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Redoublement et inversion de l’ironie romantique : Zarathoustra et Maldoror

Dans le document Ironies entre dualité et duplicité (Page 145-160)

Dante : ou l’hyène qui versifie sur les tombes.

Kant : ou le cant en tant que « caractère intelligible ».

Victor Hugo : ou le phare au bord de l’Océan de l’absurde.

Liszt : ou l’art de laisser courir son inspiration…

après les femmes…

George Sand : ou la lactea ubertas, autrement dit, la vache laitière « au style élégant ».

Michelet : ou l’enthousiasme en bras de chemise.255 Chateaubriand, le Mohican-Mélancolique ; Sénancourt, l’Homme-en-jupon ; Jean-Jacques Rousseau, le Socialiste-grincheur ; Anne Radcliffe, le Spectre-Toqué […] George Sand, l’Hermaphrodite-Circoncis ; Théophile Gautier, l’Incomparable-Epicier ; Leconte, le Captif-du-Diable ; Goethe, le pour-Pleurer ; Sainte-Beuve, Le Suicidé-pour-Rire ; Lamartine, la Cigogne-Larmoyante ; Lermontoff, le Tigre-qui-Rugit ; Victor Hugo, le Funèbre-Echalas-Ver.256

ncipit parodia. La parodie à l’infini. A travers la reconduction de signes romantiques (Bildungsroman, épopée, pensée eschatologique) et leur parodie (extraction et inversion de la pensée des autorités en crédit/sans crédit), Lautréamont et Nietzsche jouent à nouveau la scène romantique où l’ironie est le concept opératoire qui permet de penser à la fois l’antinomie du rapport entre le moi et l’Un, le fragment et le Cosmos, et le dépassement nécessaire

255 Nietzsche, Le Crépuscule des idoles, Œuvres philosophiques complètes (OPC), VIII, trad. de G. Deleuze, M. de Ganzillac et J.-C. Hémery, Gallimard, 1974, p.108.

256 Lautréamont, Les Chants de Maldoror, Poésies I, NFR Poésie/Gallimard, 1973, p.

293.

I

de cette antinomie. L’ironie romantique est le mode même selon lequel la fusion entre le dedans et le dehors, Moi/Dieu etc. se réalise et se rate en même temps, dans la mesure où la co-naturalité postulée du moi et du monde ne recouvre pas une identité ontologique. L’ironie de Maldoror et de Zarathoustra inverse et nie la téléologie et l’ontologie romantiques ; elle sort du jeu et de la sphère légitimante de l’être : s’ouvrir à l’altérité, ce n’est plus fusionner dans le Tout mais mettre en lumière l’hétérogénéité radicale et inassimilable : être un requin ou un prophète, être poète et menteur, faire mentir les poètes comme les philosophes et les anciens dieux, c’est refuser d’être soi-même circonscrit par les lois de l’individuation (logique, morale, etc.) et d’être intégré dans la communauté (des parents, des amants, des métaphysiciens et des contempteurs du monde)257.

L’ironie romantique avait couvert diverses stratégies tentant, parallèlement aux expériences de la folie, de la diglossie, de la schizophrénie de classe, de penser l’homme, une fois ruiné le primat de la raison calculante avancé par les Lumières. Cette ironie définie par Schlegel, Novalis, Hegel, – qui est une vue sub specie aeternati : absolu, progrès, Dieu, etc. – tente de retrouver le lien (religere) entre l’humanité et la transcendance, alors qu’une ironie post-romantique, dont Nietzsche et Lautréamont sont les hérauts, expose l’humanité pour y voir un nœud rythmique et pulsionnel, un être tragique à dénuder et ruiner avec cette forme du nihilisme duel qui est, en un premier mouvement, un accompagnement de la dévalorisation des anciennes valeurs, et dans un second, le refus de la dévalorisation, ou autrement dit des mauvaises interprétations. Lautréamont et Nietzsche ne postulent pas un nihilisme négatif qui serait affirmation sans nuance de la nullité des valeurs, des essences, des lois, etc., mais ils esquissent au contraire un mouvement de transvaluation qui passe par un désordre nécessaire. L’ironie devient le principe critique qui doit toujours doubler la création des valeurs. La parodie infinie, inscrite

257 C’est ainsi, comme le signifie Klossowski, sortir de l’Histoire : « La refabulisation du monde signifie également que le monde sort du temps historique pour rentrer dans le temps du mythe », « Nietzsche, le polythéisme et la parodie »,

dans le dispositif généalogique, interprétatif, postule une parole éphectique258.

