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Le refus du salarié : une cause réelle et sérieuse de licenciement

PARTIE II. LA PROMOTION D'UNE POLITIQUE CONTRACTUELLE INNOVANTE POUR LES

Section 1. Le forçage collectif du contrat de travail

A. Le refus du salarié : une cause réelle et sérieuse de licenciement

À l’image des anciens dispositifs, le refus du salarié de se voir appliquer les APC permet à l’employeur de le licencier sur un motif préconstitué par le législateur. Concernant les AME et AMI, ledit refus permettait de licencier le salarié « sur un motif économique, […] prononcé

selon les modalités d'un licenciement individuel pour motif économique et ouvr[ait] droit aux mesures d'accompagnement que doit prévoir l'accord » 501, de reclassement également dans le cadre des AMI502. Concernant, les anciens APDE, et, désormais les APC, le texte fait état d’un « motif spécifique qui constitue une cause réelle et sérieuse »503. Il ne pouvait en être autrement, dès lors que les APDE, à la suite desquels les APC, peuvent être conclus en dehors de toute difficulté économique.

Si le motif n’est pas qualifié d’économique par les textes, certaines des dispositions applicables en cas de licenciement économique individuel l’étaient dans le cadre d’un refus opposé à l’égard d’un APDE. Cela était étrange à deux titres : tout d’abord, parce que ledit type d’accord peut être conclu en l’absence de difficulté économique de l’employeur et, ensuite, dès lors qu’il est indiqué que le refus constitue une cause réelle et sérieuse de licenciement, ne suffisait-il pas de s’en tenir aux dispositions classiques entourant le licenciement pour motif personnel? Cela aurait également pu poser problème dans la mesure où le motif est, à juste titre qualifié de « spécifique » par l’article L. 2254-2 du Code du travail : en l’absence de difficulté économique

499 Cass. soc., 10 déc. 1996, 94-40.300. 500 Art. L. 2254-2,V du C. trav.

501 Art. L. 5125-2, al. 2 du C. trav, abrogé par ord. n° 2017-1385, 22 septembre 2017, relative au renforcement de

la négociation collective, art. 3, JORF n°0223 du 23 septembre 2017, texte n°29 – Art. L. 2242-19, al. 4 du C. trav, rédaction issue de L. n° 2015-994, 17 août 2015, relative au dialogue social et à l'emploi, JORF n°0189 du 18 août 2015, texte n°3.

502 Art. L. 2242-19, al. 4 du C. trav, rédaction issue de L. n° 2015-994, 17 août 2015, relative au dialogue social et

à l'emploi, JORF n°0189 du 18 août 2015, texte n°3.

100 il ne peut être de nature économique et, en prenant considération du principe s’appliquant habituellement quant à une modification du contrat de travail, il ne peut non plus être qualifié de personnel ; un simple renvoi, et non une assimilation ou comparaison avec le licenciement pour motif personnel, aurait néanmoins pu être envisagé.

Cet ajustement du régime du licenciement reposant sur un motif spécifique, et constituant une cause réelle et sérieuse, a été entrepris avec l’ordonnance n°2017-1385504 qui supprime le renvoi

aux articles L. 1233-11 à L. 1233-15 du Code du travail, relatifs à l’entretien préalable dans le cadre d’un licenciement pour motif économique et les remplace par un renvoi aux articles L. 1232-1 à L. 1232-11 dudit Code, concernant les mêmes problématiques mais dans le cadre d’un licenciement pour motif personnel. Cela semble plus à propos  bien que pas parfaitement adéquat à la situation du salarié qui refuse une modification de son contrat de travail, d’autant plus que le renvoi aux dispositions applicables en cas de licenciement économique n’étaient pas celles apportant des garanties spéciales : comme M. Dirk Baugard et Mme. Laurène Gratton l’ont souligné à propos du renvoi auxdites dispositions, dans la version de l’article L. 2254-2 issue de la loi n°2016-1088505, « seraient ainsi évincées les dispositions relatives à la

consultation des représentants du personnel, y compris celles qui sont applicables dans les licenciements collectifs de moins de dix personnes sur une même période de trente jours »506. Force est de constater, en effet, que les dispositions auxquelles il est renvoyé sont les garanties les plus basiques en question de licenciement. L’ordonnance maintient les dispositions L. 1234- 19 et L. 1234-20 du Code du travail imposant respectivement, la remise d’un certificat de travail au salarié et d’un solde tout compte et ajoute. Est également maintenu le renvoi aux dispositions relatives au préavis et à l’indemnité compensatrice de préavis ainsi qu’à l’indemnité de licenciement. En revanche, le législateur écarte, ce qui n’était pas le cas à l’occasion des APDE, les dispositions L. 1234-12 du Code du travail permettant à l’employeur, en cas de force majeure, de se libérer de « l'obligation de respecter le préavis et de verser l'indemnité de

licenciement », En cela, l’ordonnance apporte une garantie spéciale au salarié licencié suite à

son refus de se voir appliquer un APC.

M. Jean-Emmanuel Ray a affirmé qu’ « à défaut de faire plier le contrat, on fait plier

le salarié »507, et c’est en effet ce qui se dégage du choix du législateur de faire du refus du

504 Ord. n° 2017-1385, 22 septembre 2017, relative au renforcement de la négociation collective, art. 3, JORF

n°0223 du 23 septembre 2017, texte n° 29.

505 L. n° 2016-1088, 8 août 2016, relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des

parcours professionnels, art. 22, JORF n°0184 du 9 août 2016, texte n°3.

506 BAUGARD D., GRATTON L., « Les accords de préservation ou de développement de l'emploi : premier

regard conventionnel et constitutionnel », Dr. soc. 2016. 745, pt. 16.

101 salarié un motif préconstitué de licenciement là où, habituellement, le refus de voir modifier n’est pas considéré, en soi, comme une cause réelle et sérieuse : le juge pouvant alors opérer, le contrôle du caractère réel et sérieux du motif de licenciement. Si cela offre beaucoup moins de prévisibilité pour l’employeur que les anciens dispositifs et le régime unique des APC, concernant le coût éventuel des licenciements suivants le refus de salariés de se soumettre à de nouvelles modalités de travail, cela permettait au salarié, au moins en théorie, de pouvoir refuser sans se faire systématiquement licencié suite à son refus : précisément parce que le refus ne constitue pas en soi une cause réelle et sérieuse de licenciement, et, donc, que la réalité et le sérieux du licenciement, au regard notamment de l’effort demandé et de la situation de l’entreprise, constituent des données plus aléatoires. Néanmoins, ce raisonnement a certainement perdu de la valeur avec le barème des indemnités dues en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse508, issu de l’ordonnance n°2017-1387509 qui prévoit des indemnités plafonnées510 selon que l’entreprise compte plus ou moins de onze salariés ; et ce d’autant plus avec la modification de l’article L. 1235-2 du Code du travail qui dispose désormais que l’employeur a un droit de précision de la lettre de licenciement, soit à la demande du salarié soit de sa propre initiative. Un motif mal rédigé dans le cadre d’un licenciement faisant suite au refus d’une simple proposition de modification d’un contrat de travail pourra donc, a priori, être d’autant mieux rattrapé.

Il ressort de l’ensemble de ces observations que si en théorie le droit au maintien des contrats légalement conclu est respecté, en pratique, pour le salarié cela est moins évident.