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Le reflet seigneurial de la patrimonialisation du manoir Gamache

CHAPITRE 1 : LA CÔTE-DU-SUD : UN MICROCOSME SEIGNEURIAL

4. Le statut et la valeur patrimoniale : un reflet de la mémoire seigneuriale?

4.3 Le reflet seigneurial de la patrimonialisation du manoir Gamache

Contrairement au manoir Couillard, les valeurs patrimoniales du manoir Gamache ne s’appuient sur aucune facette du régime seigneurial. En effet, les deux valeurs patrimoniales accordées à ce manoir sont sa valeur architecturale qui consiste en une « maison rurale québécoise d'inspiration française du XVIIIe siècle 46» et sa valeur

d’ancienneté. En aucun moment, dans la section des valeurs patrimoniales, le Répertoire ne fait référence au régime seigneurial d’une quelconque façon, si ce n’est la désignation implicite de « manoir ». La stature modeste des seigneurs Gamache47 n’est certainement

pas étrangère à cette « timidité » de l’identification au patrimoine seigneurial.

Ainsi, cette déconstruction du processus de patrimonialisation du manoir Gamache permet de constater qu’il n’y a pas de recours à la mémoire seigneuriale. Cela ne veut pas nécessairement signifier qu’il n’y a pas de mémoire seigneuriale dans la municipalité. En effet, on retrouve dans la toponymie de la municipalité la rue du manoir, le chemin et la rivière Vincelotte, la rue Nicolas-Gamache, le cours d'eau Ladurantaye et deux plaques commémoratives sur le régime seigneurial. Le manoir conserve une vocation privée et l’objectif derrière la patrimonialisation était de conserver ce vieux bâtiment sans en faire un lieu public ou un lieu de mémoire seigneuriale dont la communauté aurait pu s’approprier. Par ailleurs, lorsqu’on observe la correspondance entre les individus48 qui

ont demandé le classement du bien à Gérard Morisset, responsable du dossier pour la

46 Culture et communication du Québec, Répertoire du patrimoine culturel du Québec, [En ligne], « Manoir

Gamache : Valeur patrimoniale », loc. cit.

47 Grenier, « Devenir seigneur en Nouvelle-France […] », loc. cit., p. 30-31.

48 Ministère de la culture et des communications, « Correspondance du 24 novembre 1958 au 23 février

1959 entre Gérard Morisset, notaire, conservateur au musée provincial et individu(s) caviardé(s), pour le classement du manoir Gamache », trois lettres, documents reçus à la suite d’une demande d’accès à l’information au ministère. Les individus impliqués dans la correspondance demeurent inconnus puisque la responsable de l’accès aux documents et de la protection des renseignements personnels a jugé nécessaire de caviarder les noms.

Commission des Monuments historiques, on ne retrouve aucune mention d’une quelconque réticence ou d’opposition au classement du manoir (Annexe F).

La déconstruction du processus de patrimonialisation de ces deux manoirs permet d’observer des cas qui n’exploitent aujourd’hui que très peu leur association au régime seigneurial. Le manoir Gamache est une maison privée et le manoir Couillard est un musée sur l’accordéon. Par contre, le manoir Couillard, comme nous avons pu l’observer, a exploité à profusion son association au régime seigneurial pour devenir un lieu protégé. En effet, les valeurs patrimoniales qui lui ont été données témoignent bien de cette histoire seigneuriale. Quant au manoir Gamache, il n’exploite pas du tout son association au monde seigneurial, mais il est important de rappeler qu’il s’agit d’un bâtiment privé qui n’a jamais changé de vocation. De plus, au moment de sa patrimonialisation, en 1959, la Commission des Monuments historiques souhaitait valoriser les biens associés à la Nouvelle-France49, ce qui permet à ce manoir d’être classé au patrimoine culturel du

Québec, où « personne n’est opposé 50», comme le mentionne « votre tout dévoué 51»,

sans trop de difficulté. Le manoir Gamache est un bien qui témoignait de l’héritage de la Nouvelle-France en 1959 et aujourd’hui son statut est demeuré le même. Il n’y a pas eu de démarches de symbolisation, qui aurait pu permettre une appropriation des lieux par la population, le manoir est resté un endroit privé avec un statut particulier qui légifère sur sa préservation.

49 Berthold, op. cit., p. 58.

50 Ibid. 51 Ibid.

Conclusion

Dans ce chapitre, nous avons observé que les municipalités de Montmagny et Cap- Saint-Ignace ont des biens seigneuriaux semblables. L’analyse de l’ancienneté, de l’authenticité et de l’intégrité du patrimoine seigneurial de Montmagny et de Cap-Saint- Ignace a été effectuée afin de mettre à l’épreuve la grille d’analyse de Thuot sur la Mauricie. Celle-ci a permis de montrer les répercussions qu’il peut y avoir dans la mémoire seigneuriale. Notamment, le manoir Couillard est fortement associé à la famille Couillard, tandis que le manoir Gamache est associé à l’histoire d’un conflit qui a vraisemblablement divisé la population et qui est maintenant partie prenante de l’interprétation du bâtiment. La qualité de la mémoire envers des facteurs significatifs comme des personnages illustres ou des événements particuliers (dans ce cas-ci conflictuel), qui se sont transmis jusqu’à nous, permettent d’enclencher les mécanismes de la patrimonialisation en faisant agir les autorités gouvernementales. Par la suite, nous avons pu aussi observer que lorsque le bien change de fonction régulièrement, il peut connaître une conservation, mais il n’est pas nécessairement protégé adéquatement, tout comme l’a illustré l’exemple du Manoir des Érables. De plus, le changement régulier de propriétaire nuit souvent à la patrimonialisation comme nous avons pu l’observer avec le moulin Ouellet. En dernier lieu, nous avons analysé le rôle joué par la mémoire seigneuriale par l’entremise des valeurs patrimoniales attribuées aux différents biens seigneuriaux. Cela a permis d’établir qu’un manoir seigneurial n’est pas nécessairement encensé pour ses attributs seigneuriaux, mais qu’il y a tout de même un travail de symbolisation derrière celui-ci qui répond à la demande des autorités gouvernementales des années 1960. Cette demande vise officiellement à répondre à un vacuum seigneurial,

mais relève en réalité d’une action en lien avec l’idéologie de l’époque qui valorise la Nouvelle-France dont les vestiges paraissent en péril.

CHAPITRE 4 : LE PATRIMOINE SEIGNEURIAL SOUS-ESTIMÉ DE LA