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THÉORIE ET PRATIQUE DE LA RÉÉCRITURE

CHAPITRE 1 REFLEXION THEORIQUE

Les théories littéraires du XXe siècle se démarquent de celles du romantisme mais en ont hérité la dimension descriptive, non normative de la réflexion sur la littérature. Plurielles, elles se caractérisent cependant par la mise en doute des vérités universelles et éternelles : les hypothèses défendues par la critique du siècle passé avouent bien souvent leur dimension relative et provisoire. Le cheminement que nous allons suivre en étudiant les processus de réécriture nous permettra de faire le lien entre les deux tendances principales des théories qui ont dominé la réflexion sur la littérature au cours du XXe siècle : le point de vue intrinsèque, se cantonnant au texte (c’est le cas des théories linguistiques, stylistiques, formalistes, structuralistes, etc.) et le point de vue extrinsèque, faisant appel à des facteurs extra-textuels (la sociologie de la littérature, la psychanalyse, la phénoménologie, et les théories de la réception).

En effet, c’est à partir de l’examen interne d’un objet défini (la figure de la répétition appliquée à un « déjà-écrit »), que nous serons amenée à considérer le texte non pas seulement comme un objet ponctuel, qui peut donc être envisagé comme clos, mais comme un objet mouvant, dont nous apercevons l’évolution à travers ses différentes éditions. En s’inscrivant dans la durée, l’objet texte devient alors un objet qui tout à la fois s’inscrit dans l’histoire et se dote d’une histoire. Cette histoire « interne » de l’objet textuel nous permettra, d’abord, de considérer le texte (constitué de toutes ses variantes publiées) comme une totalité, puis nous ouvrira à un contexte de production, ou de co-production (dans le cas de la réécriture allographe) propre à un environnement socio-culturel ; enfin, les conditions de sa recomposition au cours du temps (les suppressions, ajouts, modifications qu’il subira), nous orienteront vers la perspective de sa réception.

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I. Introduction à la réécriture : pertinence de la notion

dans l'étude de l’œuvre de José Emilio Pacheco

1. La réécriture comme pratique, notion et catégorie esthétique

La principale difficulté, lorsque l'on se penche sur la question de la réécriture, est d'ordre épistémologique. Terme qui englobe tour à tour une pratique et une notion67, la réécriture a pourtant été délaissée par les études littéraires qui ne voyaient que les limitations scientifiques d'un terme considéré comme mal défini et, surtout, trop hypéronymique. Preuve en est qu’à ce jour, nous n'avons trouvé qu'un seul dictionnaire spécialisé (dictionnaire de littérature) qui propose une entrée pour ce terme68. L'article, très complet, souligne l'importance de la réécriture, qui y est décrite comme « une pratique constante de la création littéraire et, plus généralement, culturelle », en même temps qu'il nous met en garde : « le flou théorique qui entoure la notion de réécriture n'a pas permis qu'elle se constitue en catégorie critique opératoire69. »

Pourquoi prendre le risque d’étudier l’œuvre de José Emilio Pacheco à travers le prisme de

la réécriture ? Pourquoi ne pas se centrer, par exemple, sur la proche notion d'intertextualité qui, malgré les lectures nombreuses et divergentes dont elle a fait l'objet, continue de jouir d'une aura critique certaine ? Que gagne-t-on avec la réécriture ? Qu'est-ce qu'elle a que les autres n'ont pas ? Pourquoi nous semble-t-elle une porte d'entrée pertinente à l'étude de notre corpus ? C'est à ces questions que nous allons tenter d'apporter une réponse dans cette première partie de notre réflexion.

La réécriture est avant tout une pratique : c'est ce que nous indique l'entrée du dictionnaire correspondant à ce terme, qui se trouve placé dans l'article relatif au verbe « récrire, réécrire ». La réécriture y est définie brièvement comme « action, fait de réécrire ». Il nous faut donc considérer ce terme premièrement comme une opération faite par un agent, avant de le penser comme le résultat de cette opération. Qu'est-ce-que réécrire ? Si nous nous en tenons aux acceptions

67 Pour nous, la réécriture ne peut pas (encore ?) être érigée au rang de concept (en tant que représentation abstraite, objective et stable) : sa double condition de pratique et de résultat de cette pratique, sa polysémie, la diversité des objets qu’elle concerne, sont autant d’obstacles à sa conceptualisation, mais nous chercherons, au cours de ce chapitre, à en donner une définition plus stable.

