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Chapitre II.1. Identification de deux lignées écotypiques au sein de l’espèce Acrocnida brachiata. Caractérisation de la structure

2. Histoire évolutive des deux lignées : colonisation récente dans la zone de transition Manche/Atlantique, degré de connectivité entre populations au

2.3. Recherche d’hybrides entre les deux lignées

Les quatre individus de la Plage de l’Aber (PA-a) échantillonnés en intertidal mais présentant la signature mitochondriale de la lignée S, la présence des allèles Hk100 et Hk105, typiques de la lignée S mais présents en faible fréquence dans la lignée I, les forts déficits en hétérozygotes et les déséquilibres de liaison sont autant d’indices qui laissent supposer l’existence de potentiels hybrides entre les deux lignées. Des tests d’assignation ont été réalisés afin de coupler les données des deux marqueurs génétiques et ainsi détecter ces

potentiels hybrides. Le jeu de données a été partitionné en deux grands groupes correspondant aux deux lignées mitochondriales. Des tests d’assignation ont ensuite été réalisés en fonction de l’information allozymique. Seize individus (soit 2% de l’échantillonnage total) apparaissent mal-assignés, c’est-à-dire qu’ils présentent une signature allozymique plus proche de celle des individus de l’autre groupe mitochondrial que de celle de leur propre groupe. Ces individus sont tous échantillonnés dans le domaine intertidal. Sur ces seize ophiures, huit individus (quatre de la plage de l’Aber (PA-a) et quatre de Baie de la Forêt (BF)) présentent un haplotype subtidal mais une signature allozymique typique du domaine intertidal. A l’inverse, huit individus dont deux de Morgat, deux de Saint Efflam et quatre de Saint Brieuc possèdent un haplotype intertidal mais sont assignés à la lignée S sur la base de leur génotype allozymique.

2.4. Discussion

L’histoire de colonisation diffère entre les deux lignées.

Les analyses du polymorphisme mitochondrial, sous l’hypothèse de neutralité, fournissent des pistes intéressantes sur l’histoire de l’expansion géographique de chaque lignée. De forts pourcentages de singletons, des divergences intra-lignée faibles (< 1%) et des valeurs D de Tajima négatives et significatives définissent chaque lignée. En l’absence d’effet sélectif, ces caractéristiques suggèrent une récente augmentation de la taille des populations. Cette récente explosion démographique pourrait être due à la colonisation de nouveaux territoires après le dernier maximum glaciaire (24-18 KA auparavant) et/ou suite à la formation de la Manche (10-8 Ka). En effet, l’ouverture de la Manche de même que la fonte des glaces a permis l’apparition de nombreux habitats vides. En outre, l’eau provenant de la fonte des glaces n’est pas entrée directement dans les océans mais a constitué des réserves d’eaux douces sur les continents qui se sont ensuite déversées de façon précipitée (Pirazzoli, 1998), entraînant ainsi d’importants mouvements sédimentaires et des réorganisations de communautés. Un déplacement de masses d’eaux conséquent a eu lieu de la Mer du Nord vers la Manche lors de l’ouverture brutale du Détroit du Pas de Calais (Smith, 1989). Ces phénomènes ont ainsi pu promouvoir le déploiement des lignées depuis leur dernier refuge glaciaire vers de nouveaux habitats et ainsi entraîner leur rencontre sur une partie ou la totalité de l’aire d’étude. Les deux lignées semblent néanmoins présenter des patrons de colonisation différents.

mutationnels suggère que les séquences ont divergé récemment, et que la plupart des mutations observées est majoritairement due à des diversifications postérieures au dernier maximum glaciaire (Hewitt, 2000). Les flux de gènes estimés selon Migrate_n proposent un profil de colonisation asymétrique avec des flux massifs depuis la baie de Douarnenez et, dans une moindre mesure, du sud Bretagne vers la Manche et la Mer d’Irlande. La proportion d’haplotypes privés moins importante en Mer d’Irlande qu’en Sud Bretagne est cohérente avec l’idée que la différenciation se fait depuis moins longtemps en Mer d’Irlande (Hewitt, 1996). La colonisation massive depuis le Sud vers les bassins du Nord suggère que la lignée S aurait probablement subsisté dans un refuge glaciaire situé plus au Sud, selon le modèle déjà avancé par Hewitt (2000), probablement au niveau de la péninsule ibérique. Ce scénario est cohérent avec celui également proposé par Jolly et al. (2006) pour le clade 2 de P. koreni et le clade 1 d’O. fusiformis qui auraient pu persisté, durant le dernier épisode glaciaire (LGM), au niveau de la Galice.

