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répartition le long de l’estran

2. Variabilité spatio-temporelle du fonctionnement démographique

2.2. Données génétiques

2.1.1. Données mitochondriales

Une analyse moléculaire de variance (AMOVA) est réalisée afin de tester si l’existence de ces variétés explique la variance génétique observée à l’échelle des dix populations. Les résultats sont présentés dans le Tableau III.4. La totalité de la variance est associée au niveau intrapopulation. La part de variance génétique due à la subdivision entre variétés est donc quasi-nulle.

Tableau III.4. Analyse hiérarchique de la variance génétique mitochondriale basée sur les distances génétiques φst Degré de liberté Somme des carrés % de variance totale Indices de fixation p-value 1 2,28 0 -0,003 0,89

Entre populations d'une même variété 6 17,58 0 -0,004 0,75 129 406,64 100 -0,007 0,74 Au sein des populations

Entre variétés Effet des variétés

Les relations entre les 56 haplotypes des deux variétés sont représentées sur la Figure III.8. Les individus de la variété echinata de même que ceux de la variété pentaphyllum se répartissent uniformément sur l’ensemble du réseau, traduisant une absence de structure génétique mitochondriale forte entre les deux variétés.

Figure III.8. Réseau d’haplotypes représentant les relations évolutives minimales entre différents haplotypes de l’espèce O.fragilis. Le code couleur permet d’évaluer la représentativité par variété de ces haplotypes : en noir, les individus de la var. echinata et en blanc, ceux de la var. pentaphyllum. Les ronds rouges symbolisent des haplotypes non détectés durant l’étude mais nécessaires à la construction du réseau.

Les individus de Méditerranée ne sont pas représentés sur ce réseau. En effet, les séquences mitochondriales de ces individus présentent une divergence de l’ordre de 18% avec l’ensemble des séquences des autres individus. La divergence génétique qui existe entre les individus de la variété echinata (hors individus de Méditerranée) est inférieure à 1% et du même ordre de grandeur que celle trouvée entre individus de la variété pentaphyllum mais également entre individus des deux variétés confondues.

2.1.2. Données allozymiques

La variance associée aux fréquences génotypiques des deux variétés est synthétisée par l’AFC et projetée sur les deux premiers axes (AFC présentée sur la Figure III.9, basée sur 338 individus, originaires de huit des dix populations, toutes sauf celles de Méditerranée et de Morgat). Les deux variétés présentent une forte dispersion dans le plan, avec une superposition complète des deux groupes. Les deux axes n’extraient qu’une partie minime de la variance (moins de 10% à tous les deux).

-2 0 2 -1,5 -0,5 0,5 1,5 Var. pentaphyllum Var. echinata

Figure III.9. AFC synthétisant la variance génétique sur la base des données allozymiques en fonction des deux variétés (réalisée avec le logiciel Genetix). Les axes 1 et 2 synthétisent respectivement 4,7 % et 4,6 % de la variance.

Cependant l’AMOVA réalisée sur les données allozymiques tend à montrer que la séparation des individus selon les deux variétés influe sur la répartition de la variance génétique. Les résultats sont présentés dans le Tableau III.5. Même si 92% de la variance est associée au niveau intrapopulation, la part de variance associée à la différenciation entre variétés est significative (p = 0,03).

Tableau III.5. Analyse hiérarchique de la variance génétique allozymique basée sur les distances génétiques θ Degré de liberté Somme des carrés % de variance totale Indices de fixation p-value 1 31,78 1,68 0,031 0,03 18 199,69 5,84 0,109 < 0,001 1692 2926,89 92,48 1,729 < 0,001 Au sein d'une population