68 Il s'agit du Dictionnaire du littéraire, dirigé par Paul Aron, Denis Saint-Jacques et Alain Viala (Paris, Quadrige/PUF, 2002). Nous avons révisé, entre autres : Le dictionnaire des notions et genres littéraires, Paris, Encyclopaedia Universalis/Albin Michel, 2001 ; Béatrice Didier (dir.), Dictionnaire universel des littératures, Paris, PUF, 2000 ; Joëlle Gardes-Tamine et Marie-Claude Hubert, Dictionnaire de critique littéraire (2e éd.), Paris, Armand Colin, 2002 ; Hendrik van Gorp, Dirk Delabatista, Lieven D'Hulst [et al.], Dictionnaire des termes littéraires, Paris, H. Champion, 2005 ; Michel Jarrety (dir.), Lexique des termes littéraires, Paris, Librairie générale française, 2001.

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présentées le plus communément dans les dictionnaires, réécrire est, avant tout, une action de répétition (portée par le terme lui-même au niveau du préfixe itératif) : l'opération en question peut mettre l'emphase sur l'écrit : « donner une nouvelle version d'un texte déjà écrit », sur le destinataire : « écrire une nouvelle fois (une deuxième, une troisième... fois) un texte à quelqu'un ». Mais elle peut également, au sens figuré, laisser de côté la dimension scripturale, pour devenir répétition d'un hors-texte. C'est ainsi que réécrire (l'histoire, sa vie) revient à « réinventer, donner une nouvelle vision de quelque chose ». Dans ce dernier cas, la recréation donne la part belle à l'invention et à l'imaginaire : on réécrit l'histoire comme on refait le monde.

Les trois variables mises en avant dans la définition générale de l'action de réécrire (la textualité, le destinataire, l'invention), sont présentes simultanément, mais à des degrés divers, dans toute opération de réécriture. Notre étude de l’œuvre pachéquienne nous mènera tout

naturellement à traiter les questions du destinataire (lecteur) et de l'invention (création). Cependant, la seule condition véritablement nécessaire et suffisante à l'heure de délimiter le type d'opération que nous allons étudier sera l'existence d'un texte antérieur à la fois source et objet du travail de réécriture.

Nous laisserons donc de côté la réécriture au sens figuré, c'est-à-dire la réécriture qui n'est pas stricto sensu re-écriture, texte à partir d'un texte. Même si pour beaucoup de critiques, les échos, les emprunts d'idées ou de formulations entrent dans les pratiques de réécriture, dans cette étude, la récurrence de motifs littéraires (éléments thématiques ou narratifs), celle de thèmes, ou d'idées, ne sera pas prise en compte. La pratique de la réécriture qui nous intéresse est celle de la reprise de textes, en tant qu'ensemble de signes linguistiques déjà fixés par l'écriture.

Dans le champ de la littérature, la réécriture est définie ainsi :

La réécriture est l'action par laquelle un auteur écrit une nouvelle version d'un de ses textes, et, par métonymie, cette version elle-même. Mais la réécriture désigne aussi de façon générale, et plus vague, plus

instable, toute reprise d'une œuvre antérieure, quelle qu'elle soit, par un texte qui l'imite, la transforme, s'y

réfère, explicitement ou implicitement (dans ce cas, certains critiques proposent d'employer le terme de « récriture » pour spécifier un usage de création littéraire par retravail d'un énoncé masqué)70.

Cette définition fait apparaître deux types de réécriture, en fonction de l'objet réécrit. Le premier, aisément reconnaissable, est celui de la réécriture autographe : il y a identité entre l'auteur du texte « originel » et celui du texte réécrit. La réécriture se présente ici pour l'auteur comme un retour sur sa propre production textuelle, qui aurait pour finalité — nous pouvons l'imaginer — la correction, l'amélioration, et/ou l'actualisation du texte premier.