Novalis, en chantre romantique, annonce le lien qui lie essence du monde et statut de la communication :

Tout ce que nous apprenons par expérience est communication. Ainsi le monde est en fait une communication – une révélation de l’esprit.

Le temps n’est plus où l’Esprit de Dieu était compréhensible. Nous avons perdu le sens du monde. Nous sommes restés à la lettre, nous avons perdu ce qui se manifeste au-delà du phénomène – l’essence de la formule.259

Pour Nietzsche comme par Lautréamont, la communication n’a jamais été perdue, car elle n’a jamais été révélée et elle n’existe ni comme origine ni comme mode d’enfantement à travers lequel le monde se présenterait à lui-même. Au contraire, le sens est à construire, incessamment. De même, le sens de l’œuvre critique ou littéraire doit rester dans une relative incommunicabilité afin d’engager le lecteur dans un acte de « rumination », de le forcer à entrer dans l’ère du soupçon. Quand Nietzsche demande avec tant d’insistance : « M’a-t-on bien compris ? », il postule que sM’a-t-on texte résiste à la plate communication. Parce que nous n’avons pas accès à l’être, à la communication directe, à la transparence sémiologique. Parce que le poète comme le philosophe construisent un espace symbolique dont l’exigence vis-à-vis du lecteur est celle-la même qui lui tient lieu de légitimité : l’infinie critique, ou le déplacement des perspectives.

L’ironie romantique est double : elle est – subjectivement – la capacité de l’esprit qui tente de se jouer d’un cosmos qui l’extasie par sa puissance ainsi que par sa nature oxymorique : « L’ironie est la claire conscience de l’éternelle agilité, de la plénitude infinie du chaos », dit Friedrich Schlegel dans le fragment 69 des Ideen. Ainsi comprise, l’ironie est la tension d’une conscience qui tente de signifier et de circonscrire une nature divine dont les hommes, comme le disent

258 « Par philologie, il faut entendre ici, dans un sens très général, l’art de bien lire, - de savoir déchiffrer des faits sans les fausser par son interprétation, sans, par exigence de comprendre à tout prix, perdre toute prudence, toute patience, toute finesse. La philologie conçue comme ephexis dans l’interprétation. » Nietzsche, O.C.,VIII, Op. cit., p. 217.

259 Novalis, Fragments, n° 2228, trad. de Gandillac, Minuit 1966, p.26-27.

Novalis, Nerval ou Hugo, ont perdu la formule. L’ironie est donc une rhétorique qui tente de mimer l’être du cosmos. Cette rhétorique, qui fut théorisée entre autres par les romantiques à travers le Witz, rencontre une autre forme d’ironie, plus fondamentale celle-ci : objectivement, le Cosmos est essentiellement ironique, éternelle agilité qui échappe à l’homme, synthèse des inconciliables. Les correspondances mystiques, les analogies, les harmonies entre les âmes, concert auquel se joignent les sympathies des Stimmungen, laissent cependant entendre une dissonance : l’homme n’accède pas à l’universalité que la Nature a versée en lui comme en toutes choses.

Aussi l’agilité rhétorique, le Witz, etc. miment l’ironie en tant qu’essence du monde : ils en reconduisent la nature par un redoublement de formule, précisant cependant que la formule n’est pas la bonne. On comprend alors que l’ironie romantique soit l’expérience de la duplicité du moi, vécue comme doublure de l’essence du cosmos260 (ce que Schelling261 et Germaine de Staël262, en particulier, soulignent dans leurs systèmes respectifs), mais aussi

260 « Notre corps est une partie du monde, ou pour mieux dire, un membre. Il exprime déjà l’autonomie, l’analogie avec le tout – bref la notion de microcosme.

Il faut que ce membre corresponde à l’ensemble. Il fait que le tout corresponde à ce membre. Autant de sens, autant de modalités de l’univers : l’univers qui est entièrement une analogie de l’être humain en corps, âme et esprit. Celui-ci est un raccourci, celui-là une extension de la même substance », Novalis, Fragments.