La structure plus complexe du réseau d’haplotypes de la lignée I suggère une rétention de diversité ancestrale avec moins de diversification récente suggérant une expansion plus limitée que la lignée S. La valeur du D de Tajima est d’ailleurs plus faible pour la lignée I que pour la lignée S (respectivement -1,82 et -2,64). La lignée I semble avoir une distribution géographique plus limitée, présente en Baie de Douarnenez et au nord des côtes bretonnes jusqu’à l’entrée de la Manche orientale où elle disparaît. L’espèce A. brachiata n’a jamais été observée dans le domaine intertidal en Mer du Nord (Ursin, 1960). Du fait d’une expansion géographique plus limitée, il semble possible que la distribution actuelle de la lignée I inclue la zone refuge de la période glaciaire. L’existence dans cette zone, avant l’ouverture de la Manche, d’une réserve d’eaux saumâtres, le lac Solent, aurait pu servir de refuge glaciaire pour cette lignée, comme il semble que cela ait été le cas pour d’autres espèces intertidales de la Manche (Gysels et al., 2004; Provan et al., 2005). De récentes études tendent d’ailleurs à montrer que des refuges glaciaires en Europe du Nord étaient plus fréquents que précédemment supposé durant le LGM (Willis & Whittaker, 2000; Stewart & Lister, 2001).

Des histoires de colonisation quaternaire contrastées entre deux lignées proches mais présentant des caractéristiques écologiques différentes sont également constatées chez des poissons intertidaux sur la côte ouest américaine (Hickerson & Cunnigham, 2005); l’espèce qui vit en fond de baie semble avoir persisté dans son aire actuelle de distribution tandis que l’espèce qui vit de façon moins restreinte à la côte présente une expansion géographique depuis un refuge glaciaire plus au sud.

lignée S que des autres populations intertidales pourrait également constituer un indice du remplacement de la lignée I par la lignée S plus au Sud et donc une indication de limite d’aire. Cependant, les deux individus des côtes portugaises, échantillonnés en milieu intertidal, présentent la signature génétique de la lignée I, indiquant ainsi que la lignée I est plus répandue en Atlantique que précédemment pensé. Les côtes portugaises constituent d’ailleurs une zone de mélange pour d’autres espèces cryptiques, notamment pour les deux clades de P. koreni alors que le clade 1 n’est pas présent ailleurs au Sud de la Bretagne (Jolly et al., 2006).

L’histoire récente des lignées d’A. brachiata, telle qu’elle est en partie retracée par l’évolution mitochondriale, renforce l’idée d’une histoire évolutive commune entre les différentes espèces des peuplements de sables fins envasés d’Europe depuis le dernier épisode glaciaire. Dans le cas d’A. brachiata, l’échantillonnage s’avère un facteur limitant, surtout pour la lignée I, dans l’interprétation des patrons de colonisation. Ces patrons, de même que les patrons de divergence du chapitre II.1.1, se trouvent renforcés du fait qu’ils sont partagés par plusieurs espèces du même peuplement. Ainsi, comme l’énonçaient Bermingham & Moritz (1998), des approches comparatives utilisant des espèces de différents embranchements, inféodées au même type d’habitat mais présentant des modes de vie contrastés, semblent être un outil très pertinent pour mieux identifier les événements de vicariance et ainsi appréhender l’histoire plus ou moins ancienne des espèces et son rôle dans la structure actuelle des populations.