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Le second type de réécriture est celui de la réécriture allographe : le texte repris est extérieur

à l’œuvre de l'auteur réécrivant. Celui-ci se présente d'abord comme lecteur, avant de se constituer

comme scripteur. L'intention qui l'anime au moment de reprendre le texte d'un autre est plus difficilement identifiable et les procédés de reprise peuvent être extrêmement variés, d'où le caractère « plus vague, plus instable » de ce second type de pratique.

Le caractère duel — voire « bicéphale » — de la réécriture et l'apparent « flou théorique » qui entoure cette pratique constituent, à première vue, des obstacles à l’heure de proposer une définition stable de la réécriture. Cependant, nous allons voir que ces deux caractéristiques peuvent jouer en notre faveur lorsqu'il s'agit de s'atteler à l'étude de l’œuvre de Pacheco. En effet, cet auteur

a fait de la réécriture un axe central de sa production littéraire, non pas seulement en l’employant comme recours technique, mais en l’érigeant en véritable revendication poétique. Chez Pacheco, les textes sont perpétuellement soumis à relecture, constamment remis en circulation. Et cette dynamique de retour, de répétition modifiante, Pacheco l’insuffle aussi bien à sa propre production textuelle qu’à celle d'autrui. Défenseur de l’anonymat en littérature, Pacheco est convaincu que les auteurs doivent s’effacer devant leurs textes : la division proposée par la critique entre réécriture de soi et réécriture des autres n’aurait donc pas lieu d’être dans l’idéal littéraire pachéquien.

Quant aux multiples facettes que peut présenter la réécriture, par la grande diversité des formes et intentions qu’elle recouvre, nous ne les considérons pas sources de « flou théorique » mais au contraire nous y voyons l’expression de la malléabilité d’une notion apte à réunir des pratiques diverses qui s’articulent toutes autour d’une dialectique du même et de l’autre. Afin que cette notion soit opérationnelle au niveau de l’analyse, nous procéderons « artificiellement » à la délimitation de critères (déjà suggérés dans la définition citée plus haut) qui nous aideront à repérer et à étudier les multiples opérations de réécritures.

Loin de s'exclure, les deux versants de la réécriture (autographe et allographe) sont complémentaires. Ils se fondent en une seule proposition esthétique — complexe, certes — mais parfaitement cohérente, qu'il serait réducteur de chercher à fragmenter. Pour des raisons méthodologiques, ils seront analysés séparément ; mais notre travail se donne pour tâche d'articuler l'analyse de ces deux pratiques de façon à ce qu'elles rendent compte au mieux de ce qui nous semble être l'une des caractéristiques majeures de l’œuvre de Pacheco : la reprise du texte dans le texte et, par là, la lecture érigée comme source de création.

Car la réécriture, entendue non plus comme une pratique mais comme une notion, une construction de l’esprit, nous invite à une pensée nouvelle de la littérature. Présente comme activité littéraire depuis toujours, la notion de réécriture a voix au chapitre à partir du XXe siècle (notamment grâce aux récits et essais de Jorge Luis Borges) et devient l’une des expressions de l’idée selon

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laquelle « la littérature [est] non pas l'expression (du sujet) ou représentation (du monde) mais pratique transformatrice d'un matériau, le déjà-dit71 ». La reprise d’un texte est désormais revendiquée et érigée en principe de création littéraire, au même titre que l’avaient été l’inspiration ou l’originalité au siècle précédent. Désormais, le texte est considéré comme un espace de résonance où viennent s’entrecroiser divers discours et, parmi ceux-ci, les textes littéraires qui l’ont précédé. La notion de réécriture implique donc une conception sociale de la production littéraire : celle-ci ne peut exister à partir du seul individu écrivant, ni ne peut être envisagée isolément, coupée du reste de la sphère littéraire.

La réécriture est donc une notion qui déplace l’écriture : d’une activité profondément solitaire, elle en fait un exercice collectif. Cette caractéristique de la réécriture, qui est assez aisément concevable dans le cas de la réécriture allographe, peut aussi être perçue dans la réécriture autographe : Pacheco ne propose-t-il pas de voir dans ce processus une « collaboration entre un écrivain précoce et un autre, plus tardif, qui ne cesse d’apprendre le métier72 » ? Les textes des autres peuvent être le point de départ d’un récit ou d’un poème, les auteurs admirés ont à notre égard un regard bienveillant et nous aident73. Voilà les implications « sociales » de la réécriture, et qui en font une notion particulièrement adaptée pour rendre compte des préoccupations de notre auteur.

