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intertextualité par Todorov) et la conception sociale du langage littéraire

Le travail de Mikhaïl Bakhtine, mis à l’honneur par les études structuralistes, a fourni aux sciences humaines une réflexion complexe et novatrice. Dans le cadre de cette thèse, nous nous intéresserons plus particulièrement à ses écrits sur le dialogisme. Ce concept trouve sa source à la croisée de trois grandes disciplines : la littérature, bien sûr, mais également la linguistique et la sociologie. Au début, c’est surtout pour son travail de critique littéraire que l’on s’intéressa à Bakhtine : ses ouvrages sur Dostoïevski et Rabelais, notamment, contribuèrent à en faire un historien et un théoricien de la littérature, même si ses premières orientations étaient surtout philosophiques. En France, l’intérêt des structuralistes pour le formalisme russe – pour lequel les textes de Bakhtine représentent, d’après Julia Kristeva, « un des événements les plus marquants et l’une des tentatives de dépassement les plus puissantes de cette école114 » –, le travail de traduction et d’interprétation des textes bakhtiniens et de ceux de son « Cercle » ont contribué à ce que l’on fasse de certaines catégories pensées par Bakhtine des sujets d’investigation plus littéraires : le concept de dialogisme y marque ainsi, dans les années soixante-dix, le début d’une nouvelle orientation dans la pensée de la littérature. La thèse du dialogisme, à savoir le mot conçu comme un dispositif en interaction (entre le sujet écrivant, le personnage ou le lecteur, et d’autres textes), trouve son origine dans le déclin du formalisme. La reprise de cette proposition théorique par différents théoriciens ouvrira la voie à de nombreux outils conceptuels qui nous aideront à mieux appréhender la réécriture.

Lorsqu’il entreprend de décrire le « principe dialogique », Bakhtine ne se restreint pas seulement au domaine de la littérature : il part d’abord de l’analyse du fonctionnement des sciences sociales, en tant que sciences qui ont pour objet un texte, une pensée, un auteur, c’est-à-dire toute forme d’expression d’un sujet. C’est ce caractère qui selon lui différencie les sciences exactes des sciences humaines :

Les sciences exactes sont une forme monologique du savoir : l'intellect contemple une chose et parle d'elle. Il n'y a ici qu'un seul sujet, le sujet connaissant (contemplant) et parlant (énonçant). Seule une chose sans voix

se trouve en face de lui. Mais on ne peut percevoir et étudier le sujet en tant que tel comme s'il était une

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chose, puisqu'il ne peut rester sujet s'il est sans voix ; par conséquent, sa connaissance ne peut être que

dialogique115. »

Une première étape dans l’établissement du concept de dialogisme en fait un principe inévitable pour qui entreprend de faire de la recherche en sciences humaines : l’analyse la plus neutre qui soit y fera toujours se rencontrer (au moins) deux subjectivités : celle du chercheur / lecteur / spectateur, et celle qui est portée par le discours (textuel ou non) de l’auteur de l’objet étudié. L’apport premier de la pensée de Bakhtine a été de poser l’impossibilité de l’objectivation du sujet et son corollaire : la relation qui s’établit entre deux sujets ne peut être que dialogique : « […] l'être ne peut s'appréhender de manière juste qu'en tant que sujet, c'est-à-dire résultant d'interrelations humaines ; contrairement aux choses, l'être humain ne peut donc être objectivé, il ne peut être abordé que de manière dialogique116 ».

Cette constatation servira de prémisse à une réflexion plus précisément ancrée dans le champ de la littérature moderne. L’opposition que fait Bakhtine entre le dialogique et le monologique dépasse de loin la division formaliste entre un discours direct (qui serait monologique) et un discours indirect (dialogique). D’après Bakhtine, en effet, la littérature de la modernité (Dostoïevski en est pour lui le meilleur représentant), donne à voir la confrontation de discours contradictoires (portés par les personnages, l’auteur, le narrateur), sans que cette opposition n’aboutisse à une quelconque résolution ou synthèse. Alors que le roman monologique se caractérise par le « surplomb que prend l’écrivain réaliste par rapport à la voix et la conscience de ses personnages117 », le roman dialogique tend vers « l’autonomisation de la voix du personnage118». Si dans les œuvres du premier type les discours des personnages sont chapeautés

par l’idéologie de l’auteur, et ne nous arrivent qu’à travers cette voix « régente » qui tend à

l’homogénéité et à la synthèse, dans les œuvres du second type ni le narrateur ni l’auteur ne cèdent