261 « L'existence de cette nature en dehors de moi n'explique pas, loin de là, l'existence de moi [...] Ce que nous prétendons, ce n'est pas que la nature coïncide comme par hasard avec les lois de notre esprit [...] mais qu'elle exprime elle-même, nécessairement et primitivement, les lois de notre esprit et que non seulement elle les exprime, mais les réalise et qu'elle est et ne peut être appelée nature que pour autant qu'elle fait l'un et l'autre », Idées pour une philosophie de la Nature, 1797, repris dans les Essais, traduction de V. Jankélévitch, Paris, Aubier, 1946, p. 86.

262 « L’univers est fait sur le modèle de l’âme humaine ; […] l’analogie de chaque partie de l’univers avec l’ensemble est telle que la même idée se réfléchit constamment du tout dans chaque partie, et de chaque partie dans le tout. C’est une belle idée que celle qui tend à trouver la ressemblance des lois de l’entendement humain avec celles de la nature […] les analogies des divers éléments de la nature physique entre eux servent à constater la suprême loi de la création, la variété dans l’unité et l’unité dans la variété.» De l’Allemagne, Troisième partie, ch. X, Didot, p. 455-456.

comme hétérogénéité refusée par la sphère transcendantale ou refusant cette dernière. L’ironie post-romantique de Nietzsche et de Lautréamont se souvient de son aînée, mais elle en inverse la charge positive : la dissonance n’est plus l’exponentiel du désir de fusion au sein de l’Unité, mais bien la négation des certitudes, même flottantes, de l’univers romantique, ou le flottement était la manière même, souvent mystique, de se référer à l’autorité de la transcendance : l’ironie est devenue critique radicale, faisant de l’interrogation non pas le ressassement de consciences malheureuses, mais un grand éclat de rire. Dans l’épistémologie et l’imaginaire romantique, elle était encore légitimation (hésitante, interrogative, inquiète) de ce que l’homme pouvait intégrer par les voies de la subjectivité et de la raison. Pour Lautréamont et pour Nietzsche, l’ironie est le joyeux dissolvant du monolithisme (monothéisme) du monde.

Dans Les Chants de Maldoror et dans Ainsi parlait Zarathoustra, Lautréamont comme Nietzsche écrivent pour rendre impossible toute épopée, en ruinant, derrière les fondements épiques, les valeurs que celle-ci véhicule et qui constituent son fond de commerce, de l’assise réactionnaire et féodale définie au XIIIe siècle par Jean de Grouchy263 à l’ouverture métaphysique socialisante et philanthropique de la trilogie hugolienne (La Légende des siècles – La Fin de Satan – Dieu), – de la constitution d’un espace théo-politique (Hésiode, Homère) à la légitimation impériale chez Virgile. L’épopée devient entre leurs mains la négation de l’origine légitimante et légitimée soit par la révélation d’un Verbe soit par la pratique enthousiaste des Muses (Bible, Théogonie…) ; elle dévoile un champ de vision (car le poète épique est, selon Nietzsche, le visionnaire par excellence)264 qui, à coup de marteau, effectue une inversion du

263 « Nous appelons chanson de geste un chant dans lequel sont rapportées les actions des héros et les œuvres de nos ancêtres, de même que la vie et le martyre des saints ou les souffrances endurées par les grandes figures de l’Histoire pour la défense de la foi et de la vérité, comme par exemple la vie du bienheureux Etienne, le premier martyr, ou l’histoire du roi Charles. Il faut faire entendre ce genre de chanson aux personnes âgées, aux travailleurs et aux gens de condition modeste […] afin qu’en apprenant les misères et les calamités des autres, ils supportent plus facilement les leurs. », Jean de Grouchy, De Musica, env. 1300, Ms. 2663 Hessische une Hochschuldbibl. Darmstradt, F° 56-59, XIVe.

264 Le Crépuscule des idoles, O.P.C.,VIII, op. cit., p.114.

fonctionnement discursif axiologique et renverse les valeurs à travers l’inversion du modèle héroïque. Entre leurs mains, l’épopée assume la négation de la structure épique à travers laquelle la linéarité, la téléologie, les causalités qui forment l’hypostase de l’Histoire, sont malmenées et révoquées. Les Chants de Maldoror et Ainsi parlait Zarathoustra chantent le refus de la pensée épique comme étant une pensée de l’Histoire, et la révocation de l’Histoire en tant que cristallisation idéologique du logos métaphysique occidental.