Mais le scénario diffère aussi selon les marqueurs

Les analyses génétiques conduites sur les allozymes tendent à montrer un très fort niveau de structure génétique, traduisant ainsi une limitation des flux de gènes entre populations. En effet, la plupart des valeurs de différenciation génétique par paire sont significativement différentes de zéro, quelle que soit la lignée. Ainsi, dans le cas d’A. brachiata, une faible durée de vie larvaire se traduit réellement par une connectivité faible entre populations. A l’instar des exemples cités en introduction (McMillan et al., 1992; Hoskin, 1997; Arndt & Smith, 1998), une larve qui présente une durée de vie de quelques jours ne peut disperser sur de grandes distances, entraînant ainsi des isolements conséquents entre populations. De plus, dans le cas de cette espèce, l’extrême fragmentation de l’habitat peut renforcer l’isolement. En Manche, les habitats de sables fins envasés sont souvent discontinus car localisés en fond de baie. Or, du fait de l’hydrodynamisme intra-baie, les apports allochtones ont tendance à y être réduits (Gaines & Bertness, 1992). En outre, l’isolement s’avère plus conséquent pour les populations de la lignée I que pour celles de la

lignée S. L’émersion pourrait sans doute augmenter les difficultés pour des larves allochtones de s’implanter dans une population : un cycle de marée réduit presque de moitié le temps durant lequel les larves peuvent recruter en milieu intertidal.

Néanmoins, il existe un vrai décalage entre les valeurs de différenciation génétique par paire estimées à partir des marqueurs allozymiques et celles calculées sur le locus mitochondrial : la grande majorité des valeurs basées sur le mitochondrial est faible et non significative. Or l’hypothèse des flux réduits entre populations du fait d’une phase larvaire courte semble assez vraisemblable. Comment justifier alors l’absence de différenciation entre populations sur la base des données mitochondriales ? Ces faibles valeurs de différenciation sont avant tout basées sur l’accumulation de mutations neutres et donc le reflet d’une homogénéité intraspécifique due à un faible niveau de divergence depuis l’ancêtre commun, ce qui est cohérent avec une colonisation récente datant de moins de 10000 ans. Les valeurs de D de Tajima, précédemment imputées à une expansion démographique récente peuvent également s’expliquer par des phénomènes de balayage sélectif, avec l’apparition et la propagation rapide d’un mutant avantageux. Ces très faibles valeurs seraient ainsi sans doute le reflet d’une histoire évolutive complexe qui inclurait variations démographiques et balayage sélectif (Mishmar et al., 2003; Bensch et al., 2006). Les fortes différenciations allozymiques pourraient alors traduire des effets démographiques locaux (effet de dérive) qui masqueraient l’isolement par la distance.

A l’inverse, si les valeurs de différenciation basées sur le mitochondrial sont considérées comme justes, les populations devraient donc être considérées comme homogènes sur l’ensemble de l’aire d’échantillonnage. Comment peuvent alors se justifier de si fortes valeurs de différenciation allozymique ? Qui plus est, le degré de différenciation semble indépendant de la proximité géographique des populations puisque aucune tendance d’isolement par la distance n’a pu être décelée pour la lignée S et qu’elle est même négative pour la lignée I. La principale hypothèse est qu’il existe au sein des diverses populations des niveaux différents d’hybridation et d’introgression entre les deux lignées écotypiques d’A. brachiata. Cette hypothèse permettrait, en outre, d’expliquer les importants déficits en hétérozygotes, les déséquilibres de liaison entre locus et le fait que les différences de fréquences alléliques entre les deux lignées écotypiques soient moins franches pour les quatre locus autres que celui de Hk (Chapitre II.1.1). Les tests d’assignation suggèrent fortement l’existence de phénomènes d’hybridation entre les deux lignées. Certaines zones semblent être plus concernées par ce phénomène, notamment la Baie de Douarnenez.

Il existe cependant des valeurs de différenciation mitochondriales significatives, plus nombreuses pour la lignée I que pour la lignée S. Ainsi, les échanges réduits pourraient expliquer une part de la structure génétique et donc justifier que de nombreuses fréquences allozymiques soient significativement différentes entre populations par dérive. Par ailleurs, l’existence d’hybrides pourrait expliquer pourquoi ces valeurs de différenciation allozymique sont aussi fortes, sans que le facteur géographique ne soit explicatif. Le décalage qui existe entre les deux marqueurs pourrait ainsi s’expliquer par un scénario intermédiaire, cumulant histoire de colonisation récente, flux réduits, phénomènes d’hybridation et sensibilité différentielle des marqueurs aux forces évolutives (migration/dérive vs mutation/dérive). De la même manière, Addison & Hart (2004; 2005) décèlent d’importantes disparités entre les données de différenciation génétique sur le marqueur nucléaire et le marqueur mitochondrial de l’oursin Strongylocentrotus droebachiensis, qu’ils expliquent par le cumul au niveau des marqueurs de l’histoire de la colonisation de l’Atlantique Nord et de phénomènes d’hybridation interspécifique. L’association de deux types de marqueurs est d’ailleurs considérée comme un minimum pour pouvoir mettre en évidence des phénomènes d’introgression même si flux de gènes et polymorphisme ancestral sont souvent très durs à dissocier (Mallet, 2005).

