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La reconnaissance, facteur nécessaire au maintien de l’identité professionnelle après

CHAPITRE 6 : Discussion 102

6.2 La reconnaissance, facteur nécessaire au maintien de l’identité professionnelle après

Comme le relève De Gaulejac (1995), le travail est en lui-même une caractéristique dominante au sein de l’identité pour notre société axée sur la performance. Ainsi, trouver un emploi dans le domaine dans lequel elles étaient formées était très important pour les participantes, car cela signifiait la reconnaissance de leurs compétences et de leur identité professionnelle. La littérature va dans le même sens, montrant qu’effectivement les professionnels immigrants ont un fort désir de retrouver leur statut professionnel (Shuval, 2000) et que, par conséquent, ils sont prêts à investir beaucoup dans leur travail (Bascia, 1996). Nous avons vu dans le chapitre 3 l’importance de la reconnaissance comme élément

fondateur de l’identité, celle-ci étant au cœur du concept d’identité développé par Taylor (2003). La reconnaissance professionnelle est capitale dans la structuration de l’identité professionnelle.

Néanmoins, il semble que la reconnaissance ne se vive pas seulement à travers la quête d’un emploi. Taylor nous explique que les expériences de discrimination sont centrales dans les perceptions d’absence de reconnaissance ou de non-reconnaissance. Il affirme même « qu’un refus de reconnaissance peut constituer une forme d’oppression » (Taylor, 2003, p. 68).

Bien que les participantes partagent plusieurs caractéristiques avec leurs collègues (langue, pratique de la même profession, etc.), certaines travailleuses sociales ont exprimé avoir vécu des expériences discriminatoires. Toutes nationalité confondues, il s’agissait d’expériences faisant référence aux collègues ou aux institutions qui ne reconnaissaient pas leur expérience professionnelle acquise dans le pays d’origine, à des difficultés dans l’expression de la langue française (des mises de côté durant les réunions par exemple) ou encore au sentiment que certains emplois de direction étaient réservés aux québécois de souche, et par conséquent leur étaient inaccessibles.

De manière générale, il semble que les participantes ayant vécu ces expériences aient ressenti le besoin de devoir en faire plus pour faire valoir leurs compétences professionnelles aux yeux de leurs collègues. Les participantes mentionnant peu d’expériences discriminatoires semblent s’être fondues davantage au sein de leur environnement de travail. Ainsi, comme le soutient Taylor (1992), une non-reconnaissance

peut entraîner une douleur. En ce sens, les expériences vécues par quelques participantes se rapprochent de l’expérience oppressive décrite par Taylor (1992).

Nous avons pu relever dans le chapitre précédent plusieurs propos révélant les défis vécus par les participantes en lien avec l’intégration et l’utilisation de la langue au Québec. Leurs récits nous ont permis d’identifier la langue et le vocabulaire comme des défis au maintien de leur sentiment identitaire et à l’exercice de leur pratique professionnelle. En fait, d’après les propos des participantes, il semble que les interactions sociales aient pu venir moduler leur sentiment d’identité professionnelle, voire personnelle.

Ces propos vont dans le sens des postulats de l’interactionnisme symbolique : c’est par le langage et la conversation que nous prenons conscience de notre identité et de l’Autre (Mead, 1934). Ces défis langagiers ont eu, dans certains cas, un impact négatif sur le sentiment d’identité professionnelle. Certaines participantes se percevaient en effet comme ayant un manque touchant leurs acquis et les compétences nécessaires à leur fonction de travailleuse sociale dans leur nouveau milieu de travail, ce qui a pu ainsi influencer leur identité professionnelle.

Le sens des mots, les expressions l’accent québécois et la spécificité du vocabulaire clinique ont pris une importance particulière pour les participantes. Celles-ci ont fait état d’un écart de compréhension, et ce, même lorsqu’il y avait partage d’une langue maternelle commune. Cet écart entre la participante et l’Autre la conduisait bien souvent à des moments d’inconfort dans ses interactions sociales.

Taylor (1992) soutient que les relations sociales sont précieuses pour le développement identitaire, ce qui abonde dans le sens de la reconnaissance comme élément

essentiel au maintien de l’identité professionnelle, En effet, l’auteur explique que le développement identitaire se fait par nos interactions avec les autres (Taylor, 2003). L’identité n’est pas une réalité monologique, mais bien une toile de relation langagière (Cliche, 2009; Taylor, 2003). L’Autre semble donc faire partie prenante de la perception d’une adéquation à soi-même, il participe au développement et au maintien du sentiment identitaire. On peut même penser que seul l’Autre peut nous permettre d’avoir accès à nous-même. Découlant de ce postulat, nous établissons des liens bidirectionnels entre l’identité professionnelle et les interactions sociales. De plus, par l’utilisation du dialogue comme courroie de transmission de la reconnaissance identitaire, Taylor (1992; 2003) reconnaît l’importance symbolique émanant des interactions sociales, comme Mead (1934) avant lui. En ce sens, le symbolisme rattaché aux échanges, aux discours et aux compréhensions du monde qui nous entoure devient capital à la construction et au maintien du sentiment d’identité professionnelle.

Comme nous l’avons vu dans l’analyse des entretiens, l’absence de reconnaissance prenait souvent la forme d’un certain décalage entre deux univers de sens. La reconnaissance au sein du discours est d’autant plus fondamentale chez les participantes pour permettre le maintien de leur identité professionnelle que leur travail repose sur les interactions langagières et le dialogue. Ainsi la perception de la pratique professionnelle était associée au sentiment d’identité professionnelle.

De plus, la réciprocité est nécessaire à la reconnaissance de l’individu au sein du groupe. Fraser (2011, p. 74) soutient ainsi que : « […] l’identité se construit de manière dialogique à travers un processus de reconnaissance mutuelle ». L’idée de réciprocité dans

reconnaissance de soi et des autres comme étant un prérequis à la formation identitaire. Dans le même ordre d’idées, Baugnet (1998, p.17) affirme que « […] l’identité se construit, se définit, s’étudie dans le rapport à l’autre ; elle est indissociable du lien social et de la relation à l’environnement. » Nous pouvons en déduire non seulement que le caractère dialectique de l’identité professionnelle est central, tout comme la reconnaissance, mais que les deux sont liés. Ce sont des dénominateurs communs de la définition de l’identité professionnelle, et ce qui semble émerger lors de l’analyse des discours des participantes. La reconnaissance se fait par l’entremise des individus et des institutions démocratiques, et elle favorise le maintien de l’identité professionnelle de l’immigrant. Vivre une absence de reconnaissance, que ce soit dans les interactions individuelles avec les autres (collègues, ou usagers dans le cas du travail social) ou dans le manque de prise en compte des acquis professionnels du pays d’origine, affecte donc le sentiment d’identité professionnelle, ce que les analyses des discours des participantes illustrent bien. Cependant, les participantes ont plutôt tendance à parler en termes de compétences plutôt que d’identité. En effet, elles ne disent pas explicitement que cela remet en cause leur identité professionnelle, mais que, parce qu’elles ont parfois de la difficulté à exercer leur travail comme elles le voudraient ou par certains enjeux liés à la reconnaissance professionnelle, nous comprenons que des questionnements liés à leur identité professionnelle ont pu surgir après leur immigration.

6.3 L’importance des valeurs au sein de l’identité