à la tentation d’objectiver les personnages, d’intégrer et de soumettre leurs voix à son propre discours. Alors que dans le roman monologique le bagage idéologique de l’auteur ou du narrateur devient un filtre qui teinte les voix des personnages, le roman dialogique fait du personnage une « pure voix » : l’énoncé produit est considéré comme le témoin d’une subjectivité, comme la manifestation d’une conception du monde (qui peut s’éloigner grandement de celle qui est manifestée par l’auteur). Le concept de polyphonie, emprunté à la musique vocale, va alors désigner

115 Tzvetan Todorov, Mikhail Bakhtine. Le principe dialogique suivi de :Écrits du Cercle de Bakhtine, tr. Georges Philippenko, Paris, Seuil, 1981, pp. 33-34.

116 Claire Stoltz, « Dialogisme », Fabula [en ligne], disponible sur : http://www.fabula.org/atelier.php?Dialogisme

(dernière consultation : 27/07/2016).

117 Dominique Rabaté, « Bakhtine chez Beckett et Bernhard (voix, idée et personnage dans la théorie dialogique) », dans Catherine Depretto (éd.), L’héritage de Mikhaïl Bakhtine, Presses Universitaires de Bordeaux, 1997, p. 35.

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la « réalisation littéraire romanesque de ce qui est un principe épistémologique bakhtinien119 » : le dialogisme.

Cette conception « dialogique » des sciences humaines repose sur un socle linguistique novateur que Bakhtine et son « Cercle » ont grandement contribué à développer : celui d’une linguistique qui n’étudie pas la langue comme système (approche saussurienne) mais s’intéresse, à un niveau plus pragmatique, à l’étude des énoncés, des instances du discours. Cette nouvelle discipline, Bakhtine la nomme « translinguistique » ; elle repose sur le constat qu’« aucun énoncé en général ne peut être attribué au seul locuteur : il est le produit de l'interaction des interlocuteurs et plus largement, le produit de toute cette situation sociale complexe, dans laquelle il a surgi120. » Même sans impliquer tout l’environnement social, par le seul fait qu’un discours tende vers un interlocuteur (réel ou imaginé) et qu’il en attende une réponse (effective ou non), il sera inévitablement marqué par la parole de l’autre : « Tout discours est dirigé sur une réponse et ne peut échapper à l’influence profonde du discours réplique prévu. » Jean Peytard résume le postulat de Bakhtine ainsi : « l’énonciation d’un locuteur porte nécessairement en elle la parole de l’autre qui lui donne forme et substance121 ». La parole, par conséquent, est constamment habitée par ses usages, qui laissent en elle une « trace invisible » :

Aucun membre de la communauté verbale ne trouve jamais des mots de la langue qui soient neutres, exempts des aspirations et des évaluations d'autrui, inhabités par la voix d'autrui. Non, il reçoit le mot par la voix d'autrui, et ce mot en reste rempli. Il intervient dans son propre contexte à partir d'un autre contexte, pénétré des intentions d'autrui. Sa propre intention trouve un mot déjà habité. (Todorov, 1981 : 77)

Pour Bakhtine, le dialogisme est la relation de chaque énoncé à tous les énoncés. Cette relation est sémantique et appartient au discours, non à la langue et il n’existe pas d’énoncé qui soit dépourvu de dimension dialogique : « Le discours rencontre le discours d'autrui sur tous les chemins qui mènent vers son objet, et il ne peut pas ne pas entrer avec lui en interaction vive et intense. » (Todorov, 1981 : 99).