Chapitre II.2. Étude à micro-échelle, le cas de la Baie de

Douarnenez : isolement entre populations voisines d’A. brachiata

et maintien de l’intégrité des deux lignées écotypiques

L’étude à macro-échelle spatiale de la structure génétique des populations d’A. brachiata n’a pas permis d’évaluer avec certitude le degré de connectivité qui existe entre les populations. En effet, compte tenu des nombreux phénomènes, historiques et introgressifs, qui interagissent sur la signature génétique, il est apparu difficile de voir à quelle échelle pouvait se faire les échanges entre populations. Compte tenu de la faible durée de la phase larvaire, se placer à une échelle spatiale plus petite semble une approche intéressante pour détecter les éventuels mouvements de migration entre populations proches. De même, il paraissait intéressant de suivre les populations à différents moments de leur cycle de vie, notamment en situations a priori post-recrutement, dans l’optique de détecter plus facilement des arrivées allochthones. Cette étude à micro-échelle spatiale avait également pour objectif d’affiner les observations sur la répartition préférentielle des lignées dans les habitats intertidal et subtidal et de mieux quantifier le degré d’hybridation entre les deux lignées. Dans le chapitre précédent, la structure génétique des populations de la Baie de Douarnenez présentait quelques particularités laissant supposer l’existence d’une hybridation inter-lignées puisque six des seize individus mal assignés en provenaient. C’est pourquoi, la structure génétique d’A. brachiata a été analysée pour la Baie de Douarnenez de façon plus détaillée.

Située à l’extrémité de la Bretagne, entre la presqu’île de Crozon et le Cap Sizun, la baie de Douarnenez constitue un bassin d’effondrement dont la profondeur n’excède pas 40 mètres. Elle s’ouvre à l’ouest sur la mer d’Iroise par un goulet de 9 km de large. L’hydrodynamisme est faible ou modéré en général ; les courants de marée les plus intenses sont enregistrés dans la partie nord du goulet, au sud du Cap de la Chèvre. La baie présente un système de courants giratoires, en se remplissant par le sud et en se vidant par le nord. Du fait de la faible profondeur, les vents ont une forte influence sur l’homogénéisation des masses

d’eau, au sein de la baie mais aussi avec l’extérieur. Cette baie présente tous les types de substrats ; elle est caractérisée par une forte diversité et une grande abondance en échinodermes vagiles (Blanchet et al., 2004).

Démarche

L’échantillonnage a été réalisé le long de deux radiales, en juin et septembre 2005, lors des campagnes Ophirois II et III. Chaque radiale est constituée d’une station intertidale, une station subtidale à 10 m de profondeur et une station subtidale à 30 m de profondeur (Figure II.16). Ces radiales ne constituent pas, sur toute leur longueur, un continuum d’habitat favorable à l’espèce : la zone comprise entre 0 et 10 m présente un sédiment homogène de sables fins, tandis que des bancs de sables grossiers et de cailloutis s’intercalent entre les stations à 10 et 30 m. Les stations à 10 m de profondeur correspondent aux premiers individus subtidaux rencontrés le long des radiales au départ, respectivement, de Morgat et de Cameros (donc les individus les plus proches de la zone de balancement des marées).

Figure II .16. Distribution

géographique des six stations d’échantillonnage en Baie de Douarnenez : Morgat et Cameros en intertidal et quatre stations subtidales. La profondeur des stations et la taille des échantillons, en juin et en septembre, sont indiquées dans le tableau ci-dessous.

Cap Sizun Douarnenez Cap de la Chèvre 10-B 30-B 30-A Mo # Cm # 10-A Plage de l’Aber (PA)

Prof. (juin)n (sept)n

Mo 0 m 53 45 10-A 10 m 33 48 30-A 28 m 36 52 Cm 0 m 42 22 10-B 10 m 57 31 30-B 30 m 51 59 Ra d ia le 1 Rad ia le 2 66

1. Microstructure spatiale et temporelle des populations