Effet des variétés Entre variétés

Une analyse canonique de redondance (Figure III.10) est alors réalisée afin de mieux cerner la part de la variation génétique expliquée par l’existence de ces deux variétés. La seule variable explicative qui permet de synthétiser de manière significative la variance allozymique observée est l’existence de ces variétés (p = 0,045). Les autres variables explicatives (profondeur, région géographique, type d’habitat, année d’échantillonnage) se révèlent non structurantes, tout du moins pas de façon significative. Cette analyse permet de faire ressortir les relations qui existent entre les variétés et certains allèles. Ainsi la variété echinata se trouve associée avec l’allèle Pk100 et Mdh88 dans une moindre mesure tandis que la variété pentaphyllum est associée avec la Pk90 et la Mdh100.

pentaphyllum echinata Pk100 Mdh100 Pk90 Mpi100 Pgm100 Mdh88 Me100 Me110 Hk 100 Mpi104 -0,4 -0,2 0 0,2 0,4 -0,6 -0,4 -0,2 0 0,2 0,4 0,6

Figure III.10. Analyse canonique de redondance. Les variétés (en rouge) sont les seules variables explicatives qui synthétisent la variance allozymique de façon significative. Les variables à expliquer (en noir) sont les fréquences alléliques (seules les plus importantes sont représentées par des vecteurs, les autres apparaissent sous forme de point).

La Figure III.11 représente les fréquences alléliques de ces deux locus entre variétés. Les différences observées dans ces fréquences s’avèrent significatives (θ = 0,122 pour la Pk et θ = 0,052 pour la Mdh ; p < 0,001). Les autres locus présentent d’ailleurs également des différences plus faibles mais significatives induisant une différence globale significative entre les deux variétés (θ = 0,023 ; p < 0,01). Il est néanmoins difficile de dissocier un effet variétal d’un effet population, la variable ‘variété’ étant associée à la population et non à l’individu.

Figure III.11. Fréquences allèliques des deux locus

Pk et Mdh pour les variétés pentaphyllum (P) et echinata (E). 0% 50% 100% P E 110 100 90 0% 50% 100% P E 110 100 88 Pk Mdh

3. Discussion

La classification des populations en deux variétés permet d’expliquer une part faible mais significative de la variabilité morphologique au sein de l’espèce O. fragilis. En outre, bien que peu marquée, il semble exister une base génétique à l’occurrence de ces deux variétés. En effet, celles-ci présentent des profils mitochondriaux identiques mais des différences significatives au niveau des allozymes. Le locus de la Pk présente notamment des fréquences alléliques contrastées entre les deux variétés, qui témoignent d’un probable effet variétal sur la structure génétique des populations. Ainsi, il semble donc exister (au moins) deux variétés morphologiques au sein de l’espèce O. fragilis. Néanmoins, la variabilité individuelle des rapports morphométriques et des profils génétiques au sein de chaque variété est très importante. Si le postulat de départ est que les deux variétés existent, alors les rapports morphométriques et les données allozymiques montrent des différences entre ces deux variétés. Par contre, ces rapports et ces données allozymiques ne peuvent suffire à la diagnose formelle des variétés et encore moins à l’assignation d’individus nouveaux à l’une ou l’autre de ces variétés. Une telle plasticité phénotypique n’est cependant pas très surprenante en milieu marin. C’est le cas, par exemple, de trois espèces de patelles, bien identifiées génétiquement, qui ne sont différenciables par aucun critère morphologique, les facteurs environnementaux influençant fortement la coloration et la morphologie des coquilles de ces trois espèces (Mauro et al., 2003).

La plasticité variétale de la morphologie pourrait correspondre à une adaptation de l’espèce face à des environnements différents, adaptation qui aurait été sélectionnée au fil du temps. Koehler (1921) considérait déjà que les variations morphologiques observées entre individus d’O. fragilis tenaient des localités et des profondeurs auxquelles les individus étaient échantillonnés. En effet, la variété echinata se trouve majoritairement en milieu