Dans le champ de la littérature, le concept de dialogisme a permis de dessiner clairement une tendance du roman moderne à l’individualisation de ses personnages, à leur prise d’indépendance vis-à-vis d’une « tutelle narratrice » : nous verrons plus loin comment la multiplication des voix, leurs confrontations parfois chaotiques, et la fragmentation des consciences des personnages sont présents dans le roman Morirás lejos de José Emilio Pacheco comme les conséquences de la réécriture. D’autre part, les propositions de Bakhtine dans le domaine de la

119 Claire Stoltz, « La notion de polyphonie », Fabula [article en ligne], disponible sur :

http://www.fabula.org/atelier.php?La_notion_de_polyphonie (dernière consultation le 02/09/2014)

120 Tzvetan Todorov, op. cit. (1981), p. 50.

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linguistique énonciative attestent de la dimension collective et collaborative de tout discours. C’est cette dimension que Pacheco met en poésie par le biais de la réécriture, celle-ci pouvant être appréhendée comme une forme extrême de dialogisme littéraire, puisque en plus d’être habité par ses usages dans le discours mondain, l’objet de la réécriture est habité par son ou ses usages précis, ponctuels, identifiables, dans le champ du discours littéraire, du texte. En répétant cet usage du texte dans le texte, de la littérature dans la littérature, la réécriture déclenche une confrontation entre trois « subjectivités » : l’auteur du texte réécrit, l’auteur réécrivain, et l’auteur de la lecture. Paradoxalement, la réécriture qui est, dans un premier moment et à un premier niveau, répétition du même, fait surgir l’altérité constitutive de la parole, le choc des subjectivités. Dans la réécriture, la monophonie n’a pas lieu d’être. Les traits bien définis du style linéaire – ce tracé noir qui entoure le discours et que l’on peut deviner dans les marques du style direct (typographie, première personne, temps du discours) – n’y signalent pas des frontières infranchissables. La voix qui cite ne s’efface pas devant la voix citée, ni ne l’encadre : elle l’invite à se faire entendre. A l’inverse, la voix citée n’annule pas la voix citante : même dans les cas où la distance entre les deux entités (le texte réécrit et le texte réécrivant) est nulle en apparence, c’est-à-dire dans le cas de la citation, il y a toujours au moins deux voix au pupitre. L’énoncé a beau être le même dans les deux cas, il a beau être parfaitement délimité par les marques du style direct, deux voix s’y superposent, deux timbres s’accordent, ou se désaccordent, selon le cas. La réécriture est toujours polyphonique.

Cependant, il est un espace, selon Bakhtine, où le dialogisme ne peut avoir lieu : celui de la poésie. En effet, le critique pose la poésie comme un genre nécessaire monologique car elle est pour lui essentiellement l’expression des états d’âmes intimistes de son auteur. Même si elle dit les déchirures d’un être qui se sent pluriel, la poésie reste univoque, monocorde, homogène, car elle ne fait entendre le discours d’une seule conscience. Nous pouvons voir ici que le concept de dialogisme est manipulé par Bakhtine à deux niveaux différents : en tant que genre littéraire, la poésie est, pour Bakhtine, forcément monologique puisqu’elle est considérée comme pure expression du sujet. En revanche, à un niveau linguistique supérieur en abstraction, la poésie, en tant que discours, est constituée de mots « non neutres », déjà porteurs de sens et d’usages précédents. Aucun énoncé n’échappe à cette translinguistique : celui du poète ne fait pas exception. Et le critique russe d’affirmer : « C'est pourquoi l’œuvre du poète, comme celle de tout artiste, ne

peut accomplir que quelques transvaluations, quelques déplacements d'intonations, perçus par lui-même et par son auditoire sur le fond des anciennes évaluations, des anciennes intonations. » (Todorov, 1981 : 78). Cette remarque sur la relation du sujet poète avec la langue qu’il travaille, d’une part, et avec les précédentes manipulations de ce matériel, d’autre part, nous semble particulièrement innovante. La création poétique n’est pas perçue comme une œuvre de création

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absolue (quasi ex nihilo) : elle est présentée ici de manière bien plus modeste, comme une nouvelle manipulation de la langue, dont on ne perçoit (et valorise) la particularité (l’originalité ?) qu’à l’aune des productions déjà existantes.

