peut être vue comme une invitation à un changement de paradigme. En effet, dans le domaine de la psychiatrie, le fonctionnement est plutôt binaire : il s’agit soit de soins libres, soit de soins sans consentement. Soit le patient accepte les soins, soit il les refuse et alors, s’ils sont indiqués, des soins sans consentement sont mis en place. Ainsi, le fonctionnement de la psychiatrie et des psychiatres eux-mêmes peut parfois paraitre un peu rigide, avec une position paternaliste plus importante que dans les autres spécialités. En pratique,

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en psychiatrie, on demande toujours au patient s’il est d’accord ou pas avec les soins proposés. S’il ne consent pas aux soins et que son état nécessite une prise en charge, il est possible de mettre en place des soins psychiatriques sans consentement. Le cadre juridique des SSC est un cadre rassurant, que l’on peut considérer comme une « roue de secours » au cas où le patient refuserait les soins. A l’opposé, en médecine somatique, le mode de fonctionnement n’est pas binaire. Il est plus nuancé et le modèle autonomiste semble être plus développé. Les patients semblent avoir plus de marges de décision et la position médicale est plus distanciée, moins tranchée. Le recours à la contrainte n’existe pas ; les soignants doivent donc tout mettre en œuvre pour convaincre le patient d’accepter les soins : il faut le rassurer et l’informer du mieux possible.

Quand se pose la question des soins somatiques chez un patient hospitalisé en psychiatrie, les soignants ont tendance à agir sur le même mode de fonctionnement que pour les soins psychiatriques : ils recherchent si le patient consent ou non aux soins. La différence est qu’en cas de refus de soins de la part du patient, les soignants ne peuvent pas se reposer sur le cadre des SSC, car ces derniers ne sont valables que pour les soins psychiatriques. En psychiatrie, la symptomatologie productive, et notamment le délire, coupe net le débat : si le patient refuse les soins psychiatriques, on utilise les SSC. En raison de leur culture et de leur pratique, les psychiatres sont donc habitués à pouvoir se passer de l’accord du patient. Cependant, dans le cadre du refus de soins somatiques, on ne peut avoir recours aux SSC. Il faut donc créer une alliance avec le patient. Il faut chercher à comprendre le refus et ses causes, afin de tenter de le résoudre.

Le refus de soins somatique de la part d’un patient hospitalisé en SSC confronte ainsi les psychiatres aux enjeux que vivent les somaticiens au quotidien. Comment peut-

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on, dans la contrainte psychiatrique, continuer à avoir la pensée médicale des somaticiens qui eux ne sont pas dans la contrainte ?

En cas de décision de passer outre le refus de soins somatiques du patient, la question du choix de la structure d’hospitalisation la plus adaptée se pose. En effet, lorsque pathologies psychiatriques et somatiques s’intriquent, il faut s’interroger sur le lieu de soins. Les services de psychiatrie ne semblent pas être les plus adaptés pour les prises en charge somatiques lourdes. Ceci se justifie par l’absence de moyens humains et techniques en cas d’aggravation de la pathologie somatique : personnel médical et paramédical peu habitués aux gestes d’urgence, manque de formation des psychiatres aux soins somatiques, pas d’oxygène dans les locaux, accès aux examens paracliniques plus difficile… Cependant, les services de soins somatiques sont souvent réticents à accueillir des patients souffrants de pathologies psychiatriques décompensées, du fait du manque de moyens humains et de leur moins bonne connaissance des pathologies et des traitements psychiatriques. Ils peuvent aussi craindre un passage à l’acte ou une agitation du patient. Ces éléments, bien qu’ils soient justifiés, participent à la stigmatisation et à la difficulté d’accès aux soins somatiques des patients souffrants de troubles psychiatriques.