intertidal ou sous forme de populations clairsemées. Les bras plus courts constitueraient alors un avantage pour se camoufler et limiter la prédation en milieu intertidal. A l’inverse, des bras plus longs seraient avantageux face au mode de nutrition suspensivore et serait donc plus adapté au milieu subtidal. Des longueurs de bras inférieures ont, en outre, déjà été observées pour des ophiures intertidales comparées à leurs conspécifiques subtidaux (Bourgoin & Guillou, 1994). Les couleurs plus sombres de la variété echinata constitueraient également un atout pour le camouflage ; à l’inverse, le polychromatisme important de la variété pentaphyllum ne présenterait pas particulièrement de caractère adaptatif. La grande variété de couleurs serait simplement maintenue du fait qu’elle n’induit aucun coût pour l’espèce (DeWitt et al., 1998), tant qu’elle est en milieu subtidal. De nombreux invertébrés marins présentent d’ailleurs d’importantes variétés chromatiques sans que ce caractère ne joue sur le statut spécifique des organismes ; c’est par exemple le cas de nombreuses ascidies (Sabbadin, 1982; Lopez-Legentil & Turon, 2004). Si des individus de la variété echinata se retrouvaient au milieu des bancs denses subtidaux de pentaphyllum, ils auraient, du fait de leurs bras plus courts, un accès plus restreint à la nourriture. Si des ophiures de la variété pentaphyllum se retrouvaient en milieu intertidal, elles seraient, du fait de leurs couleurs vives, plus facilement détectables et donc plus sujettes à la prédation. Chaque variété semble ainsi mieux adaptée à un type d’environnement. Les stress environnementaux relatifs à chaque habitat pourraient ainsi induire des mortalités différentielles, certains génotypes étant ainsi éliminés dans un habitat donné. Ce type de sélection est souvent mis en avant pour expliquer les importantes disparités dans les fréquences alléliques observées chez une espèce, sur un ou deux locus seulement; c’est le cas, par exemple, de la Malate Déshydrogénase chez le papillon Bicyclus aninana (Van Oosterhout et al., 2004) qui témoigne d’effet sélectif marqué. Les phénomènes de contre-sélection vont, sur le long terme, accentuer les adaptations de chaque variété à un type d’environnement. Néanmoins, compte tenu du fait que les différences génétiques entre variétés sont peu marquées, il s’agit peut-être plus de plasticité adaptative de l’espèce (Pigliucci, 2005), plutôt qu’une sélection différentielle de chaque variété vis-à-vis d’un habitat.

Le comportement individuel de camouflage semble ainsi être compensé, en milieu subtidal, par un comportement d’agrégation (Broom, 1975; Ellis & Rogers, 2000), supposé plus efficace pour faire face à la prédation. Morgan & Jangoux (2004) montrent l’existence de caractéristiques morphologiques et comportementales entre juvéniles et adultes qui favorisent ce comportement grégaire chez les individus de la variété pentaphyllum. Il serait intéressant de voir dans quelle mesure ces caractéristiques existent chez les juvéniles de la variété

echinata. Si les juvéniles de la variété echinata ne présentent pas ces adaptations, leur chance de recruter efficacement sur un banc d’adultes de pentaphyllum est moindre par rapport aux juvéniles pentaphyllum, ce qui aurait tendance à renforcer les hypothèses de sélection différentielle plutôt que celles de plasticité adaptative de l’espèce. De plus, d’une manière générale, les ophiures sont des animaux lucifuges (Barraclough Fell, 1966). Le fait que la variété pentaphyllum soit rarement présente à des profondeurs inférieures à 20 m pourrait témoigner d’une sensibilité plus prononcée de la variété à une forte luminosité. Des expériences de survie des deux variétés face à des stress lumineux, de même que des dosages de rhodopsine, pigment visuel des échinodermes (Johnsen, 1997), pourraient permettre d’aller plus loin dans la réflexion sur l’empreinte de l’environnement sur chaque variété, et prendraient toute leur importance dans un contexte plus général de compréhension des mécanismes de spéciation écotypique.

Le cas de la population de Méditerranée sera discuté plus précisément dans le paragraphe suivant, il renforce néanmoins l’idée d’une très forte variabilité morphologique intraspécifique et par contre, d’une assez grande homogénéité morphologique interspécifique dans le genre Ophiothrix.

Chapitre III.2. Connectivité des populations d’O. fragilis dans la