Malgré cette proposition selon laquelle l’œuvre du poète n’est constituée que de « déplacements d’intonations », Bakhtine continue de voir en la poésie un genre profondément monologique. Pour justifier cette idée, il analyse le fonctionnement sémantique de l’image poétique :

Dans l'image poétique au sens étroit (dans l'image-trope), toute l'action — la dynamique de l'image — se joue entre le mot (sous tous ses aspects) et l'objet (dans toute sa complexité). Le mot se plonge dans la richesse inépuisable et la variété contradictoire de l'objet même, dans sa nature « vierge » et encore « innommée » ; c'est pourquoi il ne présuppose rien en dehors du cadre de son contexte (à quoi s'ajoutent, bien sûr, les trésors de la langue même). (Todorov, 1981 : 100)

Mais n’est-il pas réducteur de ne considérer le genre poétique que par le biais de la figure de l’image ? Cela revient à laisser de côté tout un univers poétique moderne qui considère le mot au-delà de cette relation unique entre le signifiant et l’objet, dans toute l’amplitude de son usage social et littéraire. Un univers où il ne s’agit plus de « donner un sens plus pur aux mots de la tribu » –

formulation mallarméenne qui sous-tend l’idée que l’emploi « prosaïque » de la langue souille les mots –, mais de réinvestir le mot de la potentialité de ses usages antérieurs, et de reconnaître par là le caractère social du langage poétique. Le théoricien russe dessine une dichotomie aussi radicale que questionnable entre roman et poésie lorsqu’il affirme : « On pourrait peut-être voir les raisons de cette opposition dans le fait que le poème est un acte d'énonciation alors que le roman en représente un. » S’il admet que la représentation du discours (et par là de son énonciateur) n’est pas impossible en poésie, il considère que cette représentation va s’opérer de manière bien délimitée, au moyen du discours direct et de la citation par exemple, et qu’elle ne fera pas usage de formes hybrides. En outre, il juge que cette poésie « polyphonique » n’est pas esthétiquement valorisée.

Le poème n’est envisagé par Bakhtine que comme émanation du genre lyrique, sous-genre de la poésie qui « privilégie l'expression plus ou moins vive de la subjectivité ou de thèmes existentiels au moyen des ressources de musicalité, de rythme, d'évocation visuelle ou affective propres au langage122 ». L’identification de la poésie au lyrisme exclut de celle-là toute dimension mimétique, de narration (dimension présente dès les origines de la poésie en vers). D’après Antoine Compagnon, ce rejet du narratif dans la poésie, est caractéristique des poètes modernes : « on assiste donc à la revanche moderne du lyrique, qui trouve une place, et la première, au sein de la

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poésie, et supplante les genres épique et dramatique, désormais exclus de la poésie. Le narratif, critère classique de la poéticité, est devenu critère moderne de prosaïsme123. »

Cependant, cette revanche est toute relative, car en tant que composante du code du langage, le récit continue de trouver sa place dans la poésie du XXe et du XXIe siècle. La poésie conversationnelle hispano-américaine, la poésie narrative italienne, et même le poème en prose (dont l’une des composantes historiques, selon Michel Murat, est la fable ou l’anecdote124) sont quelques exemples de la survivance de la représentation dans le genre poétique moderne et postmoderne. En outre, en ce qui concerne la dimension polyphonique, comment ne pas entendre les multitudes de voix (et, a fortiori, de langues) dans la poésie d’un Ezra Pound ou d’un Thomas Stearns Eliot. Eliot met en avant ce que nous pouvons désigner comme un double potentiel dialogique de l’œuvre poétique : d’abord, en défendant l’idée que la langue poétique puise sa matière dans la langue commune (orale, d’ici et maintenant) ; ensuite, en laissant apparaître des traces évidentes de ses emplois écrits antérieurs grâce au recours à une intertextualité marquée (par la typographie et la polyglossie).