Lautréamont : épopée et phénoménologie de l’agression

Incipit tragoedia : la parodie infinie. Les Chants de Maldoror sont une tentative de reprise et de synthèse du discours ontologique et éthique tel que le XIXe siècle en a hérité dans le long couloir métaphysique occidental (le « corridor » mallarméen). Les Chants sont une machine de guerre qui retourne les traits : elle reprend l’épopée pour signifier que le dix-neuvième siècle est malade de l’Histoire. En France, Quinet, Taine, Fustel de Coulanges, les travaux ethno-philologiques issus des Herder et Grimm, les créations institutionnelles (Ecole des Chartes, 1816 - Ecole d’Athènes, 1846 - Monuments historiques, 1837), le drame, le roman historique, les mémoires et l’épopée réinventée par Vigny, enfin, viennent dire l’histoire des pères vue par l’œil des fils (Hugo, Marion de Lorme), tentent l’explication du trauma fondateur que fut la Révolution française, et, dans son sillage, la décollation du monarque de droit divin.

Avec Les Chants de Maldoror, Lautréamont entre dans une carrière épique où il y a du monde. Il y entre pour la dépeupler et faire de la forme épique, et plus généralement de la littérature, un désert.

Traçons un rapide portrait des agressés – étant entendu que l’agression est universelle et que les cibles citées ci-dessous ne sont que les hérauts éponymes d’une parcelle de métaphysique occidentale moderne à ruiner : Chateaubriand cherche la vérité du temps présent à travers l’épopée du moi que sont les Mémoires d’Outre-tombe après avoir ouvert le siècle avec la haute geste du christianisme. Alfred de Vigny se pose en régénérateur d’une forme oubliée (Poèmes antiques

et modernes) dont la vertu est de parcourir « sous la forme épique » (Préface de 1837) l’histoire des consciences et des pensées philosophiques. Lui font écho l’épopée religieuse de l’humanité qu’est Ahasvérus d’Edgar Quinet, ainsi que l’œuvre des deux ennemis épiques que sont Hugo et Leconte de Lisle. De la légende écoutée à la porte de l’Histoire et qui mènera à la connaissance d’un dieu d’amour, à l’objectivité post-hégélienne des Poèmes antiques de 1852, des Poèmes barbares et Poèmes tragiques, qui imposent une conception de l’Histoire comme guerre des civilisations et des théogonies, l’épopée est toujours une pensée de l’homme dans son rapport avec l’Absolu ou, dit autrement, dans une visée métaphysique. Les Chants de Maldoror font le contraire, envisageant la malédiction qu’est l’Eternel, crachant à la face de l’Absolu, de l’Idéal,sans proposer de nouvelle vision totalisante en face de la ruine de l’absolu.

Le premier chant débute par un vol de grue, parodie du chant III de l’Iliade. Vectorisation du désir qui vole comme une flèche et nous donne une nouvelle direction. Lautréamont nous impose, dès l’incipit, de nous désolidariser d’avec les héros et guerriers grecs. Le chemin choisi est plus tumultueux : l’entrée dans le chant doit se faire en prenant le contre-pied du vol de la grue qui « prend ainsi un autre chemin philosophique et plus sûr. » Si l’on suit la nouvelle vectorisation du désir (nouvelle philo sophia), on appareille vers des terres non réglées par l’espace géométrique euclidien ou par l’organisation logique aristotélicienne. L’ironie se construit comme un moderne tombeau des Danaïdes, où la parodie joue sans fin la mise en abyme qui la constitue. Ainsi du Chant VIII qui annonce les Chants comme duplication du Don Quichotte de Cervantès. L’épopée est devenue une anti-chanson de geste, parce que l’humanité est mauvaise :

Celui qui chante ne prétend pas que ses cavatines soient une chose inconnue ; au contraire, il se loue de ce que les pensées hautaines et méchantes de son héros soient dans tous les hommes265.

Don Quichotte est devenu fou à force de lire des livres épiques, à force de lire les bons ouvrages, à force de croire aux bonnes valeurs.

La folie épique du héros épique doit amener une conscience critique

265 Lautréamont, op.cit., p.20.

chez le lecteur de Cervantès. Même mouvement chez Lautréamont.

Revenons aux mathématiques. Après la géométrie, l’arithmétique.