Enfin, la notion de réécriture soulève une autre question, absolument essentielle lorsque l’on s’intéresse à l’œuvre de Pacheco : la question du temps et de l’historicité de l’écrit. Parce qu’elle arrive après le texte qu’elle reprend, la réécriture instaure une séquence et met ainsi en avant la variable temporelle au sein de l’œuvre d’un auteur ou entre différents écrivains. Bernard Beugnot affirme que « la réécriture répond au besoin de réintroduire le temps et l'histoire dans la forclusion du texte, mais se cherche un statut critique à l'ombre de la théorie74 ». Il me semble qu’en ne considérant la réécriture que comme la réponse à un besoin (celui de faire face à une « caducité » de l’écrit, « caducité » susceptible de mener le texte à sa déchéance), Beugnot élude l’un des principaux enjeux de la réécriture : non seulement elle fait apparaître le temps du texte, mais elle le revendique, et se pose clairement et activement contre le fameux adage verba volant, scripta manent. La réécriture propose, implicitement, de corriger, supprimer, ajouter, commenter, parodier, etc., l’écrit : elle porte atteinte à son intégrité textuelle. Elle le transforme et en fait un objet intrinsèquement historique : parce qu’elle lui fait subir, par la relecture et la remise en circulation,

71 Claudette Oriol-Boyer, op. cit., p. 9.

72 José Emilio Pacheco, « Nota: la historia interminable », La sangre de Medusa y otros cuentos marginales, op. cit., p. 10. Nous traduisons.

73 « They look on and help » : c’est avec cette citation de D. H. Lawrence que Pacheco ouvre son poème « D. H. Lawrence y los poetas muertos » (ToT, p. 151).

74 Bernard Beugnot, « La réécriture : entre histoire et théorie », dans Lise Gauvain (comp.), Jean Giraudoux. L'écriture palimpseste : actes du colloque de la Société internationale des études giralduciennes, Montréal, 25-29 septembre 1995, Département des études françaises de l’Université de Montréal, 1997, p. 278.

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une « cure de rajeunissement », elle rend explicite le fait que lui aussi est soumis au « vieillissement ». Sans manifeste, sans appui théorique explicite, de par sa seule existence, la réécriture récuse une conception close, figée et univoque du texte.

Lié constitutivement à l'écriture (le texte, c'est ce qui est écrit), peut-être parce que le dessin même des lettres, bien qu'il reste linéaire, suggère plus que la parole, l'entrelacs d'un tissu (étymologiquement, « texte » veut dire « tissu ») il est, dans l’œuvre, ce qui suscite la garantie de la chose écrite, dont il rassemble les fonctions de sauvegarde : d'une part, la stabilité, la permanence de l'inscription, destinée à corriger la fragilité et l'imprécision de la mémoire ; et d'autre part la légalité de la lettre, trace irrécusable, indélébile, pense-t-on, du sens que l'auteur de l’œuvre y a intentionnellement déposé ; le texte est une arme contre le temps, l'oubli, et contre les roueries de la parole, qui, si facilement, se reprend, s'altère, se renie75.

Le texte est envisagé ici par Barthes comme le garant de la stabilité, de la permanence, de la légalité de la lettre. C’est cette apparente pérennité de la parole écrite que la réécriture met à mal. Apparente, oui, car comme l’indique Barthes en modalisant son discours avec un « pense-t-on », la fixité du texte « en surface » n'implique aucunement son univocité ‒ y a-t-il une intentionnalité du texte ? ‒, ni d'ailleurs, son immutabilité, remise en cause par les différentes lectures et réceptions dont il est l'objet.

Nous reviendrons sur ces questions tout au long de notre étude. Pour le moment, contentons-nous de remarquer que la réécriture est une notion qui, paradoxalement, semble s’appuyer sur le caractère durable et stable de l'écrit afin de remettre le texte en mouvement, lui insufflant de nouvelles possibilités sémantiques et poétiques. Écrivain du transitoire, Pacheco ne cesse d'affirmer que l'essence de toute chose n'est en fait que le passage : le travail de la réécriture

qui transparaît tout au long de son œuvre est un moyen d’expression et de revendication de cette

conviction profonde.