Indeed, if an English poet is to learn how to use words in our time, he must devote close study to those who have used them best in their time; to those who, in their own day, have made the language new. […] it will equally be true that the quality of our poetry is dependent upon the way in which the people use their language: for a poet must take as his material his own language as it is actually spoken around him. If it is improving, he will profit; if it is deteriorating, he must make the best of it. Poetry can to some extent preserve, and even restore, the beauty of a language125[…]

Le poème The Waste Land est un exemple de collage polyglotte mêlant sources poétiques, mythiques, historiques diverses, pour recréer une vision complexe du monde dévasté de l’entre-deux guerres. Si la réduction que semble effectuer Bakhtine de la poésie à un genre forcément monologique était difficilement soutenable, elle devient objectivement impossible après le discours poétique (et critique) de nombreux auteurs du XXe siècle.

Pacheco, grand lecteur de Pound et de Eliot, construit volontairement son travail poétique comme une interaction sociale, un discours contextualisé et intersubjectif. Outre le recours à une

123 Antoine Compagnon, « La notion de genre », [cours en ligne], Fabula. La recherche en littérature, disponible sur :

http://www.fabula.org/compagnon/genre8.php.

124 Michel Murat, « Le dernier livre de la bibliothèque. Une histoire du poème en prose », dans Marielle Macé et Raphaël Baroni (dir.), Le Savoir des genres, Presses Universitaires de Rennes, 2007.

125 « D’ailleurs, si un poète anglais veut apprendre à faire usage des mots de notre temps, il devra se consacrer à une étude rigoureuse de ceux qui en ont fait le meilleur usage en leur temps : à ceux qui, à leur époque, ont renouvelé la langue. […] il sera également vrai que la qualité de notre poésie dépend de la manière dont les gens utilisent leur propre lange : car un poète doit prendre comme matériau sa propre langue telle qu’elle est réellement parlée autour de lui. Si celle-ci prospère, il en profitera ; si elle se détériore, il lui faudra en tirer le meilleur. La poésie peut, dans une certaine mesure, préserver et même restaurer la beauté de la langue […] » (T. S. Eliot, On Poetry and Poets, London, Faber and Faber, 1957, p. 22. Nous traduisons.)

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langue orale, aux traits d’humour et d’ironie (hautement polyphoniques, selon Bakhtine), le poète n’hésite pas à faire entendre des langues étrangères, et multiplie l’insertion de voix autres que celles du « je poétique ». Nous sommes donc là face à une écriture poétique intertextuelle. Le poème est certes un acte d’énonciation, mais il n’est plus exclusivement monologique et s’appuie bien souvent sur les voix de ceux qui ont écrit avant. Pacheco souligne à maintes reprises le caractère hautement intertextuel de son discours poétique : il le montre par les nombreuses citations et revendique l’impossibilité pour lui (pour quiconque ?) d’écrire en l’absence des textes de ceux qui l’ont précédé. Il s’inscrit en cela dans une lignée de poètes qui visent à extraire la poésie de son espace de confinement (l’expression de l’individuel, du propre que ce soit par l’émotion ou le sentiment) pour l’inclure dans un espace qui peut être parfois clairement social et collectif. Lorsque l’un de ses hétéronymes reprend les vers de Lautréamont, c’est pour passer de l’injonction à la constatation : si le symboliste français disait : « La poésie doit être faite par tous », le mexicain rétorque : « La poesía se hace entre todos ». Bakhtine montre qu’un énoncé ne peut exister en tant que production strictement individuelle, Pacheco affirme que le discours poétique non plus.

Le dialogisme est donc un concept pouvant opérer dans plusieurs domaines. Dans le champ des sciences humaines, c’est la rencontre de (au moins) deux subjectivités autour d’un discours (textuel ou non) ; dans le champ de la linguistique discursive, c’est la prise en compte de l’autre, en tant que sujet parlant, et son intégration dans les énoncés propres. Et si Bakhtine ne semble pas intégrer à sa réflexion sur le dialogisme le rôle du lecteur, la notion d’exotopie, qu’il développe notamment dans Esthétique de la création verbale, soulève la question de la compréhension et de la réception de l’œuvre. L’exotopie est, selon Bakhtine, la distance spatiale et/ou temporelle, introduite par le

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