Maldoror veut crétiniser le lecteur. Mais quel est le lecteur visé ? Non pas celui qui est recherché par Lautréamont, celui qu’il éduque, mais au contraire le lecteur lourdaud, bourgeois, bon père de famille, un monsieur Prudhomme, un Biedermeier (son homologue allemand), un crétin. Crétiniser les crétins266, c’est bien, par la voie de l’agression, faire naître du sein de la bêtise un acte radical, ou du moins une réaction : c’est le rendre intelligent. Lautréamont sait bien que

[– x – = +]

Ce qui fait retour dans la parodie est moteur d’une sélection. Nous ne sommes pas loin de Nietzsche. Contre la comédie imbécile qu’est celle de Dante, et celle du grand célibataire débile du Génie du christianisme, l’agression offre cette possibilité de déstabiliser le socle culturel qui voile comme un fétiche le mode de production des œuvres d’art, de la pensée et de la morale. L’ironie est duplicité : elle fait revenir du différent267, non seulement en dégradant les références (retour d’un texte mis à mal, dévalorisé) mais aussi en imposant un nouvel acte critique : l’appréhension et l’interprétation que demande la dégradation impose au lecteur de devenir ce qu’il est en tant que conscience critique et de dépasser le lecteur crédule qu’il fut.

L’ironie est donc une cruauté – cruauté salutaire – puisqu’elle est une arme destructrice disloquant les anciennes idoles (elles–mêmes cruelles d’une cruauté beaucoup plus perverse, à l’image du Dieu vétérotestamentaire croisé d’un Cronos qui dévore les hommes).

Nouvelle Béatrice, la destruction s’attaque non seulement aux références qui forment l’étayage métaphysique et moral occidental, mais aussi aux modes de représentation qui y président. L’ironie noie le ciel conceptuel qui éclaire la pensée de l’Histoire (et donc de la définition de l’homme) au XIXe siècle. Evidement et retournement des

266 « Si la mort arrête la maigreur fantastique des deux bras longs de mes épaules, employés à l’écrasement lugubre de mon gypse littéraire, je veux au moins que le lecteur en deuil puisse se dire : Il faut lui rendre justice. Il m’a beaucoup crétinisé. » ibid., chant sixième, VIII, p. 261.

267 « Le plagiat est nécessaire. Le progrès l’implique. Il serre de près la phrase d’un auteur, se sert de ses expressions, efface une idée fausse, la remplace par

concepts, mais aussi, à travers le jeu des métalepses narratives à partir desquelles Lautréamont met à mal le principe majeur de la logique occidentale, le principe de non-contradiction édicté par Aristote268, hypostase de la « vérité ». C’est à la transvaluation que Lautréamont offre toute sa puissance de frappe. Les antiphrases des Poésies viennent inverser les énoncés qui étayent la culture occidentale et renversent le postulat des Chants, dans une dialectique sans dépassement où l’une et l’autre œuvre se reflètent ironiquement comme antiphrase dans un jeu de réciprocité/antagonisme sans fin.

Car la signification ne naît pas chez Lautréamont dans la clôture du sens, mais bien dans le cheminement que l’auteur fait subir à celui-ci et que le lecteur à son tour doit parcourir à rebours. L’ouverture du sens est la dernière signification. La parodie infinie opte pour une hypermorale de la non fixation du sens, de l’homme, de la valeur. La visée du destructeur n’est pas de reconstruire, mais d’empêcher que l’on reconstruise, à partir des ruines, les enceintes morales d’une nouvelle cité adorant à nouveau de nouveaux dieux.

La parodie infinie est une proposition qui permet la liquidation de l’Histoire pensée comme enchaînement causal engagé dans une tension téléologique. Lautréamont énonce un refus radical : l’Histoire est toujours celle des autres, des ennemis, de ceux qui veulent piéger l’individu dans un réseau idéologique. Aussi l’Histoire parodiée devient-elle dans Les Chants de Maldoror l’illustration du mal fait par

La parodie infinie est une proposition qui permet la liquidation de l’Histoire pensée comme enchaînement causal engagé dans une tension téléologique. Lautréamont énonce un refus radical : l’Histoire est toujours celle des autres, des ennemis, de ceux qui veulent piéger l’individu dans un réseau idéologique. Aussi l’Histoire parodiée devient-elle dans Les Chants de Maldoror l’illustration du mal fait par

Dans le document Ironies entre dualité et duplicité (Page 145-160)