• Aucun résultat trouvé

Une majorité trompeuse

PARTIE II. LA PROMOTION D'UNE POLITIQUE CONTRACTUELLE INNOVANTE POUR LES

Section 1. L’importance accrue de la représentativité syndicale et de la légitimité des

B. Une majorité trompeuse

Avec la loi n°2016-1088710, le taux de suffrages exprimés aux dernières élections professionnelles exigé pour la validité d’une convention d’entreprise est, certes, passé de 30 à 50% mais il ne s’agit pas d’une augmentation franche de 20%.

Tout d’abord il est à relever que les « seuils […] sont toujours appréciés par rapport aux

suffrages exprimés et non par rapport aux électeurs inscrits. Compte tenu du taux d'abstention aux élections professionnelles dans l'entreprise et, plus encore, aux élections de représentativité dans les entreprises de moins de 11 salariés, cela facilite grandement le franchissement des seuils »711. Par ailleurs le taux n’est pas calculé de la même manière que

l’était celui de 30% : tandis que le taux de 30% s’appréciait sur l’ensemble des suffrages exprimés au premier tour des dernières élections professionnelles, celui de 50% s’apprécie sur les seuls suffrages exprimés en faveur d’OSR. Cela réduit l’assiette de calcul ; or, plus l’assiette est réduite plus il est aisé d’atteindre un tel pourcentage.

Par ailleurs, cela est également révélateur de la place octroyée aux OSR. La représentativité de ces dernières est une condition de leur capacité à conclure des conventions, mais avec ce calcul on exclut totalement la prise en considération des organisations non représentatives mais qui ont pu toutefois obtenir des voix aux élections professionnelles sans atteindre le taux d’audience

709 AUZERO G., op. cit. n°707, I B).

710 L. n° 2016-1088, 8 août 2016, relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des

parcours professionnels, art. 21, JORF n°0184 du 9 août 2016, texte n°3.

144 de 10%. On augmente ainsi la prise en considération positive  auparavant une opposition de 50% pouvait empêcher la conclusion d’une convention  de la volonté salariée tout en réduisant le champ de celle-ci aux seules voix en faveur d’organisations représentatives : « les seuils

précités sont […] appréciés à l'aune des seuls suffrages exprimés en faveur des organisations syndicales reconnues représentatives. On comprend ainsi que les voix qui se sont portées sur des syndicats qui, au final, n'ont pas franchi le seuil leur permettant d'acquérir la représentativité ne sont pas prises en compte. […]C'est […] par là même admettre que les aspirations de ces salariés ne seront, en aucune façon, prises en compte»712. Ainsi, selon Mme

Cécile Nicod, le caractère majoritaire est insuffisant car il s’agit d’une fausse majorité : « le

choix d'une majorité tronquée, ne reposant que sur une partie des suffrages exprimés, marque la crainte d'une trop grande difficulté à conclure les accords. Et quand bien même la majorité serait celle de l'ensemble des suffrages exprimés, reste la question de savoir de quelles collectivités de travailleurs elle en est l'expression »713.

De plus, si un taux de 50% est désormais exigé pour la validité de la convention d’entreprise, est instauré en parallèle un mécanisme de sauvetage de la convention qui ne l’a pas atteint714. Un plancher de 30% est exigé pour que cette dernière soit éligible à être sauvée ; toutefois il est à noter que ce taux est calculé de la même manière que celui de 50%, c’est-à- dire à partir des suffrages exprimés en faveur des organisations syndicales représentatives au premier tour des dernières élections professionnelles. Or, il est frappant que, puisqu’il est en principe plus simple d’obtenir un taux élevé grâce à cette base de calcul plutôt que l’ensemble des suffrages exprimés, cela signifie que vont pouvoir éventuellement être sauvés des accords qui, sous l’empire de la loi antérieure, n’aurait même pas recueilli le taux de 30%.

Ledit mécanisme de sauvetage a essuyé plusieurs critiques, notamment parce qu’il apparaît venir attaquer la crédibilité des organisations syndicales de salariés qui est mise en avant par le mécanisme de la convention majoritaire. Les organisations syndicales ont exprimé leur position vis-à-vis de la norme conventionnelle en cause en ne lui permettant pas de recueillir un taux de 50% de suffrages exprimés en faveur d’organisations représentatives au premier tour des dernières élections professionnelles et pourtant celle-ci va être concurrencée, de surcroît directement par les électeurs desdites organisations et dont le vote servait de fondement à la légitimité de ces dernières. C’est ce que dénonce par exemple M. Jean-Emmanuel Ray en affirmant que l’alternative au taux de 50%, constitué par la consultation des salariés est

712 AUZERO, G., « La légitimité intrinsèque de l'accord collectif et la règle majoritaire », Dr. soc. 2018, p. 154, I

B).

713 NICOD, C., « Conventions de branche et d'entreprise : une nouvelle partition », RDT 2017, p. 657, II B). 714 Art. L. 2232-12, al. 2 à 7 du C. trav.

145 contestable puisque les « éventuels opposants ont par définition obtenu au minimum 50 % des

suffrages exprimés »715. Si, selon M. Franck Petit, « le référendum issu de la loi El Khomri n'a

pas été conçu comme une menace à l'égard des syndicats, ni même comme une négation du syndicalisme » 716 dans la mesure où « son déclenchement devait rester entre les mains des

partenaires sociaux, qui peuvent demander son organisation dans le délai d'un mois à compter de la signature de l'accord ; suffisamment long, ce délai est propice à la réflexion et protège la collectivité de travail des décisions prises à la légère ou dans l'urgence »717, il est possible de

réfuter cela, en partie, aujourd’hui. En effet, s’il existe toujours le délai d’un mois, préalable à l’organisation d’une éventuelle consultation des salariés et permettant aux OSR de finalement se décider à signer la convention d’entreprise, l’ordonnance n°2017-1385718 a ouvert l’initiative de l’organisation de ladite consultation des salariés à l’employeur « en l'absence d'opposition

de l'ensemble de ces organisations »719. Ainsi, si l’intervention de l’employeur « est donc d'ordre subsidiaire et ne peut être bloquée qu'en raison d'une opposition unanime des organisations représentatives […] [l]'opposition d'une seule organisation n'est pas suffisante pour faire obstacle au référendum »720 ; on peut ainsi considérer que la maîtrise de la validité, et donc de la conclusion des conventions d’entreprise, échappe un plus encore aux organisations syndicales.

Il s’agit, en parallèle à la légitimation des partenaires sociaux et de la convention collective, de s’intéresser au processus qui précède la conclusion, ou l’abandon, de la convention collective.