Henri Béhar pose la réécriture non seulement comme une pratique ou un concept, mais également comme une catégorie esthétique76. Cette affirmation nous paraît particulièrement intéressante : en effet, le réécrit ne pourrait-il pas constituer, aux côtés de notions aussi diverses que le tragique, le gracieux, l’humour, etc., une catégorie esthétique, en tant que modification du beau ? Le réécrit, au XXe siècle, se manifeste de diverses manières, mais toujours plus évidentes, revendiquées, et participe ainsi de l’expression de nouveaux goûts, de nouvelles sensibilités artistiques. Car la réécriture, si elle est entendue dans son acception la plus large (et non seulement comme répétition de l’écrit), se déploie au XXe siècle dans tous les domaines des arts et cette extension de son rayonnement s’opère de manière particulièrement affirmée, voire programmatique, dans celui des arts visuels. Sur ce point, il nous faut préciser que la « réécriture

75 Roland Barthes, « Texte (théorie du) », Encyclopaedia Universalis, s. v. TEXTE.

76 Il commence son article « La réécriture comme poétique − ou le même et l'autre », en établissant que la réécriture « désigne à la fois une pratique, un concept et une catégorie esthétique » (dans Romanic Review, 1981, vol. 72, n°1, p. 51).

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picturale » qui nous intéresse ne concerne pas le retour de thèmes ou de motifs, abordés de manière différentes selon les styles (propres aux artistes) ou aux courants (propres aux époques et cultures). Le type de réécriture dont nous constatons l’émergence et le développement tout au long du siècle

dernier a toujours pour objet une œuvre déterminée. Un tableau, un texte littéraire, une pièce

musicale, par exemple, fixés par des coordonnées précises : auteur (même si celui-ci est « Anonyme »), date et lieu d’exécution (même si ceux-ci sont approximatifs). La reprise d’œuvres

déjà existantes (et leur détournement) a ainsi été mis en pratique et théorisé par les artistes liés au

pop art et aux ready-made : le tableau L.H.O.O.Q. (1919), où Marcel Duchamp re-présente la Mona Lisa, en l’affublant d’une fine moustache, d’un bouc, et du fameux acronyme, en est sans doute l’une des expressions les plus percutantes. Dans le domaine espagnol, les travaux du groupe Equipo Crónica, s’attachent à la fin des années soixante, à reprendre et subvertir de manière à la fois ludique et critique les grands chefs-d’œuvres de la peinture espagnole, qu’ils soient de Velázquez, Goya ou Picasso. Plus récemment, nous pouvons penser aux travaux de l’artiste de rue britannique Banksy, qui reposent, bien souvent, sur la subversion de l’œuvre d’art (en particulier par sa reproduction et éventuellement sa modification au sein du musée ou par sa reproduction, son déplacement et son intégration à un environnement urbain). Ces œuvres ont pour fondement le principe

d’intertextualité (au sens large) mais s’en distinguent en ajoutant à celui-ci l’art du détournement77. Dans le domaine de la littérature, les pratiques de réécriture observables chez divers auteurs du XXe siècle débordent l’imitation didactique, le pastiche ludique (et parfois critique) et font un usage revendiqué de la citation (de l’autocitation parfois) et du dialogue entre les textes. En France, les expérimentations esthétiques du Nouveau Roman offrent un terrain privilégié à la manipulation ré-scripturale, comme l’a montré Anne-Claire Gignoux78. Dans le champ de la poésie hispano-américaine contemporaine, nous pouvons citer le travail sur la langue et sur la tradition pratiqué par Juan Gelman. Dans le cas du poète argentin, c’est la douleur de la mort et de l’exil (la dictature de Videla a fait « disparaître » son fils et sa belle-fille enceinte) qui semble motive un retour aux racines de la langue, par la réécriture des mystiques espagnols (Santa Teresa, et San Juan notamment) dans Citas y comentarios (1982). Dans Dibaxu (1994), Gelman compose vingt-neuf

77 Lilvia Soto-Duggan nous aide à compléter cette réflexion avec un commentaire qui invite à comprendre

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